CJUE, 4 octobre 2018, aff. C-337/17
L’action d’un créancier tendant à lui rendre inopposable l’acte de disposition réalisé par son débiteur en fraude de ses droits relève de la « matière contractuelle » au sens du Règlement (UE) n° 1215/2012 du 12 décembre 2012 du Parlement européen et du Conseil de l’UE concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale.
En l’espèce, une société polonaise F. (agissant en qualité d’investisseur) avait été contrainte de s’acquitter d’une partie des dettes d’une autre société polonaise C. (agissant en qualité d’entrepreneur général) avec laquelle elle avait signé un contrat de travaux de construction dans le cadre d’un projet d’investissement immobilier en Pologne, et ce par application des dispositions du Code civil polonais portant sur les conditions de mise œuvre de la responsabilité solidaire de l’investisseur. La société F. était ainsi devenue créancière de la société C.
Par actes conclus en 2012, la société C. a vendu à une société A., de droit espagnol, un immeuble situé à Szczecin (Pologne), en procédant à la compensation partielle de créances antérieures détenues par la société A. Toutefois, cette dernière restait devoir à la société C. une somme de l’ordre de 260 K €. Ce faisant, en l’absence d’actifs dans le patrimoine de la société C., la société F. a donc engagé une action paulienne à l’encontre de la société A. devant le tribunal régional de Szczecin (Pologne), sur le fondement du Code civil polonais, afin de voir déclaré le contrat de vente litigieux inopposable à son égard, qu’elle estimait avoir été conclu par son débiteur, la société A., en fraude de ses droits.
C’est dans ce contexte que ce tribunal a décidé de surseoir à statuer afin d’interroger la CJUE sur le point de savoir si une action paulienne relève (ou non) de la « matière contractuelle » au sens du règlement concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale.
Par exception à la règle générale de la compétence des tribunaux de l’État du défendeur, une personne domiciliée sur le territoire d’un État membre peut être attraite dans un autre État membre devant la juridiction du lieu d’exécution de l’obligation qui sert de base à la demande ; cette compétence spéciale implique l’existence d’une obligation juridique librement consentie par une personne à l’égard d’une autre et sur laquelle l’action du demandeur se fonde.
Selon l’arrêt commenté, le droit de gage dont dispose la société F. sur le patrimoine de son débiteur ainsi que l’action en inopposabilité de la vente conclue par ce dernier avec un tiers trouvent leur source dans les obligations librement consenties par la société C. à l’égard de la société F., obligations elles-mêmes issues du contrat relatif à ces travaux de construction. Ainsi, selon la Cour de Justice, pour le cas où l’action paulienne est fondée sur des créances nées d’obligations souscrites par la conclusion d’un contrat, il est loisible au titulaire de ces droits d’introduire son action devant la juridiction du « lieu d’exécution de l’obligation qui sert de base à la demande » ; autrement dit celui où, en application de ce contrat, ces travaux ont été effectivement réalisés, soit en l’espèce en Pologne.
La CJUE estime en outre qu’une telle solution répond d’autant plus à l’objectif de prévisibilité des règles de compétence qu’un professionnel ayant conclu un contrat d’achat immobilier peut, lorsqu’un créancier de son cocontractant prétend que ce contrat est réalisé en fraude des droits de ce créancier à l’égard de ce cocontractant, raisonnablement s’attendre à être attrait devant la juridiction du lieu d’exécution de ces obligations.
Cette solution doit être approuvée dans la mesure où elle permet d’éviter au créancier de se trouver contraint d’introduire son action devant la juridiction du domicile du défendeur, ce for pouvant, le cas échéant, être exempt de tout lien avec le lieu des obligations du débiteur à l’égard de son créancier.