CA Paris, 15 mai 2019, n°17/20051
En l’absence de preuve de l’interdépendance du contrat de bail commercial et du contrat de franchise, la résiliation unilatérale du contrat de franchise par le franchisé, du fait de la cessation du bail, est fautive.
En l’espèce, une société a conclu en janvier 2008 un bail commercial consenti pour une durée de neuf ans avec une SCI.
Le 7 décembre 2012, une enseigne de la grande distribution a signé un contrat de franchise avec cette société pour une durée initiale de dix ans, cette convention spécifiant le lieu d’exploitation dans les locaux loués depuis janvier 2008.
Par la suite, la SCI a cédé son immeuble à une filiale du groupe concurrent du franchiseur.
En septembre 2015, la société franchisée a sollicité le renouvellement du bail auprès de son nouveau bailleur, lequel a refusé le renouvellement et offert au franchisé le paiement d’une indemnité d’éviction, avec obligation de quitter les lieux à une date déterminée.
Par la suite, le franchisé a informé son franchiseur du non-renouvellement de son bail commercial à la date déterminée, et lui a en conséquence notifié la fin du contrat de franchise les liant à cette même date, en raison de l’impossibilité, selon lui, de continuer l’exploitation du magasin.
Le franchiseur a pris acte de la résiliation du contrat de franchise aux torts exclusifs du franchisé et lui a demandé le paiement d’une indemnité à ce titre, par application de la clause de résiliation anticipée, correspondant aux sommes restant dues jusqu’au terme du contrat de franchise ainsi que le paiement de redevances et le remboursement du budget d’enseigne.
S’opposant aux demandes du franchiseur, le franchisé l’a assigné devant le tribunal de commerce de Bordeaux.
Le franchiseur a alors formulé plusieurs demandes reconventionnelles en dommages et intérêts du fait de la rupture du contrat de franchise et en paiement de divers frais.
Le tribunal de commerce de Bordeaux a estimé que le contrat de franchise a été résilié du fait du franchisé, et l’a condamné à payer :
- au titre de l’indemnité de résiliation, une somme de 70.000 euros,
- au titre du remboursement du budget d’enseigne, la somme de 66.500 euros,
- au titre du comportement déloyal, la somme de 10.000 euros.
Le franchisé a interjeté appel du jugement aux motifs que les contrats de bail commercial et de franchise revêtaient un caractère d’interdépendance, le contrat de franchise ayant été spécifiquement conclu aux fins d’exploitation du fonds de commerce dans les locaux donnés à bail, de sorte que le non-renouvellement du contrat de bail commercial, a entraîné la caducité du contrat de franchise conclu avec le franchiseur. Il a alors estimé que la caducité n’ouvrait droit à aucune indemnisation au profit du franchiseur.
Le franchiseur a soutenu, quant à lui, que le contrat de franchise n’était pas caduc, en l’absence d’indivisibilité des contrats de bail commercial et de franchise, mais a été résilié aux torts exclusifs de la société franchisée, à laquelle il appartenait d’anticiper l’hypothèse du non-renouvellement du bail par l’enseigne concurrente, et de poursuivre le contrat dans un autre local, ce que le contrat permettait avec son accord.
Dans sa décision, objet du présent commentaire, la cour d’appel de Paris a estimé qu’il y a lieu de confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a jugé que « le contrat de franchise a bien été rompu volontairement et unilatéralement par le franchisé aux fins de se libérer sans frais d’un accord qui ne lui convenait pas ».
A ce titre, la cour d’appel de Paris a rappelé que la partie qui invoque l’indissociabilité de deux contrats doit démontrer que l’exécution de l’un devient impossible sans l’exécution de l’autre, cette preuve pouvant résulter d’une stipulation contractuelle en ce sens ou de preuves relatives aux conditions d’exécution de chacun de ces contrats.
Or, elle a retenu que le franchisé n’apporte pas la preuve de l’indissociabilité des contrats de bail commercial et de franchise. En effet, « aucune stipulation contractuelle ne lie expressément les deux contrats ».
Elle a noté par ailleurs que le contrat de franchise et le contrat de bail commercial ne constituent pas une opération économique unique dans la mesure où « l’exécution du contrat de franchise était possible dans un autre local (…) » d’autant plus que « les deux contrats n’ont pas été conclus entre les mêmes (sociétés) et l’ont été à des dates différentes pour des durées distinctes ».
De surcroît, elle considère que contrairement aux allégations de la société franchisée, aucune stipulation du contrat de franchise ne s’opposait au transfert de l’activité du franchisé dans un autre local que celui mentionné au contrat, ledit contrat prévoyant que « le franchisé ne pourra en aucun cas déplacer ou transférer son activité dans un autre local, sauf accord préalable et écrit du franchiseur ». Cette clause avait pour unique but d’empêcher que le franchisé ne procède au transfert de son fonds de commerce sans l’agrément exprès du franchiseur.
La cour condamne donc la société franchisée à régler au franchiseur, au titre du contrat de franchise, les indemnités subséquentes mais en limitant le montant de ces dernières.
Pour rappel, en vertu de l’effet relatif des conventions, chaque contrat doit, en principe, être regardé comme autonome, de sorte qu’il ne peut produire d’effet sur les autres contrats (v. notamment art. 1165 ancien du Code civil ; article 1199 nouveau du Code civil).
Or, l’existence d’un lien d’indivisibilité entre les contrats, de sorte qu’ils seraient interdépendants, a pour conséquence que le sort de l’un serait alors lié au sort de l’autre. Cette théorie a fait l’objet de longs débats en jurisprudence.
La solution est aujourd’hui fournie par l’ordonnance du 10 février 2016 qui est venue instaurer un nouvel article 1186 du Code civil posant le régime suivant relativement à l’interdépendance des conventions :
« Un contrat valablement formé devient caduc si l’un des éléments essentiels disparaît.
Lorsque l’exécution de plusieurs contrats est nécessaire à la réalisation d’une même opération et que l’un d’eux disparaît, sont caducs les contrats dont l’exécution est rendue impossible par cette disparition et ceux pour lesquels l’exécution du contrat disparu était une condition déterminante du consentement d’une partie. (…) ».
Dans sa décision, la cour d’appel a été amenée à appliquer le critère de l’impossible exécution du contrat en raison de la disparition de l’autre (étant précisé que le nouvel article 1186 du Code civil ne trouvait pas à s’appliquer aux faits de l’espèce).
Pour ce faire, elle s’est fondée sur les deux approches de l’indivisibilité contractuelle, à savoir l’indivisibilité subjective et l’indivisibilité objective :
- la première trouverait sa source dans la volonté des parties,
- la deuxième doit être appréciée non pas au regard de la volonté des parties, mais en considération de l’opération économique globale des deux conventions.
En l’espèce, aucune des deux approches n’a été retenue par la cour d’appel de Paris.
S’agissant de la première, elle ne pouvait être retenue puisqu’aucune stipulation contractuelle ne prévoyait expressément une interdépendance entre les contrats. S’agissant de la seconde approche, elle ne pouvait non plus être retenue puisque l’exécution du contrat de franchise était possible dans un autre local et que les deux contrats avaient des caractéristiques différentes, notamment au sujet de la durée, et des parties, ce qui empêche toute démonstration d’une opération d’ensemble.
L’élément déterminant dans le raisonnement de la cour d’appel était de dire que la disparition du contrat de bail commercial n’emportait nullement l’impossible exécution du contrat de franchise. Au contraire, le franchisé avait contractuellement la liberté de retrouver un autre local pour exercer son activité sous la même enseigne.
Cette solution a le mérite de rappeler qu’un contrat à durée déterminée (en l’occurrence un contrat de franchise) doit, par principe, être exécuté jusqu’à son terme et ne peut être rompu unilatéralement par une partie pour simple convenance, peu importe l’intervention d’une circonstance extérieure tant qu’elle ne rend pas impossible l’exécution du contrat.
A rapprocher : Article 1186 du Code civil ; Article 1187 du Code civil