CA Paris, 11 octobre 2018, n°16/24228
La Cour d’appel de Paris précise le champ d’application de l’article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce en rappelant que cette disposition s’applique à toutes les relations commerciales établies, sauf lorsque les relations commerciales sont couvertes par des lois spéciales qui régissent également la rupture des relations contractuelles…
Ce qu’il faut retenir : La Cour d’appel de Paris précise le champ d’application de l’article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce en rappelant que cette disposition s’applique à toutes les relations commerciales établies, sauf lorsque les relations commerciales sont couvertes par des lois spéciales qui régissent également la rupture des relations contractuelles et prévoient son indemnisation, comme en matière de sous-traitance de transport, d’agence commerciale ou, en l’occurrence, de gérance mandat.
Pour approfondir : La société B. et la société C. sont en relations depuis 1988, ayant conclu plusieurs conventions de mandat, puis de gérance-mandat, pour différents fonds de commerce de distribution au détail d’articles chaussants ou d’articles textiles.
Elles ont conclu, en dernier lieu, un contrat de gérance-mandat à durée indéterminée le 29 septembre 2008 pour la gestion d’un fonds de commerce situé à Mérignac.
Cette convention faisait expressément référence aux dispositions des articles L. 146-1 et suivants du Code de commerce et prévoyait une possibilité de résiliation avec un préavis d’une durée variant selon la durée de la relation (deux mois pour une relation supérieure à dix ans et trois mois pour une relation supérieure à vingt ans), outre une indemnité de résiliation (dix mois de commissions si la convention a duré plus de vingt-cinq années).
Par courrier recommandé du 17 juillet 2013, le mandant a résilié la convention de gérance-mandat. Il a ensuite procédé au règlement d’une indemnité de rupture d’un montant de 254.913,60 € en application de l’article 3.5.3 du contrat de gérance-mandat.
Le gérant-mandataire a contesté la durée du préavis, réclamant un préavis de vingt-quatre mois, ainsi que le montant de l’indemnité de rupture. Il a ensuite assigné le mandant devant le Tribunal de commerce de Clermont-Ferrand aux fins d’obtenir le paiement des sommes qu’il estimait lui être dues.
Par jugement en date du 21 mai 2015, le Tribunal de commerce de Clermont-Ferrand s’est déclaré incompétent au profit du Tribunal de commerce de Lyon.
Par jugement du 7 octobre 2016, le Tribunal de commerce de Lyon a débouté le gérant-mandataire de l’intégralité de ses demandes.
Le gérant-mandataire a interjeté appel du jugement, en soutenant que les dispositions d’ordre public de l’article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce sanctionnant la rupture brutale de relations commerciales établies sont applicables en l’espèce, et que l’indemnité de l’article L. 146-4 du Code de commerce n’a pas vocation à indemniser un comportement fautif et n’est donc pas exclusif des dispositions de l’article L. 442-6, I, 5° précité. En réponse, le mandant a soutenu que la gérance-mandat fait l’objet d’un statut particulier régi par l’article L. 146-4 du Code de commerce, prévoyant des règles protectrices et l’indemnisation de la résiliation, de sorte que les dispositions de l’article L. 442-6, I, 5° ne sont pas applicables, ajoutant que la résiliation de la gérance-mandat est déconnectée de toute notion de faute, qu’en outre il n’a commis aucune faute dans l’exécution de la convention, que le préavis contractuellement fixé à trois mois est en conformité avec les dispositions légales, qu’au demeurant le gérant-mandataire a lui-même souhaité l’écourter, tout en étant payé, et qu’enfin le gérant-mandataire a bénéficié d’une indemnité de résiliation correspondant à dix mois de commissions.
Par arrêt du 11 octobre 2018, la Cour d’appel de Paris a confirmé le jugement en toutes ses dispositions, en considérant que les dispositions relatives à la rupture brutale des relations commerciales établies prévues par l’article L. 442-6, I, 5° du Code de Commerce ne s’appliquent pas dans le cadre de la rupture d’un contrat de gérance-mandat.
Après avoir rappelé les dispositions de l’article L. 442-6, I, 5° du Code de Commerce, la Cour a jugé :
« Que l’article L.442-6, I, 5° précité s’applique à toutes les relations commerciales établies, sauf lorsque les relations commerciales sont couvertes par des lois spéciales qui régissent également la rupture des relations contractuelles et prévoient son indemnisation, comme en matière de sous-traitance de transport ou d’agence commerciale ;
Considérant que les conventions de gérance-mandat sont désormais régies par une loi spéciale n° 2005-882 du 2 août 2005 qui a codifié le mécanisme de la gérance-mandat, issu de la pratique, et qui précise dans son exposé des motifs que le but du mécanisme était de « combler un vide juridique, confortant ainsi la situation des gérants-mandataires qui disposent d’une très grande latitude dans la conduite de leur activité sans être cependant propriétaires de leur outil de travail ».
Que les articles L.146-1 et suivants du code de commerce introduits par cette loi définissent les règles applicables aux contrats de gérance-mandat, y compris les règles spécifiques à la fin du contrat.
Qu’il résulte de ces dispositions spécifiques attachées à ce type de contrat que :
- le gérant-mandataire ne supporte pas les risques liés à l’exploitation du fonds ;
- dans la gestion du fonds, le gérant-mandataire agit au nom et pour le compte du propriétaire du fonds ;
- il n’y a pas de transfert des employés attachés au fonds ;
- le gérant-mandataire a droit à une indemnité en fin de contrat.
Que l’article L.146-4 dudit code qui régit la rupture des relations contractuelles prévoit notamment que « le contrat liant le mandant et le gérant-mandataire peut prendre fin à tout moment dans les conditions fixées par les parties » puis détaille les modalités d’indemnisation du gérant-mandataire en cas de résiliation du contrat par le mandant en l’absence de faute grave du gérant-mandataire.
Qu’il en résulte que la cessation des relations contractuelles ayant existé entre un gérant-mandataire et son mandant, spécifiquement prévue par des dispositions spéciales protectrices qui fixent les modalités de la rupture et son indemnisation, bénéficie d’un régime propre et n’est pas soumise aux dispositions de l’article L.442-6, I, 5° du code de commerce ».
La Cour a donc considéré que les premiers juges ont écarté à juste titre l’application de l’article L. 442-6, I, 5° au profit de la loi spéciale régissant les conventions de gérance-mandat choisie par les parties et correspondant à la réalité des fonctions exercées par la société C., cette dernière bénéficiant d’une grande autonomie, sans toutefois en prendre les risques, la rupture étant encadrée et permettant au mandataire de s’organiser pour reprendre une autre activité ou un autre fonds.
La Cour a, par ailleurs, considéré que le préavis de trois mois et l’indemnisation de dix mois de commissions prévus par la convention remplissent complètement les conditions légales et que la brièveté alléguée du préavis n’est pas établie, puisque la loi ne fixe aucune durée, et que les parties avaient conventionnellement prévu un préavis de trois mois qui a été respecté.
Pour rappel, l’article L. 146-4 du Code de commerce dispose que :
« Le contrat liant le mandant et le gérant-mandataire peut prendre fin à tout moment dans les conditions fixées par les parties. Toutefois, en cas de résiliation du contrat par le mandant, sauf faute grave de la part du gérant-mandataire, le mandant lui verse une indemnité égale, sauf conditions plus favorables fixées par les parties, au montant des commissions acquises, ou à la commission minimale garantie mentionnée à l’article L.146-3, pendant les six mois précédant la résiliation du contrat, ou pendant la durée d’exécution du contrat si celle-ci a été inférieure à six mois ».
Cet arrêt a été rendu dans la droite ligne de la jurisprudence antérieure de la Cour d’Appel de Paris, qui avait d’ores et déjà considéré que :
« L’article L 442-6, I, 5° du Code de commerce ne s’applique pas lors de la cessation des relations ayant existé entre un gérant-mandataire et son mandant pour lesquelles les modalités de la rupture sont déterminées d’abord par la loi, et plus précisément par l’article L.146-4 précité, qui laisse la liberté aux parties d’organiser la fin du contrat, et qui prévoit que celle-ci peut intervenir à tout moment et sans préavis, en l’absence de faute grave, sous réserve du paiement d’une indemnité spécifique en application des règles spéciales instaurées par la Loi du 2 août 2005 » (CA Paris, 17 janvier 2018, n° 15/04973 ; CA Paris, 17 janvier 2018, n° 15/04976 ; Cf. également CA Paris, 23 septembre 2016, n° 16/08899).
Cet arrêt s’inscrit également dans la logique des solutions précédemment retenues lorsque des règles spéciales régissent la rupture des relations, et notamment en matière d’agence commerciale pour laquelle la durée de préavis devant être respectée est fixée par l’article L. 134-11 du Code de commerce (Cass. com., 3 avril 2012, n° 11-13.527) ou en matière de transport public routier de marchandises pour lequel un contrat-type prévoit la durée des préavis de rupture (Cass. com., 22 janvier 2008, n° 06-19.440 ; Cass. com., 4 octobre 2011, n° 10-20.240).
A rapprocher : CA Paris, 17 janvier 2018, n° 15/04973 ; CA Paris, 17 janvier 2018, n° 15/04976 ; CA Paris, 23 septembre 2016, n° 16/08899 ; v. aussi, à propos du contrat de gérance-mandat : F.-L. Simon, Des risques de requalification du contrat de gérance-mandat en contrat de travail (Approche pratique et aperçu jurisprudentiel)