CA Bordeaux, 2 juillet 2018, n°16/00666
La décision commentée prononce la résiliation d’un contrat de franchise aux torts exclusifs du franchiseur en raison du manquement par ce dernier à son obligation précontractuelle d’information sincère et loyale et condamne le franchiseur à payer au franchisé un montant équivalent au droit d’entrée à titre de dommages et intérêts.
Ce qu’il faut retenir : La décision commentée prononce la résiliation d’un contrat de franchise aux torts exclusifs du franchiseur en raison du manquement par ce dernier à son obligation précontractuelle d’information sincère et loyale et condamne le franchiseur à payer au franchisé un montant équivalent au droit d’entrée à titre de dommages et intérêts. La sanction est contestable au regard de la jurisprudence, qui considère traditionnellement que la violation de l’obligation précontractuelle d’information prévue à l’article L.330-3 du code de commerce, si elle peut fonder la nullité du contrat de franchise en cas de vice du consentement, ne saurait entraîner à elle seule sa résiliation.
Pour approfondir :
1. En l’espèce, la Société C.G.D. a pour activité le développement d’un réseau de magasins en franchise spécialisés dans le commerce d’articles de golf sous l’enseigne « C. G. ».
M.P. a signé, le 11 juillet 2011, un contrat de franchise avec la Société C.G.D. et a créé la société G.P.M. pour exploiter son magasin situé dans une commune proche de Brive.
A partir de 2013, la société franchisée a eu des difficultés pour régler ses redevances au franchiseur qui l’a mise en demeure de régler les sommes dues par courrier du 5 septembre 2014. Lui faisant par ailleurs grief de ne plus respecter les obligations lui incombant au titre de son contrat de franchise, par courrier du 1er décembre 2014, le franchiseur a résilié le contrat de franchise et a mis en demeure le franchisé de cesser toute utilisation de la marque et de l’enseigne et de lui verser, au titre des pénalités, la somme de 13.431 euros correspondant au total des redevances facturées pendant les 24 mois précédant la rupture.
Par exploit d’huissier en date du 20 janvier 2015, la société franchisée et son gérant M.P. ont assigné le franchiseur devant le Tribunal de commerce de Bergerac en sollicitant la nullité du contrat de franchise et le règlement de diverses sommes.
2. Par jugement du 18 décembre 2015, le Tribunal de commerce de Bergerac a :
- débouté la société franchisée et M.P. de l’ensemble de leurs demandes,
- constaté la résiliation anticipée du contrat de franchise aux torts exclusifs du franchisé et de M.P.,
- condamné le franchisé au paiement de la somme de 13.431 euros au titre de la pénalité irréductible,
- débouté le franchiseur de sa demande de dommages et intérêts.
La société franchisée et M.P. ont interjeté appel du jugement le 2 février 2016. La société franchisée ayant été placée en liquidation judiciaire le 21 novembre 2017, le mandataire judicaire est intervenu volontairement à la procédure.
3. Le franchisé demandait, en substance, à la Cour d’infirmer le jugement et :
- à titre principal, de prononcer la nullité du contrat de franchise pour dol ou à tout le moins erreur sur les qualités substantielles au visa des articles 1108, 1109 et 1116 du code civil (1128, 1130 et 1137 selon la numérotation issue de l’ordonnance du 10 février 2016) et de l’article L.330-3 du code de commerce, aux motifs que le franchiseur a intentionnellement laissé s’implanter un magasin dans une zone géographique inadaptée sans potentiel sérieux de clientèle et a transmis à la société franchisée et à M.P. des éléments comptables prévisionnels irréalistes et insincères dans le but de la conduire à contracter, et que le consentement de la société franchisée et de M.P. a été surpris par réticence dolosive et dol, ou qu’à tout le moins les agissements du franchiseur ont provoqué chez le franchisé une erreur sur la rentabilité de l’activité entreprise, ce qui justifie la nullité du contrat de franchise et la restitution subséquente des sommes versées (229.915,46 euros) ;
- à titre subsidiaire, de dire et juger que les agissements du franchiseur sont de nature à engager sa responsabilité civile délictuelle en application de l’article 1382 du code civil (1240 selon la numérotation issue de l’ordonnance du 10 février 2016), ce qui justifie sa condamnation au paiement de la somme de 229.915,46 euros à titre de dommages et intérêts.
- en toutes hypothèses, de dire et juger que les fautes commises par le franchiseur ont causé un préjudice à M.P., ancien gérant de la société franchisée, qui s’est vu privé de toute rémunération pendant les deux années, ce qui le fonde à réclamer la somme de 43.200 euros à titre de dommages et intérêts.
4. Par un arrêt du 2 juillet 2018, la Cour d’appel de BORDEAUX a Infirmé en toutes ses dispositions le jugement du Tribunal de commerce de Bergerac et, statuant à nouveau, a :
- prononcé la résolution du contrat de franchise aux torts exclusifs du franchiseur ;
- condamné le franchiseur à payer à la société franchisée une somme de 25.000 euros à titre de dommages et intérêts ;
- condamné la société franchisée à payer au franchiseur une somme de 2.000 euros à titre de dommages et intérêts au titre de la violation des clauses de non-concurrence ;
- ordonné la compensation entre les créances réciproques ;
- débouté les parties de leurs demandes plus amples et contraires
- condamné le franchiseur à payer à la société franchisée et à M.P. une somme de 4.000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, outre les dépens de première instance et d’appel.
La Cour a tout d’abord rejeté la demande de nullité du contrat en considérant que :
« C’est à bon droit (…) que l’intimée oppose que le prévisionnel adressé à M.P. a été réalisé en concertation avec lui et sur la base d’une étude de marché réalisée par ses soins, portant sur le nombre de licenciés et l’état de la concurrence dans la région pour évaluer la pertinence d’une création de franchise. Cette considération, si elle ne peut suffire à exonérer le franchiseur de toutes ses obligations telles qu’elles ressortent de l’article L.330-3, ne permet de caractériser ni une erreur sur la substance de l’objet du contrat, à l’élaboration duquel les appelants ont largement contribué, ni, de la part du franchiseur, des manœuvres dolosives telles qu’il est évident que, sans ces manœuvres, dont la démonstration est exigeante, la société franchisée et M.P. n’auraient pas contracté ».
Pour autant, la Cour a ensuite considéré que « c’est à bon droit que les appelants soutiennent que la responsabilité de l’intimée est susceptible d’être engagée sur le fondement de l’article L.330-3. En effet, si, au visa de ce texte, le franchiseur n’a pas l’obligation de remettre un compte d’exploitation prévisionnel ou de prévision d’un chiffre d’affaires, il doit, lorsqu’il en prend tout de même l’initiative, établir ce compte de façon sincère, sur des bases sérieuses ».
Après avoir relevé des écarts considérables entre les chiffres d’affaires prévus et ceux réalisés, constaté quelques incohérences entre les chiffres annoncés à M.P. et ceux promis à d’autres candidats à la franchise et relevé que le franchiseur semblait avoir occulté les difficultés rencontrées par certaines franchises en province dont beaucoup auraient depuis lors fait l’objet de procédures de liquidation judiciaire, la Cour a considéré que :
« Le compte prévisionnel présenté à M.P. avant la signature du contrat, déterminé sur des bases générales et des critères inadaptés, n’a pas été établi sur des bases sérieuses. L’intimée ne peut sérieusement opposer que le prévisionnel n’a été établi qu’à titre simplement indicatif avec une présentation de chiffres réalisables sous condition que la gérant exploite le magasin en respect de l’ensemble de ses obligations de franchisé alors que compte tenu de son inexpérience dans un domaine très spécifique, M.P. ne disposait pas, contrairement à elle, d’une connaissance suffisante du marché pour en apprécier les perspectives et les mérites. Elle peut d’autant moins contester le caractère exagérément optimiste voire fantaisiste du prévisionnel qu’il est très vite apparu, dès le premier exercice, qu’il était totalement irréalisable. Le manquement (du franchiseur) à son obligation précontractuelle d’information sincère et loyale est donc établi ».
La Cour a enfin considéré que « les allégations (du franchiseur), selon lesquelles les mauvais résultats réalisés par la société (franchisée) seraient seulement imputables à la mauvaise gestion de son gérant et aux manquements de la société à ses engagements contractuels (non-respect des préconisations du franchiseur, refus de participer aux opérations commerciales proposées, mauvaise gestion des stocks, retard de paiement des redevances et des fournisseurs), soit ne sont pas confirmées par les pièces versées aux débats, soit sont inopérantes ».
La Cour a finalement déduit de ces constatations que « c’est donc à tort, les manquements allégués de la société (franchisée) étant insuffisamment caractérisés, que le tribunal a constaté la résiliation anticipée du contrat de franchise aux torts exclusifs de la société franchisée et de M.P. Le jugement sera donc infirmé, et la résiliation du contrat prononcée aux torts exclusifs (du franchiseur) ».
Concernant les demandes d’indemnisation de la société franchisée et de M.P., la Cour a jugé que « la demande de nullité du contrat ayant été rejetée, l’indemnisation de la société ne peut s’envisager que sous la forme de dommages et intérêts ».
Sur la somme de 229. 915,46 euros initialement réclamée par la société franchisée (soit 93.000 euros au titre des dépenses d’installation, et notamment le droit d’entrée d’un montant de 25.000 euros ; 25.000 euros au titre des frais de publicité et de redevance sur le chiffre d’affaires engagés au cours des trois années d’exploitation ; et 111.914,48 euros correspondant aux pertes enregistrées en 2012, 2013 et 2014), la Cour a considéré que :
« Seule la somme de 25.000 euros correspondant au droit d’entrée dans la franchise s’apparente à un préjudice matériel certain directement causé par la faute retenue à l’encontre de la société (franchisée) (…) les autres préjudices allégués ne présentent en revanche aucun lien de causalité direct et certain avec la faute. Il n’est en effet établi ni que les appelants ont perdu irrémédiablement le bénéfice des dépenses d’installation, ni qu’ils n’ont retiré aucun avantage de ces dépenses ou des frais de publicité exposés, ni enfin que les chiffres annoncés initialement, à partir desquels ils chiffrent leurs pertes, auraient été exactement atteints. Leur préjudice ne saurait donc s’estimer autrement qu’au titre d’une perte de chance sur laquelle la cour ne peut néanmoins se prononcer faute de demande sur ce fondement.
Les mêmes motifs doivent conduire à rejeter la demande formée par M.P. à titre personnel pour les salaires qu’il « était susceptible de pouvoir se verser dès la 2ème année sur la base de 1.800 euros bruts mensuels sur 2 ans », dont le principe comme le montant restent incertains ».
5. Cet arrêt n’est pas exempt de toute critique, en particulier sur la sanction prononcée par la Cour au titre du manquement par le franchiseur aux dispositions de l’article L.330-3 du Code de Commerce.
Il convient de rappeler qu’en cas de manquement par le franchiseur à son obligation d’information précontractuelle découlant des dispositions de l’article L.330-3 du Code de Commerce, la loi ne prévoit qu’une sanction pénale à l’article R.330-2 du même code (à savoir les peines d’amende prévues par le 5° de l’article 131-13 du code pénal pour les contraventions de la cinquième classe).
La loi est en revanche silencieuse sur la nature de la sanction civile éventuellement applicable au manquement par le franchiseur à son obligation d’information précontractuelle.
S’agissant d’une obligation précontractuelle – et donc extracontractuelle – la jurisprudence a eu l’occasion de sanctionner le manquement à l’obligation imposée par l’article L.330-3 du Code de Commerce :
- soit par l’annulation du contrat sur le fondement des vices du consentement en application des articles 1108 et suivants du code civil (1128, 1130 et suivants selon la numérotation issue de l’ordonnance du 10 février 2016) (Cf. à titre d’illustration : Cass. com., 13 juin 2018, n° 17-10618 ; Cass. com., 13 septembre 2017, n° 15-19740 ; Cass. 1ère Civ., 3 nove. 2016, n° 15-24886 ; Cass. com., 17 mars 2015, n° 13-24853 et 14-10365 ; Cass. com., 12 juin 2012, n° 11-19047 ; Cass. com., 24 septembre 2003, n° 01-11595 ; Cass. com., 20 octobre 1998, n° 96-13159).
- soit par l’octroi de dommages et intérêts sur le fondement de la responsabilité civile délictuelle en application de l’article 1382 du code civil (1240 selon la numérotation issue de l’ordonnance du 10 février 2016) (Cf. à titre d’illustration : Cass. 1ère civ., 25 janv. 2017, n° 15-28064 ; Cass. com., 10 juillet 2012, n°11-21954, Bull. civ. IV, n° 149 ; Cass. com., 9 oct. 2007, n° 05-14118 ; Cass. com., 4 févr. 2004, n° 00-21319 ; v. aussi plus récemment : CA Paris, 20 juin 2018, n°17/16639, et notre commentaire, Lettre des Réseaux Mai-Juin 2018).
En l’espèce, la Cour a prononcé la résiliation du contrat de franchise aux torts exclusifs du franchiseur en considérant que « c’est à tort, les manquements allégués de la société (franchisée) étant insuffisamment caractérisés, que le tribunal a constaté la résiliation anticipée du contrat de franchise aux torts exclusifs de la société franchisée et de M.P. Le jugement sera donc infirmé, et la résiliation du contrat prononcée aux torts exclusifs (du franchiseur) ».
Ce faisant, la Cour a statué extra petita en prononçant une sanction que le franchisé n’avait pas demandée, celui-ci ayant seulement sollicité, à titre principal, la nullité du contrat et, à titre subsidiaire, l’allocation de dommages et intérêts sur le fondement de la responsabilité civile délictuelle.
Cette sanction n’est en outre pas justifiée, puisque la résolution judiciaire du contrat n’aurait pu être demandée par le franchisé, en application de l’article 1184 du Code Civil (1227 selon la numérotation issue de l’ordonnance du 10 février 2016), qu’en cas de manquements graves par le franchiseur à ses obligations contractuelles. Tel n’est pas le cas en l’espèce, puisqu’il est reproché au franchiseur d’avoir manqué à son obligation d’information précontractuelle.
La sanction de la résolution judiciaire du contrat de franchise aux torts exclusifs du franchiseur ne nous paraît donc pas la plus appropriée en l’espèce.
6. La Cour de cassation a d’ailleurs eu l’occasion de juger sur ce point que « la violation de l’obligation précontractuelle d’information et de renseignements, prévue à l’article L.330-3 du code de commerce, si elle peut fonder la nullité du contrat de franchise en cas de vice du consentement, ne saurait entraîner à elle seule sa résiliation » (Cass. com., 12 févr. 2008, n° 07-10462).
A rapprocher : Cass. com., 12 févr. 2008, n° 07-10462 ; Cass. com., 6 mai 2003, n° 01-00515