Cass. com., 2 octobre 2019, n°18-15.676, Publié au Bulletin
Est nulle la clause de non-concurrence post-contractuelle qui n’est pas limitée dans l’espace, celle limitée à un territoire imprécis, comme celle dont la limitation territoriale apparaît excessive. Il en va de même de la clause érigeant une interdiction dans un rayon de cinquante kilomètres autour du point de vente et de tout fonds de commerce exploité par le créancier de l’obligation, une telle interdiction conduisant au cas présent, compte tenu du maillage de l’enseigne, à une impossibilité de fait de toute réinstallation du débiteur sur le territoire national.
Le 26 avril 2010, la société A…, spécialisée en conseil pour les affaires et la gestion, a conclu avec la société B…, en vue de l’exploitation d’un magasin appartenant à celle-ci, un contrat de gérance-mandat d’une durée d’un an avec tacite reconduction, prenant effet au 1er avril 2010 ; la société B… l’ayant informée, par lettre du 14 janvier 2013, que le contrat ne serait pas renouvelé au-delà du 31 mars 2013, la société A… l’a assignée, le 25 septembre 2013, en paiement de dommages-intérêts, notamment pour rupture brutale de la relation commerciale établie en application de l’article L.442-6, I, 5° du Code de commerce et, subsidiairement, sur le fondement de l’article 1382 du Code civil, ainsi qu’en annulation de la clause de non-concurrence post-contractuelle et en réparation du préjudice correspondant. Le présent commentaire se concentre uniquement sur la question de la validité de la clause de non-concurrence post-contractuelle.
Ladite clause de non-concurrence post-contractuelle est rédigée de la manière suivante :
« En cas de cessation des relations contractuelles quelle qu’en soit la cause, le Gérant Mandataire et ses représentants s’interdisent d’exercer, directement ou indirectement à quelque titre que ce soit, dans un rayon de cinquante (50) kilomètres à vol d’oiseau du fonds de commerce objet du présent mandat et de tous fonds de commerce qui seraient exploités par le Mandant, une activité susceptible de concurrencer directement ou indirectement ce dernier, et ce, pendant une durée de deux ans à compter de la date d’expiration ».
Ainsi donc, cette clause de non-concurrence post-contractuelle était :
- limitée quant à l’activité en cause : à savoir l’activité visée par le contrat,
- limitée dans le temps : à savoir deux ans à compter de la date de cessation du contrat,
- limitée dans l’espace : à savoir, un rayon de cinquante kilomètres autour du point de vente visé par le contrat et de tout fonds de commerce qui serait exploité par le mandant.
Au cas d’espèce, la validité de la clause de non-concurrence post-contractuelle du contrat de gérance-mandat était contestée sous l’angle de la liberté d’entreprendre : la société A… soulevait en effet la nullité de cette clause aux motifs que la nature de l’activité interdite n’était pas suffisamment précise, que les limitations dans l’espace étaient trop étendues, et que la clause était ainsi disproportionnée.
Après avoir rappelé qu’« [i]l est de principe qu’une clause de non-concurrence est licite, dès lors qu’elle est limitée dans le temps et dans l’espace et proportionnée aux intérêts légitimes à protéger » (v. récemment, sur ce point : Cass. com., 28 novembre 2018, n°17-18.619 ; CA Paris, Pôle 5, chambre 4, 3 octobre 2018, n°16/11454 ; CA Paris, Pôle 5, chambre 4, 3 octobre 2018, n°16/05817), la cour d’appel de Paris (CA Paris, Pôle 5 – chambre 4, 17 janvier 2018, n°15/04973) annule ladite clause pour trois motifs distincts, à savoir :
- « La clause limite à un rayon de cinquante kilomètres autour des magasins Gifi la possibilité au gérant-mandataire et à ses représentants d’exercer une activité susceptible de concurrencer directement ou indirectement son activité. Cette clause apparaît très étendue quant à l’espace concerné par l’interdiction d’exercer une activité concurrente, l’espace n’étant pas précisément défini et limité » ;
- « En outre, la clause est disproportionnée au regard de la durée de la restriction de 2 années (…) »
- « la clause est disproportionnée au regard […] du but recherché par celle-ci, alors que le savoir-faire justifiant l’interdiction n’est pas décrit et encore moins établi ».
L’auteur du pourvoi (incident) indiquait quant à lui :
- qu’est suffisamment limitée dans l’espace et dans le temps – et donc licite –, une clause qui interdit pendant une durée de deux ans à un ancien mandataire-gérant d’exercer directement ou indirectement une activité susceptible de concurrencer celle du mandant dans un rayon de cinquante kilomètres à vol d’oiseau du fonds de commerce objet du mandat et de tous fonds de commerce qui seraient exploités par le gérant, de sorte que la cour d’appel a violé l’article 1134 du Code civil en sa version applicable au litige,
- et qu’en ne s’expliquant pas sur le fait expressément souligné par les conclusions de la société B… que son réseau ne couvrait absolument pas le territoire national et laissait une très large marge d’installation à son ancien mandataire-gérant, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard du texte précité.
L’arrêt commenté retient que : « Mais attendu que l’arrêt retient, par motifs propres et adoptés, que la clause de non-concurrence prévue au contrat, qui fixe à un rayon de cinquante kilomètres à vol d’oiseau autour des magasins [B…] l’interdiction pour la société [A…] ou ses représentants d’exercer une activité concurrente, conduit, compte tenu de la densité du réseau de la société [B…] sur l’ensemble du territoire français et de la diversité de son activité, à une impossibilité, de fait, de toute réinstallation ; qu’il retient encore que la clause ne décrit ni n’établit l’intérêt légitime de la société [B…], justifiant une telle interdiction pendant une durée de deux années ; qu’en l’état de ces appréciations, la cour d’appel, qui a ainsi répondu aux conclusions invoquées par la seconde branche, a pu annuler cette clause ; que le moyen n’est pas fondé ».
Deux idées se dégagent donc de l’arrêt commenté.
En premier lieu, pour ce qui concerne la question de la limitation dans l’espace, la jurisprudence retient traditionnellement qu’est nulle la clause de non-concurrence post-contractuelle qui n’est pas limitée dans l’espace (CA Paris, Pôle 5, chambre 4, 9 janvier 2019, n°16/21425 ; CA Nancy, 6 mai 2015, n°14/00190), celle limitée à un territoire imprécis (CA Paris, 23 septembre 2015, n°12/22096), comme celle dont la limitation territoriale apparaît excessive (CA Bourges, 10 septembre 2015, n°15/00061 et Cass. com., 23 septembre 2014, n°13-20.454 : pour un rayon de 50 km autour du point de vente ; v. aussi, Cass. com., 12 mars 2002, n°99-14.762).
Le courant majoritaire de la jurisprudence admet le plus souvent une limitation géographique au « territoire » conféré à titre exclusif au distributeur (CA Rennes, 23 octobre 2007, n°06/06364 ; CA Rennes, 17 janvier 2012, n°10/07801) ; mais, il est vrai aussi qu’une étendue bien plus large peut être admise (v. par exemple : CA Paris, Pôle 5, chambre 4, 3 mai 2017, n°12/23530 : un rayon de 150 Km autour d’une agence d’auto-école ; CA Paris, Pôle 5, chambre 5, 5 juillet 2018, n°16/04886 et n°16/05225 : un rayon de 80 Km autour d’une agence de courtage en prêts immobiliers).
Or, en l’espèce, la chambre commerciale de la Cour de cassation approuve l’arrêt objet du pourvoi (à juste titre selon nous) en ce qu’il a retenu que la condition relative à la limitation dans l’espace n’est pas remplie dès lors que l’interdiction – s’appliquant à un rayon de cinquante kilomètres à vol d’oiseau autour de chacun des magasins du réseau (et non pas seulement au magasin objet du contrat) – revenait au cas présent, compte tenu de l’importance du maillage territorial de l’enseigne considérée, à une impossibilité de fait de toute réinstallation sur le territoire national. C’est là l’apport de l’arrêt commenté.
En second lieu, pour ce qui concerne la question de la limitation dans le temps, la jurisprudence retient traditionnellement qu’est nulle la clause de non-concurrence post-contractuelle qui n’est pas suffisamment limitée dans le temps (v. pour une durée de deux ans à compter de la cessation du contrat : CA Paris, Pôle 5, chambre 5, 5 juillet 2018, n°16/05225, JurisData n°2018-013211 ; CA Paris, Pôle 5, chambre 10, 18 juin 2018, n°16/18446 – v. contra, CA Rouen, 10 mars 2017, n°15/04721 : considérant que la clause de non-concurrence post-contractuelle applicable pour une durée de deux ans est proportionnée).
Or, en l’espèce, la chambre commerciale de la Cour de cassation approuve l’arrêt objet du pourvoi en ce qu’il a retenu que la condition relative à la limitation dans le temps n’est pas remplie.
A rapprocher : La clause de non-concurrence post-contractuelle dans les contrats de distribution (Panorama de jurisprudence et Prospective)