Cass. com., 4 septembre 2018, n°17-17.891
Le contenu obligationnel d’un contrat de franchise peut ressortir de documents annexes, dès lors que ce contrat s’y réfère expressément, que les parties ont conscience de la nature contractuelle des documents, et qu’elles ont eu la possibilité d’en prendre connaissance.
En l’espèce, une société franchisée a conclu, le 7 septembre 2009, un contrat de franchise avec la société franchiseur, pour une durée de 5 ans, renouvelable par tacite reconduction, lui permettant d’exercer les activités de transaction et de location immobilière, à l’exclusion des activités de gestion locative et de syndic ; le 20 juin 2013, le franchiseur a notifié à la société franchisée le non-renouvellement du contrat de franchise à son terme contractuel.
Se considérant victimes d’une inexécution fautive du contrat de franchise, la société franchisée a assigné en responsabilité la société franchiseur et sa société mère, exploitant un ensemble d’agences en succursales.
Pour rejeter les demandes indemnitaires formées par la société franchisée au titre de l’inexécution fautive du contrat de franchise, l’arrêt objet du pourvoi (CA Versailles, 12ème ch., sect. 2, 21 février 2017, n°15/00794) retient que :
- le franchisé, qui reproche au franchiseur d’avoir adopté dès le début des relations contractuelles, puis en cours de contrat, un comportement déloyal par une approche délibérément discriminatoire favorisant l’activité des sociétés dites succursalistes, n’étaye par aucune preuve suffisante et précise les arguments avancés, les seuls éléments justifiés se rapportant à des difficultés ponctuelles d’exécution du contrat litigieux, exprimées sous la forme de doléances très générales, et étant, pour la majorité d’entre eux, inopérants sur le plan probatoire ou directement en contradiction avec d’autres éléments du dossier ;
- le franchisé ne rapporte pas la preuve que, faute d’avoir disposé d’un logiciel suffisamment performant, répondant aux exigences de l’enseigne pour l’exploitation de son agence, il soit fondé à reprocher au franchiseur un manquement à son obligation d’assistance ou de mise à disposition du savoir-faire Foncia lui ayant occasionné un préjudice spécifique ;
- le franchisé n’établit pas davantage que le franchiseur se soit abstenu de faire évoluer l’offre logicielle T… dans un sens permettant de favoriser la synergie inter-agences et de garantir les droits des franchisés sur les lots remis en gestion à la société franchiseur ; il ne démontre pas davantage que le franchiseur a enfreint ses obligations contractuelles en raison d’atteintes précises qui auraient été portées par des agences intégrées ou par d’autres franchisés à l’exclusivité territoriale du franchisé et qu’il lui aurait révélées en cours de contrat sans susciter aucune assistance.
Le troisième moyen présenté au soutien du pourvoi soulignait :
- que les notes de références diffusées par la société franchiseur, annexées au contrat de franchise conclu par la société franchisée le 7 septembre 2009, avaient une valeur contractuelle et que la méconnaissance des obligations contenues dans ces notes, en particulier dans la note de références datée du 23 juillet 2009, engageait la responsabilité de la société franchiseur, qui n’avait pas pris les mesures nécessaires au bon respect de ces notes par les cabinets intégrés, et qu’en s’abstenant de répondre à ce moyen et de rechercher si une violation de la note de références datée du 23 juillet 2009 ne pouvait pas être retenue, la cour d’appel a violé l’article 455 du Code de procédure civile,
- que la société franchisée avait été privée de la possibilité de réaliser de nombreuses ventes et locations sur son territoire contractuel, faute d’avoir eu accès aux informations sur les biens se trouvant dans ce secteur qui étaient détenues par les agences intégrées, celles-ci ayant soit mis le bien en vente sans l’enregistrer sur le fichier commun du réseau, soit omis d’informer les agences franchisées à proximité desquelles se trouvaient leurs biens, et ce en violation des notes de références ; qu’une liste précise des ventes et locations concernées était produite aux débats, et qu’en s’abstenant de rechercher si, en ne prenant aucune mesure pour mettre un terme aux agissements des cabinets intégrés, la société franchiseur n’avait pas engagé sa responsabilité, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 1147 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance du 10 février 2016 et applicable à la cause,
- que le franchisé se plaint du non-respect des directives du groupe du franchiseur par les cabinets intégrés, qui n’enregistraient pas tous les biens pour lesquels ils disposaient d’un mandat de vendre ou de louer, ou détournaient à leur profit des mandats obtenus par des cabinets franchisés ; qu’en rejetant leurs demandes indemnitaires au motif que la société franchisée avait signé un contrat de prestation de service informatique avec la société tierce S…, éditeur du logiciel T…, et qu’elle ne justifiait pas avoir fait part à celle-ci de dysfonctionnements précis auxquels il n’aurait pas été remédié, la cour d’appel a modifié l’objet du litige et violé l’article 4 du Code de procédure civile,
- que, malgré l’engagement pris dans les documents publicitaires relatifs à la franchise, le groupe du franchiseur opérait une différence de traitement entre les cabinets intégrés et les cabinets franchisés, en ce qui concerne notamment l’accès aux informations relatives aux biens en location vacants et les fournitures de la marque du franchiseur, et qu’en s’abstenant de répondre à ce moyen, la cour d’appel a violé l’article 455 du Code de procédure civile.
La Haute juridiction casse la décision des juges du fond au vu de la première branche du troisième moyen ; elle retient en effet « qu’en statuant ainsi, sans répondre aux conclusions du franchisé, qui faisait valoir que la méconnaissance des obligations contenues dans les notes de référence annexées au contrat de franchise conclu par la société [franchisée] le 7 septembre 2009, en particulier dans la note de références […] datée du 23 juillet 2009, engageait la responsabilité de la société [franchiseur] qui n’avait pas pris les mesures nécessaires au bon respect de ces notes par les cabinets intégrés, la cour d’appel n’a pas satisfait aux exigences du texte susvisé ».
La décision commentée appelle les observations suivantes.
En premier lieu, et c’est là une évidence, la décision est cassée au visa de l’article 455 du Code de procédure civile, relatif à l’obligation de motivation, consubstantielle à l’office du juge.
En deuxième lieu, les juges du fond retiennent en l’espèce que des « notes de références » ont valeur contractuelle, pour en tirer la conséquence – on y reviendra – que le non-respect par le franchiseur desdites notes pouvait constituer au cas présent une faute de nature à justifier la mise en œuvre de la responsabilité du franchiseur.
L’importance donnée ici à ces notes de références soulève la question – plus générale – des « obligations non matérialisées par renvoi explicite » (B. Fessard, Les obligations non matérialisées dans les contrats, Th. Montpellier, 2015, spéc. p. 62, §. 51 et suiv). Tel est le cas, par exemple, lorsque le contrat de franchise oblige le franchisé à respecter le savoir-faire, dont le détail – qui ne figure jamais dans le contrat lui-même – est précisé dans un document séparé (bible du savoir-faire, manuel opératoire, etc.) auquel il est renvoyé ; ce faisant, le contenu obligationnel du contrat de franchise s’apprécie plus ici – et ne peut s’apprécier – à la seule lecture du contrat, mais ressort de l’examen des documents auxquels le contrat de franchise renvoie ; c’est dire qu’en pareille hypothèse le contenu de ces supports n’est pas neutre.
Encore faudra-t-il que les conditions requises pour la validité de la clause par renvoi explicite soient remplies. Or, selon la jurisprudence, la validité d’une clause par renvoi explicite suppose la réunion de trois conditions :
- le contrat doit clairement se référer à l’obligation visée ;
- les contractants doivent avoir conscience que le document fait partie du champ contractuel ;
- les parties doivent avoir eu la possibilité d’en prendre connaissance par la remise du document concerné (v. sur ce point, B. Fessard, Les obligations non matérialisées dans les contrats, Th. Montpellier, 2015, spéc. p. 69, §. 60).
Au cas présent, les notes de références en question répondaient à ces trois conditions.
Enfin, il appartiendra à la cour de renvoi de se prononcer sur les conséquences de la méconnaissance par le franchiseur des obligations contenues dans les notes de référence annexées au contrat de franchise.
A rapprocher : sur la notion d’« obligations non matérialisées par renvoi explicite », v. F.-L. Simon, L’instance de dialogue social dans les réseaux de franchise, spéc. §. 45. Clause par renvoi explicite