Déséquilibre significatif et rejet de la demande du ministre de l’économie en cas d’échantillonnage

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SIMON François-Luc

Avocat Associé-Gérant - Docteur en droit

TC Rennes, 22 octobre 2019, n°2017F00131

Le ministre chargé de l’économie a l’obligation de verser aux débats les contrats dont il entend faire juger qu’ils comportent des dispositions relevant du déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties. Autrement dit, la juridiction saisie par le ministre ne peut accueillir les demandes qu’il formule au titre de contrats qu’il s’abstient de verser aux débats. Ce faisant, la demande du ministre doit être rejetée.

Dans cette affaire, le ministre chargé de l’économie avait notamment demandé au tribunal de commerce de Rennes de dire et juger que les obligations imposées aux franchisés dans le cadre d’un contrat de franchise étaient manifestement déséquilibrées au sens de l’article L.442-6, I, 2° du Code de commerce. Le ministre de l’Économie avait procédé à ce qu’il est convenu d’appeler la technique de « l’échantillonnage », en faisant valoir que l’ensemble des contrats de franchise conclus par le franchiseur (67 au total) comportait des stipulations contraires aux dispositions de l’article L.442-6, I, 2° du Code de commerce, sans pour autant verser chacun de ces contrats aux débats ; il n’en communiquait que 20 sur 67. Autrement dit, le ministre de l’Économie considérait ainsi qu’« un seul et même modèle de contrat, comprenant des clauses (ou des mises en œuvre de clauses) qu’il estime litigieuses, vaut pour l’ensemble du réseau » (Jugement, page 34).

Le franchiseur, défendeur à l’action, faisait valoir qu’il appartient au demandeur, le ministre de l’économie, de démontrer que chacun desdits contrats comporte effectivement les clauses litigieuses, ce qui implique qu’il verse donc chacun de ces contrats aux débats.

Plus précisément, quels étaient les moyens en présence ?

En l’espèce, les motifs avancés par le ministre de l’économie n’étaient pas de la plus grande clarté puisque, répondant à l’un (seulement) des griefs opposés par le défendeur, il se contentait d’indiquer : « le ministre ne s’est pas abstenu de produire aux débats des contrats de franchise au mépris du principe du contradictoire dans la mesure où le ministre a versé aux débats l’ensemble des contrats de franchise que les enquêteurs de la DGCCRF ont pu recueilli lors de leurs investigations ». La technique de « l’échantillonnage » dispenserait alors le ministre de verser tous les contrats.

La position du défendeur se fondait (logiquement) sur :

  • le principe fondamental inscrit à l’article 9 du Code de procédure civile selon lequel : « Il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention » ;
  • l’article 132 du Code de procédure civile (« La partie qui fait état d’une pièce s’oblige à la communiquer à toute autre partie à l’instance. La communication des pièces doit être spontanée. ») et l’article 133 du même code (« Si la communication des pièces n’est pas faite, il peut être demandé, sans forme, au juge d’enjoindre cette communication. »).

Avant le jugement commenté, le droit positif se caractérisait par un ensemble de décisions, comprenant notamment :

  • deux jugements du tribunal de commerce de Créteil rendu le 13 décembre 2011, ayant relevé : « […] le tribunal ne peut pas se prononcer sans faire référence à des faits précis, que le ministre pour justifier sa demande verse aux débats 124 contrats relatifs à 58 fournisseurs et qu’il demande au tribunal, sur cette base, de statuer sur « le contrat cadre annuel 2009 et son annexe II (conditions d’achat) » de manière générale indiquant qu’environ 2.750 fournisseurs pourraient être concernés, alors que chacun de ces contrats est individualisé avec le nom du fournisseur, que, même si ces 124 contrats comportent des clauses identiques, le tribunal ne peut généraliser à l’ensemble des fournisseurs sur la base des 124 contrats en statuant, de manière générale sans référence à des contrats précis et donc à des fournisseurs précis » (TC Créteil, 13 décembre 2011, n°2009F01017 et n°2009F01018, inédits (voir sur Lexbase)) ;
  • un arrêt rendu le 1er octobre 2014 par la cour d’appel de Paris, ayant relevé que « le ministre de l’économie, demandeur à l’action, [a] la charge de la preuve devant les juridictions commerciales […] » (CA Paris, 1er octobre 2014, n°13/16336) ;
  • un arrêt rendu le 20 décembre 2017 par la cour d’appel de Paris retenant : « Si le principe de la présomption d’innocence, selon lequel le doute profite à l’accusé, s’applique à la pratique de déséquilibre significatif, celle-ci relevant de la matière pénale au sens de l’article 6 de la CEDH, il appartient au juge commercial de vérifier que Y apporte la démonstration de la caractérisation de la pratique, par des éléments suffisamment probants, conformément à l’article 9 du Code de procédure civile, selon lequel « Il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention » (CA Paris, Pôle 5 – chambre 4, 20 décembre 2017, n°13/04879) ; ainsi donc, « si le ministre prétend que les clauses litigieuses ont été « intégrées dans toutes les conventions » […] ou que « tous les fournisseurs de la société intimée ont donc été concernés par ces clauses » […], il n’appuie cette affirmation sur aucun élément de preuve, son action ne reposant que sur les cinq conventions précitées, seules communiquées aux débats […]. Le ministre soutient en vain que la majorité des fournisseurs d’ITM serait concernée par la clause, et serait dans l’incapacité de résister aux demandes d’ITM, car il n’en rapporte pas la preuve, seules 5 conventions étant versées aux débats » (CA Paris, Pôle 5 – chambre 4, 20 décembre 2017, préc.).

En retenant que, s’agissant des contrats de franchise non versés aux débats, le ministre chargé de l’économie est défaillant dans l’administration de la preuve, le jugement commenté s’inscrit dans le courant jurisprudentiel qui vient d’être présenté.

Pour motiver cette solution – parfaitement justifiée selon nous –, le tribunal de commerce de Rennes observe qu’« un contrat de franchise n’est pas de facto un contrat d’adhésion », que la « capacité de négociation du futur franchisé existe, surtout dans un réseau de moyenne envergure […] » et qu’« il est donc impossible de considérer que le contrat signé par un franchisé soit strictement identique à celui signé par un autre franchisé », outre que « le contrat de franchise n’est soumis à aucun formalisme, et peut exister sans écrit […] ».

A rapprocher : CA Paris, Pôle 5 – chambre 4, 20 décembre 2017, n°13/04879 ; CA Paris, 1er octobre 2014, n°13/16336 ; TC Créteil, 13 décembre 2011, n°2009F01017 et n°2009F01018

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