Cass. civ. 3ème, 21 juin 2018, n°17-13.212
La désignation d’un mandataire ad hoc aux fins d’obtenir, pour un associé, la communication d’informations comptables ainsi que la réunion de l’assemblée générale ordinaire chargée d’approuver les comptes d’une société, n’est pas soumise à la démonstration de circonstances rendant impossible le fonctionnement normal de celle-ci et la menaçant d’un péril imminent.
La mésentente entre associés peut être résolue de diverses manières : cession amiable de titres, exercice par un associé de son droit de retrait d’origine légale ou statutaire lorsqu’un tel droit existe, paiement de dommages et intérêts, désignation d’un administrateur provisoire ou, dans les cas les plus extrêmes, dissolution de la société.
La troisième chambre civile de la Cour de cassation, dans l’affaire qui était l’objet de son arrêt en date du 21 juin 2018, avait à connaître d’un litige né de la désignation d’un mandataire ad hoc.
En l’espèce, deux concubins, qui avaient constitué en 2004 une société civile immobilière pour des raisons d’optimisation fiscale dans le cadre de l’acquisition du logement commun, se séparent en 2008. Le Gérant de la SCI, également associé à 50 % de la SCI, ne transmet aucun document comptable à son associée (également à 50 %) et ex-concubine, ni ne convoque d’assemblée générale en vue d’approuver les comptes sociaux. Cette dernière sollicite auprès des tribunaux compétents l’exercice de son droit de retrait et la détermination de la valeur de ses parts sociales, avant de remplacer ces demandes par la désignation, pour une durée de 6 mois, d’un mandataire ad hoc chargé de se faire communiquer les livres et les documents sociaux pour les exercices clos de 2004 à 2015, d’établir les rapports qui devaient normalement être dressés par le gérant pour chacun d’eux, et de réunir l’assemblée générale ordinaire devant approuver les comptes et affecter les résultats.
Selon la jurisprudence de la Cour de cassation, il est nécessaire pour procéder à la désignation d’un administrateur provisoire, qu’il s’agisse d’un administrateur judiciaire (qui peut effectuer des actes de gestion) ou d’un mandataire ad hoc (dont la mission est plus restreinte), de démontrer que la mésentente entre associés rend impossible le fonctionnement normal de la société et la menace d’un péril imminent.
Si la plupart des commentateurs soulignent que cet arrêt marque une position de rupture de la chambre civile de la Cour de cassation par rapport à celle de la chambre commerciale, il nous semble qu’une autre interprétation puisse être retenue.
En effet, la jurisprudence a été développée jusqu’à présent sur le fondement des articles 809 (concernant le TGI) et 873 (concernant le Tribunal de commerce) du code de procédure civile relatifs aux procédures de référé, lesquels permettent au juge de prescrire « les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite ».
La voie du référé, habituellement plus adaptée à ce type de demandes que la voie contentieuse classique en raison de sa rapidité, permet ainsi d’obtenir la désignation d’un administrateur qui pourra gérer temporairement la société ou simplement convoquer l’assemblée, en fonction des missions qui lui seront attribuées par le juge.
En l’espèce, l’associée de la SCI n’avait pas choisi la voie du référé, mais opté pour une assignation au fond, modifiant en cours d’instance ses demandes.
La Cour d’appel de Paris, approuvée par la Cour de cassation, nous semble donc avoir légitimement refusé de conditionner la désignation d’un mandataire ad hoc à la démonstration d’un péril imminent causé par la mésentente entre associés, condition caractéristique des demandes formulées dans le cadre d’une procédure en référé.
En conséquence, il suffit dans ce cas de démontrer, comme le TGI de Bobigny puis la Cour d’appel de Paris l’ont justement fait, que la société et son gérant avaient violé le droit de l’associée, en l’espèce le droit de participer à toutes les décisions collectives ainsi que le droit d’obtenir communication des éléments comptables et sociétaires, pour faire droit à la demande de désignation d’un mandataire ad hoc.
On relèvera enfin que si la voie du référé est généralement choisie pour obtenir ce type de décisions, un jugement au fond peut être rendu avec un délai raccourci si le Tribunal adopte la procédure à bref délai de l’article 905 du code de procédure civile comme cela semble avoir été le cas en l’espèce.
A rapprocher : Cass. civ. 1ère, 17 octobre 2012, n°11-23.153 ; Cass. com., 29 septembre 2009, n°08-19.937