Cass. civ. 3ème, 15 novembre 2018, n°16-26.172, FS-P+B+I
Le juge des loyers commerciaux peut fixer le montant du loyer révisé en se fondant sur un rapport d’expertise amiable établi unilatéralement par le bailleur et sur un rapport d’expertise judiciaire établi dans le cadre d’une instance à laquelle le preneur n’était pas partie, dès lors que ces documents ont été soumis à la discussion contradictoire des parties à la procédure de révision.
Un bailleur commercial avait notifié à son preneur un mémoire en révision du loyer à la valeur locative des locaux loués.
Le preneur contestant le montant du loyer révisé, le bailleur avait saisi le juge des loyers commerciaux d’une demande en fixation du loyer révisé.
A l’appui de sa demande de révision, le bailleur avait produit deux rapports d’expertise fixant à une certaine somme la valeur locative :
- un rapport d’expertise amiable, établi unilatéralement par le bailleur ; et
- un rapport d’expertise judiciaire établi dans le cadre d’une procédure opposant le bailleur à l’un de ses associés relative à la contestation du prix de rachat des parts sociales détenues par cet associé dans le capital de la société bailleresse.
Le preneur avait sollicité à titre principal l’irrecevabilité de la procédure de révision du loyer et, à titre subsidiaire, l’organisation avant dire droit d’une expertise judiciaire afin de déterminer la valeur locative des locaux loués.
Sur la demande d’expertise judiciaire, le preneur faisait notamment valoir qu’en application du principe de la contradiction, le rapport d’expertise judiciaire produit par le bailleur lui était inopposable car il avait été établi dans le cadre d’un litige auquel il n’avait pas été partie.
Tant en première instance qu’en d’appel, le preneur est débouté de sa demande d’organisation d’une expertise judiciaire, aux motifs que :
- dans le cadre de la procédure judiciaire de révision, le preneur avait été en mesure de discuter contradictoirement les conclusions des deux rapports d’expertise produits par le bailleur, de sorte que ceux-ci devaient lui être rendus opposables ; et
- les juges ont pu disposer, sur la base de ces rapports d’expertise, des éléments nécessaires pour fixer la valeur locative des locaux sans avoir à recourir à une nouvelle expertise.
La décision des juges du fond est confirmée par la Cour de cassation : le juge peut, sans violer le principe de la contradiction, se fonder sur un rapport d’expertise judiciaire établi lors d’une instance opposant la bailleresse à son associé et sur le rapport d’expertise amiable établi unilatéralement à la demande du bailleur pour déterminer la valeur locative de révision, dans la mesure où les éléments contenus dans ces rapports ont été soumis à la libre discussion des parties.
La Cour de cassation avait déjà admis qu’un rapport d’expertise amiable, établi unilatéralement à la demande d’une partie, puisse valoir comme élément de preuve devant les juridictions, dès lors qu’il a été régulièrement communiqué à l’autre partie et soumis à la libre discussion des parties (Cass. civ. 3ème, 23 mars 2005, n°04-11.455, publié au Bulletin).
En revanche, elle avait considéré que les juges ne peuvent valablement statuer en se fondant exclusivement sur les éléments d’une expertise amiable établie à la demande d’une partie, quand bien même ces éléments auraient été débattus contradictoirement, sous peine de porter atteinte au droit à un procès équitable prévu à l’article 6 §1 de la CEDH (Cass. civ. 3ème, 3 février 2010, n°09-10.631, publié au Bulletin ; Cass. civ. Mixte, 28 septembre 2012, n°11-18.710, P+B+R+I).
Dans l’affaire commentée, la Cour de cassation vient apporter une nouvelle pierre à l’édification de cette jurisprudence en énonçant que le juge des loyers commerciaux peut valablement statuer sur le loyer révisé en se fondant sur les conclusions d’une expertise à laquelle l’une des parties est étrangère dès lors qu’il s’agit d’une expertise judiciaire et que les parties à la procédure de révision ont pu librement débattre de ce document.
A rapprocher : Article 16 du code de procédure civile ; Article 6 §1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; Article R.145-30 du code de commerce ; Cass. civ. 3ème, 23 mars 2005, n°04-11.455, publié au Bulletin ; Cass. civ. 3ème, 3 février 2010, n°09-10.631, publié au Bulletin ; Cass. civ. Mixte, 28 septembre 2012, n°11-18.710, P+B+R+I