CA Paris, 23 janvier 2019, n°16/16856 - CA Paris, 20 février 2019, n°15/13603
Le refus d’agrément constitue un accord de volontés, et non pas une pratique unilatérale, et peut donc être appréhendé sur le fondement du droit des ententes.
Ce qu’il faut retenir :
Le refus d’agrément constitue un accord de volontés, et non pas une pratique unilatérale, et peut donc être appréhendé sur le fondement du droit des ententes. Les refus d’agrément discriminatoires sont donc de nature à rendre le réseau illicite au regard des critères posés par l’arrêt Metro de la CJCE et à constituer une entente verticale anticoncurrentielle entre le fournisseur et les membres de son réseau s’ils ont un objet ou un effet anticoncurrentiel, c’est-à-dire s’ils s’insèrent dans une politique générale du fournisseur visant à exclure une ou des formes déterminées de distribution qui seraient aptes à distribuer les produits en cause, à créer des barrières artificielles à l’entrée sur le marché de la distribution des produits concernés ou à éliminer des distributeurs menant une pratique de prix bas.
Pour approfondir :
La distribution sélective est un système de distribution par lequel un fournisseur s’engage à ne vendre ses produits ou services qu’à des distributeurs sélectionnés sur la base de critères définis. Il en résulte que tout distributeur remplissant les critères de sélection qualitatifs définis doit, en principe, avoir la possibilité d’être agréé par le fournisseur. Certaines juridictions ont raisonné ainsi en ordonnant au fournisseur d’agréer un distributeur remplissant les critères de sélection lorsque le refus d’agrément ne reposait sur aucun motif sérieux (CA Paris, 11 juin 2015, n°14/01423).
D’autres ont cependant considéré qu’il n’existait aucune obligation pour le fournisseur d’agréer un candidat remplissant les critères de sélection en raison du principe fondamental de la liberté contractuelle (CA Paris, 19 octobre 2016, n°14/07956 ; CA Paris, 27 février 2017, n°15/12029).
La cour d’appel de Paris semble être revenue sur ses positions dans plusieurs décisions rendues récemment en la matière, dans lesquelles le fournisseur avait fait valoir qu’il n’y avait pas à faire prévaloir les règles de concurrence sur les principes de liberté de contracter et de négocier, conséquences du principe de la liberté du commerce et de l’industrie.
La cour a cependant considéré que le distributeur avait répliqué à juste titre que « la liberté du commerce et son corollaire, la liberté de contracter, trouvent leurs limites dans les règles de concurrence, d’ordre public » (CA Paris, 23 janvier 2019, n°16/16856).
Par ces arrêts, la cour d’appel de Paris considère, d’une part, que le refus d’agrément constitue un accord de volontés, et non pas une pratique unilatérale, et peut donc être appréhendé sur le fondement du droit des ententes (1) et rappelle, d’autre part, les conditions dans lesquelles un refus d’agrément peut être sanctionné au regard du droit des ententes (2).
1) Le refus d’agrément constitue un accord de volontés, et non pas une pratique unilatérale, et peut donc être appréhendé sur le fondement du droit des ententes
Dans deux affaires soumises à la cour (CA Paris, 23 janvier 2019, n°16/16856 et CA Paris, 20 février 2019, n°15/13603), le fournisseur considérait que le refus de contracter est un acte unilatéral et ne peut donc pas être appréhendé sur le fondement du droit des ententes, qui suppose un accord entre au moins deux parties visant à restreindre ou à fausser le jeu de la concurrence.
La cour d’appel de Paris a cependant considéré que, contrairement aux allégations du fournisseur, la jurisprudence dite Volkswagen (CJCE, 13 juillet 2006, Volkswagen, C-74/04 P) n’avait pas remis en cause la qualification d’un refus d’agrément de distributeurs par le fournisseur comme entente au sein du réseau, admise par la Cour de justice dans un arrêt du 25 octobre 1983 (CJCJE, 25 octobre 1983, AEG, Affaire 107/82).
En effet, les systèmes de distribution sélective ne sont considérés comme conformes à l’alinéa 1 de l’article 101 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne (TFUE) qu’à la condition que le choix des revendeurs s’opère en fonction de critères objectifs de caractère qualitatif relatifs à la qualification professionnelle du revendeur, de son personnel et de ses installations, et que ces critères soient fixés d’une manière uniforme à l’égard de tous les revendeurs potentiels et appliqués de façon non discriminatoire.
La CJCE a donc considéré :
« qu’il s’ensuit que la mise en œuvre d’un système de distribution sélective fondé sur des critères autres que ceux précités constitue une infraction à l’article 85, paragraphe 1 (devenu 101, alinéa 1 du TFUE). Il en est de même pour le cas où un système en principe conforme au droit communautaire est appliqué dans la pratique d’une manière incompatible avec celui-ci » (§ 36). « En effet, une telle pratique doit être considérée comme illicite, lorsque le fabricant, en vue de maintenir un niveau de prix élevé ou d’exclure certaines voies de commercialisation modernes, refuse d’agréer des distributeurs qui répondent aux critères qualitatifs du système » (§ 37).
« Une pareille attitude de la part du fabricant ne constitue pas un comportement unilatéral de l’entreprise qui, comme le soutient AEG, échapperait à l’interdiction de l’article 85, paragraphe 1, du traité. Elle s’insère, par contre, dans les relations contractuelles que l’entreprise entretient avec les revendeurs. En effet, dans le cas d’admission d’un distributeur, l’agrément se fonde sur l’acceptation, expresse ou tacite, de la part des contractants, de la politique poursuivie par AEG exigeant, entre autres, l’exclusion du réseau de distributeurs ayant les qualités pour y être admis, mais n’étant pas disposés à adhérer à cette politique » (§ 38) (CJCJE, 25 octobre 1983, AEG, Affaire 107/82).
La cour rappelle également que la CJCE a certes précisé dans son arrêt Volkswagen qu’en l’absence de dispositions contractuelles pertinentes, l’existence d’un accord au sens de l’article 101 § 1 supposait l’acquiescement, explicite ou tacite, de la part des concessionnaires à la mesure adoptée par le constructeur automobile, cet acquiescement pouvant par exemple être démontré par la pratique effective, par les concessionnaires, de l’invitation du fabricant.
La cour rappelle cependant que la Commission avait objecté à juste titre dans l’affaire AEG que « si on admettait la conception de la requérante (AEG) selon laquelle les conditions de l’article 85, paragraphe 1, ne sont pas réunies du fait qu’il s’agirait d’actions unilatérales, on devrait conclure qu’une politique discriminatoire d’admission dans le cadre d’un système de distribution sélective est compatible avec l’article 85 et que le principe établi par la Cour de justice dans l’arrêt Metro du 25 octobre 1977 de la sélection des revendeurs sur la base de critères objectifs d’ordre qualitatif et de l’application non discriminatoire des conditions d’admission n’a aucune valeur juridique » (CJCE, 25 octobre 1983, AEG, Affaire 107/8, III-C-§ 1 in fine).
La cour a donc considéré que le refus d’agrément constitue un accord de volontés, et non pas une pratique unilatérale, et peut donc être appréhendé sur le fondement du droit des ententes.
2) Sur l’appréciation du refus d’agrément au regard du droit des ententes
Dans la première affaire (CA Paris, 23 janvier 2019, n°16/16856), un refus d’agrément a été notifié à un réparateur agréé en février 2016. La cour d’appel a donc fait application du Règlement (UE) n°461/2010 de la Commission du 27 mai 2010 concernant l’application de l’article 101, paragraphe 3, du TFUE à des catégories d’accords verticaux et de pratiques concertées dans le secteur automobile applicable à compter du 1er juin 2010 et du Règlement général (UE) n°330/2010 de la Commission du 20 avril 2010 concernant l’application de l’article 101, paragraphe 3, du TFUE à des catégories d’accords verticaux et de pratiques concertées applicable à compter de la même date.
Après avoir rappelé les critères de l’arrêt Pierre Fabre (CJUE, 13 octobre 2011, Aff. C-439/09, Pierre Fabre Dermo-Cosmétique), le réparateur agréé à qui le constructeur avait opposé un refus d’agrément soutenait qu’un refus d’agrément discriminatoire constituerait en soit une restriction de concurrence par objet, rendant le réseau illicite, et que le constructeur serait obligé de l’agréer en tant que réparateur agréé parce que l’activité de réparation agréée est fondée sur un système de distribution sélective purement qualitative, qui interdit au fournisseur de refuser la conclusion d’un contrat dès lors que le candidat à la conclusion dudit contrat remplit les critères qualitatifs.
Le constructeur a répliqué que le réparateur agréé faisait fi de la liberté contractuelle et qu’il prétendrait donc, en matière de distribution sélective, à un droit perpétuel à se maintenir dans le réseau en l’absence de manquement contractuel, peu important que le contrat arrive à échéance.
La cour rappelle, en premier lieu, que la Cour de justice a rappelé dans un arrêt Pierre Fabre que les accords qui constituent un système de distribution sélective influencent nécessairement la concurrence dans le marché commun et sont à considérer, à défaut de justification objective, en tant que « restrictions par objet ».
La cour rappelle, en second lieu, que cette justification objective peut résider dans des exigences légitimes, telles que le maintien du commerce spécialisé capable de fournir des prestations spécifiques pour des produits de haute qualité et technicité, qui justifient une réduction de la concurrence par les prix au bénéfice d’une concurrence portant sur d’autres éléments que les prix.
Les systèmes de distribution sélective constituent donc, du fait qu’ils visent à atteindre un résultat légitime, qui est de nature à améliorer la concurrence, là où celle-ci ne s’exerce pas seulement sur les prix, un élément de concurrence conforme à l’article 101, paragraphe 1, TFUE.
La cour rappelle, en dernier lieu, que la CJCE a déjà relevé que l’organisation d’un tel réseau ne relève pas de l’interdiction de l’article 101, paragraphe 1, du TFUE, pour autant que le choix des revendeurs s’opère en fonction de critères objectifs de caractère qualitatif, fixés d’une manière uniforme à l’égard de tous les revendeurs potentiels et appliqués de façon non discriminatoire, que les propriétés du produit en cause nécessitent, pour en préserver la qualité et en assurer le bon usage, un tel réseau de distribution et, enfin, que les critères définis n’aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire (CJCE, arrêts du 25 octobre 1977, Metro SB-Großmärkte/Commission, 26/76, Rec. p.1875, point 20, ainsi que du 11 décembre 1980, L’Oréal, 31/80, Rec. p.3775, points 15 et 16).
La cour en conclu que « les refus d’agrément discriminatoires sont donc de nature à rendre le réseau illicite au regard des critères Metro et à constituer une entente verticale anticoncurrentielle entre le fournisseur et les membres de son réseau s’ils ont un objet ou un effet anticoncurrentiel, c’est-à-dire s’ils s’insèrent dans une politique générale du fournisseur visant à exclure une ou des formes déterminées de distribution qui seraient aptes à distribuer les produits en cause, à créer des barrières artificielles à l’entrée sur le marché de la distribution des produits concernés ou à éliminer des distributeurs menant une pratique de prix bas » (CA Paris, 23 janvier 2019, n°16/16856 ; Cf. également CA Paris, 12 décembre 2018, n°16/19853). La cour a donc vérifié si le refus d’agrément opposé au réparateur agréé avait un objet ou un effet anticoncurrentiel. En l’occurrence, la cour a considéré, d’une part, que la pratique qui lui était soumise consistait dans un refus isolé d’agrément opposé par le constructeur au réparateur agréé à la suite de la résiliation ordinaire de son contrat de réparateur agréé, qui avait été justifiée par une absence de partenariat constructif du réparateur et le désintérêt manifesté par ce dernier à l’égard de la marque, et non par une volonté de porter atteinte à la concurrence. La cour a donc considéré que ce refus d’agrément n’avait pas d’objet anticoncurrentiel. La cour a considéré, d’autre part, que le réparateur ne démontrait pas que le refus d’agrément serait de nature à affecter le fonctionnement concurrentiel du marché de la réparation automobile, dans la mesure où la concurrence sur le marché de la réparation et de l’entretien des véhicules est réelle, de sorte qu’il n’est pas difficile, pour un réparateur qui se voit résilier son contrat de réparateur agréé, ou pour un candidat à l’agrément qui se voit refuser l’agrément par un constructeur, d’obtenir la représentation d’une autre marque ou enseigne ; qu’en l’espèce, le chiffre d’affaires de réparateur agréé de la marque ne représentait que 0,25 % du chiffre d’affaires total de ce réparateur ; enfin, que le refus d’agrément ne l’empêchera pas de poursuivre la réparation des véhicules de la marque, bien que n’étant plus réparateur agréé de la marque, et même si les conditions sont moins favorables que celles de réparateur agréé.
En dernier lieu, la cour s’est prononcée sur la question de savoir si le constructeur pouvait se prévaloir de l’exemption automatique s’appliquant, selon l’article 3 du Règlement (UE) n°330/2010, à condition que la part de marché détenue par le fournisseur ne dépasse pas 30 % du marché en cause. Elle a considéré que le marché en cause est le seul marché de l’entretien et de la réparation propre aux véhicules particuliers de la marque du constructeur par référence à l’avis de l’Autorité de la concurrence n°12-A-21 du 8 octobre 2012 relatif au fonctionnement concurrentiel des secteurs de la réparation et de l’entretien de véhicules et de la fabrication et de la distribution de pièces de rechange, en considérant au surplus que, même si la concurrence avec les autres réseaux de réparateurs agréés, les réseaux de franchise et les indépendants est réelle sur ce marché, « le client final préfère faire réparer ou entretenir son véhicule dans le réseau agréé plutôt que chez un réparateur indépendant. En outre, ceux-ci connaissent des freins dans la concurrence tenant, d’une part, à l’accès aux pièces de rechange de la marque, restreint par des clauses anticoncurrentielles, et d’autre part, aux informations techniques de la marque ». Après avoir constaté que, sur l’ensemble de l’entretien-réparation, les réseaux de constructeurs détenaient en 2010 une part de marché en valeur supérieure à 50 % en moyenne, la cour a jugé que le refus d’agrément ne pouvait donc bénéficier de l’exemption automatique.
A rapprocher : CA Paris, 12 décembre 2018, RG n°16/19853