Cass. com., 23 septembre 2014, n°13-22.624
Plus le savoir-faire présente un caractère technique, spécifique et/ou original, plus il paraît justifié – selon la jurisprudence – d’admettre que l’interdiction de non-concurrence soit longue. Plus il semble probable que le savoir-faire sera encore utilisé une fois que le contrat de franchise aura cessé, plus il paraît justifié – selon la jurisprudence – de valider la clause de non-concurrence post-contractuelle ou de non-réaffiliation. Par l’orientation qu’elle insuffle, la décision commentée participe de l’édification lente mais cohérente de la jurisprudence relative aux clauses de non-concurrence post-contractuelle et de non-réaffiliation dans les contrats de distribution .
Ce qu’il faut retenir : Plus le savoir-faire présente un caractère technique, spécifique et/ou original, plus il paraît justifié – selon la jurisprudence – d’admettre que l’interdiction de non-concurrence soit longue. Plus il semble probable que le savoir-faire sera encore utilisé une fois que le contrat de franchise aura cessé, plus il paraît justifié – selon la jurisprudence – de valider la clause de non-concurrence post-contractuelle ou de non-réaffiliation. Par l’orientation qu’elle insuffle, la décision commentée participe de l’édification lente mais cohérente de la jurisprudence relative aux clauses de non-concurrence post-contractuelle et de non-réaffiliation dans les contrats de distribution (F.-L. SIMON, La clause de non-concurrence post-contractuelle dans les contrats de distribution (Panorama de jurisprudence et Prospective), LDR 9 janvier 2019).
Pour approfondir :
Selon les arrêts objets du pourvoi, statuant sur renvoi après cassation (Cass. com., déc., 26 mai 2009, n° 08-11.588), une société a conclu en 1991 un contrat de franchise d’une durée de sept ans pour l’exploitation d’un fonds de commerce d’alimentation sous l’enseigne « S… », assorti en cas de résiliation d’une clause de non-réaffiliation d’une durée de 3 ans, ainsi qu’un contrat d’approvisionnement d’une durée de 5 ans ; après avoir déposé cette enseigne et substitué à celle-ci l’enseigne « C… », la société a notifié, en 1995, au franchiseur la rupture de leurs relations contractuelles ; ce dernier, estimant que la société franchisée avait manqué à ses obligations contractuelles, a engagé successivement deux procédures d’arbitrage.
Après avoir, par une première sentence, constaté la résiliation des contrats aux torts de la société franchisée et condamné cette dernière à payer au franchiseur certaines sommes au titre du règlement de marchandises et de l’indemnité contractuelle de rupture, le tribunal arbitral, par une seconde sentence, l’a également condamnée à payer au franchiseur une certaine somme à titre de dommages-intérêts en raison de la violation de la clause de non-réaffiliation.
Estimant que deux sociétés s’étaient rendues complices des manquements de la société franchisée à ses obligations contractuelles, le franchiseur les a fait assigner en indemnisation de leur préjudice ; l’arrêt rejetant leurs demandes a été cassé. Les parties ont conservé leurs prétentions devant la Cour de renvoi, qui a consulté l’Autorité de la concurrence sur la licéité, au regard des articles L. 420-1 et L. 420-2 du code de commerce, de la clause de non-réaffiliation contestée.
Ayant relevé qu’une sentence arbitrale est revêtue d’une autorité de chose jugée qui n’a d’effet qu’entre les parties et souverainement apprécié l’intérêt de la société tierce, qui n’était ni partie ni représentée à l’instance arbitrale, à former une tierce opposition incidente à son encontre, la cour d’appel, après avoir justement retenu la recevabilité de ce recours, a pu en déduire que la société tierce pouvait invoquer la non-conformité de la clause de réaffiliation aux articles L. 420-1 et L. 420-2 du code de commerce, pour faire échec à l’action en responsabilité dirigée contre elle, indépendamment du caractère par ailleurs définitif de la sentence à l’égard des parties.
Pour considérer que, de ces constatations et appréciations, la Cour d’appel a pu déduire que disproportionnée au but poursuivi, la clause l’était également dans sa durée, la décision commentée retient :
- « qu’ayant relevé l’existence d’un savoir-faire, dont elle a apprécié les faibles technicité, spécificité, et originalité, comme étant centré sur la politique de promotion de l’enseigne, incluant sa politique tarifaire, et souligné que les méthodes de ce savoir-faire sont abandonnées au profit de celles du nouveau franchiseur quand un franchisé s’affilie à une autre enseigne, la cour d’appel a légalement justifié sa décision » ;
- « ensuite, après avoir constaté que l’interdiction faite au franchisé de se réaffilier et de vendre des produits de marques de distributeur liées à une enseigne de renommée nationale ou régionale concurrente ne trouve application que lorsque le contrat prend fin par anticipation en raison de fautes du franchisé, l’arrêt retient, d’abord, que cette clause tend à décourager les franchisés de quitter prématurément le réseau, ne concerne pas la protection du savoir-faire et des intérêts légitimes du franchiseur et a pour effet de porter une atteinte illégitime à la liberté du franchisé d’exercer son commerce dans des conditions normales ; il relève, ensuite, qu’à l’égard des clauses de non-concurrence, qui en principe apportent une restriction plus grande à la liberté commerciale du franchisé que les clauses de non-réaffiliation, la durée raisonnable fixée par les règlements communautaires n°4087/88 et n°330/2010, pour protéger les droits du franchiseur et la réputation du réseau, ne peut excéder un an, et qu’il n’est pas démontré que le commerce de distribution de détail alimentaire présente une technicité telle qu’il impose une clause de non-réaffiliation d’une durée de trois ans ; il constate, enfin, au sein du réseau Carrefour, une variabilité de la durée des clauses de non-réaffiliation que le franchiseur n’a pu expliquer par des raisons objectives ».
Cette décision appelle de notre part deux séries d’observations.
En premier lieu, la Cour de cassation retient qu’« il n’est pas démontré que le commerce de distribution de détail alimentaire présente une technicité telle qu’il impose une clause de non-réaffiliation d’une durée de trois ans ». Ce type de solution est classique (Cass. com., 12 mars 2002, n°99-14.762 : pour une durée de cinq ans). Par cette décision, la Cour de cassation ne remet pas en cause le critère retenu par les juges du fond pour apprécier la proportionnalité de la durée de la clause de non-concurrence : le savoir-faire à protéger.
Plus le savoir-faire présente un caractère technique, spécifique et/ou original, plus il paraît justifié – selon la jurisprudence – d’admettre une durée longue de l’interdiction de non-concurrence post-contractuelle ou, comme en l’espèce, de non-réaffiliation. Cette idée figurait nettement dans la décision objet du pourvoi (CA Paris, Pôle 5, ch. 4, 6 mars 2013, n°09/16817) qui, à ce titre, avait souligné que la consistance du savoir-faire apparaît particulièrement limitée, le savoir-faire étant centré sur la politique de promotion de l’enseigne (conseils en rayon, logiciel de gestion, assortiments, cadenciers, promotion, politique tarifaire). Cette idée apparaît encore dans d’autres décisions de la Cour d’appel de Paris (CA Paris, 11 septembre 2013, n°11/14380 : soulignant que « la nature de ce savoir-faire de faibles technicité, spécificité, et originalité, il n’est aucunement établi que l’obligation (de non-réaffiliation) du contrat soit indispensable à la protection du savoir-faire transféré »). La Cour de cassation n’est pas insensible à cette motivation puisqu’elle souligne précisément que les juges du fond avaient (souverainement) « relevé l’existence d’un savoir-faire, dont elle a apprécié les faibles technicité, spécificité, et originalité, comme étant centré sur la politique de promotion de l’enseigne, incluant sa politique tarifaire ».
Plus il semble probable que le savoir-faire sera encore utilisé une fois que le contrat de franchise aura cessé, plus il paraît justifié – selon la jurisprudence – de valider la clause de non-concurrence post-contractuelle ou de non-réaffiliation. Cette idée figurait encore dans la décision objet du pourvoi (CA Paris, Pôle 5, ch. 4, 6 Mars 2013, n°09/16817) qui, à ce titre, soulignait que les méthodes constituant le savoir-faire « sont abandonnées au profit de celles du nouveau franchiseur quand un franchisé s’affilie à une autre enseigne ». La Cour de cassation n’est pas insensible à cette motivation puisqu’elle fait également sienne cette motivation dans l’attendu reproduit plus haut.
Au regard de ce qui précède, la Cour d’appel a pu déduire que la clause litigieuse était disproportionnée dans sa durée : à ce titre, le premier critère d’appréciation conduit donc à une analyse du savoir-faire du franchiseur, créancier de l’obligation de non-concurrence post-contractuelle. Le second critère d’appréciation conduit en revanche à une analyse du devenir du savoir-faire une fois le franchisé sorti du réseau ; la décision ne précise pas – elle n’avait pas à le faire – si ce second critère est à appréhender de manière distincte selon que la clause en présence est une clause de non-concurrence post-contractuelle ou une clause de non-réaffiliation.
En second lieu, la Cour de cassation retient qu’« après avoir constaté que l’interdiction faite au franchisé de se réaffilier (…) à une enseigne de renommée nationale ou régionale concurrente ne trouve application que lorsque le contrat prend fin par anticipation en raison de fautes du franchisé, l’arrêt retient, d’abord, que cette clause tend à décourager les franchisés de quitter prématurément le réseau, ne concerne pas la protection du savoir-faire et des intérêts légitimes du franchiseur et a pour effet de porter une atteinte illégitime à la liberté du franchisé d’exercer son commerce dans des conditions normales ». Dit autrement, la clause est suspectée de ne pas tendre à la protection du savoir-faire dès lors qu’elle ne s’applique que dans l’hypothèse où le contrat se trouve résilié, et non dans celle où il arriverait à son terme alors que, dans cette seconde hypothèse, le savoir-faire mérite protection. L’argument est pertinent ; reste toutefois à déterminer si cette circonstance participe d’une simple maladresse rédactionnelle ou, alternativement, si elle témoigne d’une volonté de décourager les franchisés de quitter prématurément le réseau. Dans un grand nombre de cas, la thèse de la maladresse rédactionnelle est évidement peu crédible, mais elle ne peut pour autant être systématiquement exclue.
Au regard de ce qui précède, la Cour d’appel a pu déduire en l’espèce que la clause litigieuse était disproportionnée quant au but poursuivi.
A rapprocher : La clause de non-concurrence post-contractuelle dans les contrats de distribution (Panorama de jurisprudence et Prospective)