Article L.442-6 du Code de commerce : Précisions sur la compétence exclusive de la cour d’appel de Paris

Cass. com., 20 février 2019, n°17-21.861

L’appel interjeté à l’encontre d’un jugement rendu dans un litige relatif à l’application de l’article L.442-6 du Code de commerce par une juridiction spécialisée – c’est-à-dire désignée à l’annexe 4-2-1 du Livre IV du même code , relève de la compétence exclusive de la cour d’appel de Paris.

L’appel interjeté dans un litige de même nature par une juridiction non spécialisée relève en revanche de la compétence des cours d’appel désignées conformément à l’article R.311-3 du Code de l’organisation judiciaire, à charge pour ces dernières le cas échéant de relever d’office l’excès de pouvoir commis par la juridiction ayant statué sur les demandes relatives à l’application de l’article L.442-6 du Code de commerce alors que celles-ci étaient irrecevables car ne relevant pas de leur pouvoir juridictionnel.

***

L’arrêt rendu par la Cour de cassation le 20 février 2019 est l’occasion de revenir sur les règles de compétence de juridiction qui, depuis plusieurs arrêts rendus le 29 mars 2017 (pourvois n°15-17.659, 15-24.241 et 15-15.337) par la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, semblent désormais applicables aux procédures d’appel interjetées à l’encontre de jugements rendus sur le fondement l’article L.442-6 du Code de commerce.

La compétence de la cour d’appel de Paris en cette matière parait à présent dépendre de la juridiction ayant statué en premier ressort :

  • si la juridiction ayant statué sur l’application de l’article L.442-6 du Code de commerce est une des juridictions spécialisées listées à l’annexe 4-2-1 du Livre IV, la cour d’appel de Paris est exclusivement compétente pour connaitre de l’appel interjeté à l’encontre du jugement ;
  • si au contraire la juridiction ayant statué sur l’application de l’article L.442-6 du Code de commerce n’est pas l’une des juridictions spécialisées susvisées (alors même qu’elle était dépourvues de pouvoir juridictionnel pour ce faire), alors la cour d’appel dite « naturelle », c’est-à-dire désignée conformément à l’article R.311-3 du Code de l’organisation judiciaire, connaitra de l’appel formé à l’encontre du jugement ainsi rendu. La cour d’appel ainsi désignée devra alors relever d’office l’excès de pouvoir commis par la juridiction ayant statué sur les demandes relatives à l’application de l’article L.442-6 du Code de commerce alors que celles-ci étaient irrecevables car ne relevant pas de leur pouvoir juridictionnel.

Cette faculté pour les cours d’appel dites « naturelles » de connaitre des appels interjetés à l’encontre de jugements, relatifs à l’application de l’article L.442-6 du Code de commerce, rendus par des juridictions non spécialisées n’a cependant pas toujours existé ; elle résulte de plusieurs arrêts de la chambre commerciale de la Cour de cassation du 29 mars 2017 sur lesquels il est intéressant de revenir.

I. Principe : la cour d’appel de Paris est seule compétente pour connaitre des jugements rendus sur le fondement de l’article L.442-6 du Code de commerce par les juridictions spécialisées

L’article L.442-6 du Code de commerce énumère les pratiques dites restrictives de concurrence que le législateur a entendu sanctionner, au nombre desquelles figurent notamment le très en vogue « déséquilibre significatif » (C. com., art. L.442-6, I, 2°) ou encore la rupture brutale des relations commerciales établies (C. com., art. L.442-6, I, 5°).

Les litiges relatifs à l’application de cet article font l’objet de règles de compétence particulières posées aux articles L.442-6, III et D.442-3 du Code de commerce. Ces règles de compétence sont d’ordre public.

A. Sur la compétence des juridictions spécialisées

L’article L.442-6, III du Code de commerce prévoit que :

« Les litiges relatifs à l’application du présent article sont attribués aux juridictions dont le siège et le ressort sont fixés par décret. »

Le législateur a ainsi entendu attribuer à un nombre limité de juridictions spécialisés les litiges relevant de l’article L.442-6 du Code de commerce. Huit tribunaux spécialisés, listés à l’annexe 4-2-1 du Livre IV du même code, ont ainsi été désignés pour connaitre de ces litiges.

Au sens de ce texte, pour que le litige relève de la compétence des juridictions spécialisées, il suffit que l’article L.442-6 du Code de commerce soit invoqué :

  • par l’une des parties, même par le défendeur (CA Douai, 4 avril 2012, RG n°12/00259),
  • même à titre accessoire (Cass. com., 24 septembre 2013, n°12-21.089),
  • même lorsque l’article L.442-6 est invoqué à titre subsidiaire, incident ou reconventionnel et ce, même à titre superfétatoire (CA Grenoble, 30 juin 2016, RG n°13/04262 ; CA Douai, 4 avril 2012, RG n°12/00259 ; CA Chambéry, 19 juin 2018, RG n°16/02474) et « même si le litige porte pour une autre partie, même essentielle, sur la responsabilité contractuelle » (CA Paris, 14 décembre 2016, RG n°14/14207 ; CA Grenoble, 21 juillet 2016, RG n°16/02264),
  • même s’il est invoqué à côté d’autres fondements de droit commun ou d’autres textes relatifs à la responsabilité contractuelle (Cass. com., 17 janvier 2018, n°17-10360 ; Cass. com., 7 octobre 2014, n°13-21.086 ; Cass. com., 6 sept. 2016, n°14-27.085 et 15-15.328 ; CA Paris, 17 janvier 2018, RG n°17/21527).

Cette compétence n’est en effet pas subordonnée à l’examen du bien-fondé des demandes (Cass. com., 26 mars 2013, n°12-12.685 ; CA Grenoble, 30 juin 2016, RG n°13/04262 ; CA Douai, 4 avril 2012, RG n°12/00259 ; CA Chambéry, 19 juin 2018, RG n°16/02474).

Toute intervention d’une juridiction non spécialisée est exclue.

L’objectif poursuivi par le législateur est de garantir une uniformité de la jurisprudence rendue en matière de pratiques restrictives de concurrence, ce qui se comprend aisément eu égard à la complexité de la matière et à l’importance économique des enjeux qu’elle traite.

B. Sur l’appel interjeté à l’encontre d’un jugement relatif à l’application de l’article L.442-6 du Code de commerce

S’agissant de l’appel formé à l’encontre des décisions rendues par les juridictions spécialisées compétentes pour connaitre de l’application de l’article L.442-6 du Code de commerce, l’article D.442-3 du Code de commerce (crée par le décret n°2009-1384 du 11 novembre 2009) prévoit quant à lui que :

« Pour l’application de l’article L.442-6, le siège et le ressort des juridictions commerciales compétentes en métropole et dans les départements d’outre-mer sont fixés conformément au tableau de l’annexe 4-2-1 du présent livre.

La cour d’appel compétente pour connaître des décisions rendues par ces juridictions est celle de Paris ».

Il résulte de ce qui précède que seule la cour d’appel de Paris est donc investie des pouvoirs pour statuer sur les appels formés contre une décision rendue par une juridiction spécialisée dans le cadre d’un litige portant sur l’application de l’article L.442-6 du Code de commerce.

II. Cas particulier : la compétence des juridictions dites « naturelles » dans l’hypothèse d’un jugement rendu sur le fondement de l’article L.442-6 du Code de commerce par une juridiction non spécialisée

A. Ancien régime

Jusqu’à récemment, les cours d’appel et la Cour de cassation jugeaient que seule la cour d’appel de Paris pouvait statuer sur un litige relatif à l’article L.442-6 du Code de commerce, et ce même si le tribunal saisi en première instance ne faisait pas partie de la liste des tribunaux spécialisés.

En d’autres termes, la cour d’appel de Paris était compétente pour trancher de l’ensemble des recours formés à l’encontre des décisions portant sur des litiges relatifs à l’article L.442-6 du Code de commerce, que ces décisions aient été rendues par :

  • les juridictions spécialisées ou,
  • des juridictions non spécialisées, qui auraient tranché des litiges relatifs à l’article L.442-6 du Code de commerce, alors même qu’elles étaient dépourvues de pouvoir juridictionnel pour ce faire.

La Cour de cassation considérait en effet que « la cour d’appel de Paris [était investie] du pouvoir juridictionnel exclusif de statuer sur les appels formés contre les décisions rendues dans les litiges relatifs à l’application de l’article L.442-6 […] ».

Il en résultait que les appels formés, non devant la cour d’appel de Paris, mais devant les cours d’appel dites « naturelles » (c’est-à-dire désignées conformément aux dispositions de l’article R.311-3 du Code de l’organisation judiciaire), étaient jugés irrecevables.

Cette position a néanmoins soulevé des réflexions de la jurisprudence et de la doctrine à deux égards :

  • d’une part, une interprétation littérale de l’article D.442-3 du Code de commerce pourrait conduire à considérer que la compétence exclusive de la cour d’appel de Paris ne concernerait que les recours formés à l’encontre des décisions rendues par les juridictions spécialisées (« pour connaître des décisions rendues par ces juridictions »).

Au sens de ce texte, les appels interjetés à l’encontre de jugements rendus par des juridictions non spécialisées seraient donc, en principe, susceptibles d’être formés devant la cour d’appel compétente en application de l’article R.311-3 du Code de l’organisation judiciaire (ce qui n’était cependant pas, ainsi que cela a été vu ci-dessus, la position retenue par la jurisprudence jusqu’alors) ;

  • d’autre part, la sanction de l’irrecevabilité de l’appel formé devant une juridiction autre que la cour d’appel de Paris conduisait à faire perdurer dans l’ordre juridique des décisions rendues par des juridictions non spécialisées (le délai pour faire appel ayant généralement expiré à la date où l’irrecevabilité est prononcée).

B. Nouveau régime

C’est dans ce contexte que la Cour de cassation a estimé par plusieurs arrêts rendus le 29 mars 2017, que la solution susvisée adoptée jusqu’alors était « source, pour les parties, d’insécurité juridique » et qu’elle conduisait « en outre au maintien de décisions rendues par des juridictions non spécialisées ».

Dans un attendu de principe, la Cour de cassation a ainsi estimé :

« Attendu qu’il apparaît donc nécessaire d’amender cette jurisprudence, tout en préservant l’objectif du législateur de confier l’examen des litiges relatifs à l’application de l’article L.442-6 du Code de commerce à des juridictions spécialisées ; qu’il convient, pour y parvenir, de retenir qu’en application des articles L.442-6, III, et D.442-3 du Code de commerce, seuls les recours formés contre les décisions rendues par les juridictions du premier degré spécialement désignées sont portés devant la cour d’appel de Paris, de sorte qu’il appartient aux autres cours d’appel, conformément à l’article R.311-3 du Code de l’organisation judiciaire, de connaître de tous les recours formés contre les décisions rendues par les juridictions situées dans leur ressort qui ne sont pas désignées par le second texte ; qu’il en est ainsi même dans l’hypothèse où celles-ci auront, à tort, statué sur l’application du premier, auquel cas elles devront relever, d’office, l’excès de pouvoir commis par ces juridictions en statuant sur des demandes qui, en ce qu’elles ne relevaient pas de leur pouvoir juridictionnel, étaient irrecevables ».

Il ressort de cette décision que, dans l’hypothèse où une juridiction non spécialisée aurait tranché – à torts car dépourvu du pouvoir juridictionnel pour ce faire – un litige relatif à l’application de l’article L.442-6 du Code de commerce, la cour d’appel désignée conformément à l’article R.311-3 du Code de l’organisation judiciaire connaitra de l’appel formé à l’encontre du jugement ainsi rendu.

La Cour de cassation ajoute que, dans ce cas, la cour d’appel ainsi désigné devra relever d’office l’excès de pouvoir commis par la juridiction ayant statué sur les demandes relatives à l’application de l’article L.442-6 du Code de commerce alors que celles-ci étaient irrecevables car ne relevant pas de leur pouvoir juridictionnel.

Il ressort de la décision, de manière claire et sans équivoque, qu’elle ne concerne que les recours formés contre des décisions rendues sur le fondement de l’article L.442-6 du Code de commerce par des juridictions non spécialisées.

Partant, cette décision ne vient pas remettre en question la compétence exclusive de la cour d’appel de Paris pour connaitre des procédures d’appel interjetées à l’encontre des jugements rendus par des juridictions spécialisées.

III. Conclusion sur le présent arrêt

Ainsi, dans l’arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation du 20 février 2019, la Haute juridiction, après avoir rappelé le principe issu de ses arrêts du 29 mars 2017 :

« Mais attendu que par plusieurs arrêts rendus le 29 mars 2017 (pourvois n°15-17.659, 15 24.241 et 15-15.337), la chambre commerciale, financière et économique, amendant sa jurisprudence selon laquelle la cour d’appel de Paris était seule investie du pouvoir juridictionnel de statuer sur les recours formés contre les décisions rendues dans les litiges relatifs à l’application de l’article L.442-6 du Code de commerce, même lorsqu’elles émanaient de juridictions non spécialement désignées par l’article D. 442-3 du même code, a jugé qu’en application des articles L.442-6, III et D.442-3 du Code de commerce, seuls les recours formés contre les décisions rendues par les juridictions du premier degré spécialement désignées relevaient de la cour d’appel de Paris », a relevé que l’arrêt objet du pourvoi a, à bon droit, fait application de la jurisprudence ancienne, toujours en vigueur en 2015 au moment où l’appel a été interjeté, de sorte qu’il ne saurait être reproché aux appelants de ne pas avoir fait application des règles issues de la jurisprudence postérieure qu’ils ne pouvaient pas, par essence, anticiper :

« l’application, à la présente instance, de la règle issue du revirement de jurisprudence, qui conduirait à retenir l’irrecevabilité de l’appel formé devant la cour d’appel de Paris, aboutirait à priver la société Stradale, qui ne pouvait ni connaître, ni prévoir, à la date à laquelle elle a exercé son recours, la nouvelle règle jurisprudentielle limitant le pouvoir juridictionnel de la cour d’appel de Paris, d’un procès équitable, au sens de l’article 6, paragraphe 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; que la censure de l’arrêt n’est, dès lors, pas encourue ; que le moyen ne peut être accueilli ».

La tendance de la jurisprudence de la Cour de cassation en matière de compétence des cours d’appel s’agissant des jugements rendus en application de l’article L.442-6 du Code de commerce semble ainsi se consolider au fil des arrêts rendus par la chambre commerciale. Il conviendra de rester attentif aux prochains arrêts susceptibles d’être rendus sur cette question afin de déterminer si cette position se verra ou non confirmée.

A rapprocher : Cass. com., 17 janvier 2018, n°17-10.360 et Cass. com., 21 mars 2018, n°16-28.412

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