Du caractère réaliste de la clause d’objectif minimum

CA Paris, 12 septembre 2018, RG n°17/02221

Le cocontractant conscient des difficultés d’atteindre des objectifs d’achat, mais s’étant malgré tout engagé à augmenter ses performances, ne peut valablement invoquer le caractère « irréaliste » de la clause d’objectif minimum.

La société X. est spécialisée dans la fabrication de machines d’impression qu’elle distribue notamment au travers d’un réseau de concessionnaires exclusifs.

Le 1er mars 1998, elle a conclu un premier contrat de concession avec la société E. aux termes duquel cette dernière s’engageait, en sa qualité de concessionnaire X., à acheter et revendre des produits et services X. sur son territoire de référence.

Le contrat a été renouvelé à de nombreuses reprises, par périodes triennales, jusqu’à la conclusion d’un dernier contrat de concession à compter du 1er mars 2014.

Par courrier du 16 janvier 2014, la société X. a fait part de ses préoccupations à la société E. s’agissant de ses performances commerciales, s’avérant alors « très en dessous de [leurs] attentes ». Toutefois, la société X. a proposé à cette occasion la conclusion d’un nouveau contrat, prenant pour la première fois en compte les objectifs commerciaux de la société concessionnaire. La société X. a assorti ce contrat de réserves, stipulant ainsi que « le contrat proposé sera automatiquement et de plein droit résilié avec effet au 1er janvier 2015 si vous ne deviez pas être au RDV des engagements affichés », cette réserve se manifestant au travers de l’article 9.1 du contrat.

Par LRAR du 7 novembre 2014, la société concédante a rappelé à son concessionnaire ses obligations contractuelles, lui reprochant à cette occasion le non-respect de ses objectifs commerciaux, et lui rappelant l’existence de la clause d’objectif minimum entraînant la résolution de plein droit en cas de manquement.

Faisant application de l’article 9.1 du contrat de concession, la société X. a résilié avec un préavis de trois mois le contrat de concession par LRAR du 19 décembre 2014.

La société E., formant une demande reconventionnelle devant le Tribunal de commerce de Paris, a allégué le caractère abusif de la rupture sur le fondement de l’article 1134 ancien du Code civil et, subsidiairement, le caractère brutal de la rupture, sur le fondement de l’article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce.

Par jugement du 24 janvier 2017, le Tribunal de commerce de Paris a débouté la société E., considérant que la résiliation du contrat de concession ne revêtait pas de caractère abusif. La société E. a interjeté appel de ce jugement devant la Cour d’appel de Paris, qui s’est prononcée au fond, par un arrêt du 12 septembre 2018. C’est l’arrêt commenté.

S’agissant de la résiliation du contrat de concession, la société appelante a invoqué les moyens suivants afin de contester la mise en œuvre de la clause résolutoire, que la Cour d’appel a rejetés pour les raisons exposées ci-après.

  • L’absence de prise en compte du potentiel commercial de la concession

La société appelante invoque que les objectifs qui lui ont été fixés l’ont été de façon unilatérale par la société X. en fonction de ses besoins propres, sans tenir compte du potentiel commercial de son concessionnaire.

En défense, la société X. fait valoir que la société E. a accepté les objectifs commerciaux qu’elle devait atteindre, comme cela résulte de l’article 2.6 du contrat de concession. La réalisation de ces objectifs constitue un élément essentiel du contrat, en l’absence de laquelle la résiliation de plein droit du contrat serait justifiée.

En outre, la Cour d’appel retient que la société concessionnaire avait elle-même repris ces chiffres dans son business plan pour l’année 2014. Aussi la société E. ne peut-elle valablement soutenir que son potentiel commercial n’aurait pas été pris en compte.

  • L’éviction injustifiée par les performances du concessionnaire

La société E. considère que ses performances ne justifiaient pas son éviction, celle-ci se plaçant au 47e rang sur 100 concessionnaires (v. pour un rappel de la règle selon laquelle les clauses d’objectif doivent être appliquées de façon non discriminatoire, v. Cass. Com., 1er février 1994, n°92-16.021). A l’appui de sa prétention, elle souligne le fait que d’autres concessionnaires, pourtant moins bien placés qu’elle, n’ont pas vu leur contrat résilié, pas plus que les 80% de concessionnaires du réseau n’ayant pas atteint leurs objectifs.

La Cour d’appel de Paris se contente sur ce point de souligner qu’il n’est pas contesté que la société E. n’a réalisé que 54% de ses objectifs commerciaux, et qu’elle connaissait l’existence des conditions résolutoires, de sorte que le seul constat de l’insuffisance des objectifs suffisait à justifier la résiliation du contrat de concession, sans qu’il ne soit besoin d’ordonner au concédant la production du détail du calcul des objectifs qui lui étaient fixés. En effet, le manquement par le concessionnaire à ses objectifs de vente constitue un manquement d’une gravité suffisante, compte tenu des circonstances du litige, où le concédant en a fait une condition déterminante de la conclusion d’un nouveau contrat.

  • L’absence de force obligatoire du contrat invoqué

La société concessionnaire prétend ne pas s’être engagée à atteindre les performances mentionnées dans le courrier de la société X. du 16 janvier 2014.

En effet, selon elle, il ne s’agissait que de simples évaluations au titre de son business plan, n’ayant aucune force obligatoire.

En tout état de cause, elle considère ne pas y avoir acquiescé, de sorte qu’aucune obligation de résultat ne pouvait lui incomber sur ce fondement. La société E. va même jusqu’à soutenir que son consentement aurait été vicié par contrainte (Sur la question de la sanction d’une clause d’objectif sur le fondement du vice de violence, v. Cass. com., 29 janvier 2008, n°06-20.808, Juris-Data n°042625), la lettre du 16 janvier 2014 ayant selon elle été insérée dans une liasse de documents présentés par son concédant au moment de la signature du contrat.

Or, comme le souligne la Cour d’appel de Paris, le courrier du 16 janvier 2014 était annexé au contrat de concession et y est expressément mentionné comme contenant les conditions résolutoires. En outre, le contrat y fait très clairement et sans ambiguïté référence, et la société E. a signé juste au-dessus de la liste des annexes, de sorte qu’elle ne pouvait prétendre ne pas avoir acquiescé à ce courrier, ni même soutenir que la lettre aurait été subrepticement insérée dans la liste. Sur ce dernier point, la Cour d’appel précise que la société E. ne rapporte aucunement la preuve que son consentement aurait été vicié par une contrainte l’ayant empêché de se rendre compte de ce qu’elle signait.

  • La faute du concédant

La société E. prétend également que la société X. aurait contribué à la non réalisation de ses objectifs commerciaux, en ayant contrarié son activité normale par la paralysie temporaire de son activité commerciale. En effet, en principe, il est des hypothèses dans lesquelles une clause d’objectif minimum ne saurait être appliquée, notamment lorsque la tête de réseau a empêché la réalisation des objectifs (Cass. Com., 9 octobre 2007, n°05-14.118).

Cependant, la Cour d’appel rejette également ce moyen, jugeant que « la suspension des commandes qui résultait des conditions générales PagePack ne peut suffire à expliquer la très faible performance de [E.] ».

Dès lors, il n’est pas établi que la société X. aurait empêché la réalisation des objectifs de son concessionnaire ;  en  tout  état de  cause,  la suspension
provisoire résultait des conventions relatives au service de maintenance (le « PagePack »), et ne suffisait certainement pas à justifier les très faibles performances du concessionnaire.

Dès lors, la société concédante ne saurait être tenue pour responsable de la faible réalisation des objectifs de la société concessionnaire.

  • Le caractère irréaliste des objectifs fixés

Enfin, la société concessionnaire invoque le caractère irréaliste des objectifs qui lui ont été fixés, alors même que la jurisprudence retient la nécessité d’un caractère réalisable des objectifs (Cass. Com., 1er février 1997, n°95-14.035, Juris-Data n°002082). Elle sollicite ainsi de la Cour d’appel de Paris qu’elle ordonne à son concédant de produire le détail des modalités de fixation de ses objectifs.

Sur ce point, la Cour d’appel souligne que la société E. connaissait la difficulté d’atteindre les objectifs de la société X., dès lors qu’elle n’y était pas parvenue au cours des dernières années. En dépit de cela, elle s’était engagée à augmenter ses performances commerciales afin d’obtenir le renouvellement de son contrat de concession. C’est justement pour cette raison qu’une clause d’objectif minimum avait pour la première fois été insérée dans les relations contractuelles des deux parties. En outre, la société concessionnaire avait elle-même repris ces mêmes chiffres deux mois après la conclusion du nouveau contrat, dans un business plan adressé à son concédant et aux termes duquel elle définissait clairement ses objectifs d’achat.

Par ailleurs, le concessionnaire opérait une comparaison entre les objectifs en cause et ceux atteints par l’ensemble des autres concessionnaires du réseau. Ce faisant, il n’était pas question d’une zone de nature comparable permettant de déterminer le caractère réaliste ou non des objectifs fixés.

Dès lors, la société E. ne pouvait valablement contester le caractère réaliste des chiffres, encore soutenir qu’il ne s’agissait que de chiffres prévisionnels ne l’engageant pas.

Par conséquent, la Cour d’appel confirme le jugement entrepris en ce qu’il a estimé que la société X. avait légitimement mis fin au contrat de concession dans le respect de la clause résolutoire du contrat.

En effet, la société E. ayant manqué à ses obligations contractuelles en ne remplissant pas ses objectifs de vente, la société concédante était en droit d’appliquer la clause litigieuse, sans que la rupture revête un caractère abusif.

A rapprocher : Les mystères de la clause d’objectif minimum ; Clauses d’objectif minimum : conditions de validité et sanctions – CA Grenoble, 10 janv. 2013 et CA Paris, 27 fév. 2013

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