Cass. com., 22 janvier 2020, n°18-21.647, Publié au bulletin
La clause qui permet à un prêteur de retenir les fonds figurant sur les comptes de l’emprunteur, et ce sans qu’aucune créance ne soit devenue exigible, s’analyse comme une résiliation unilatérale du contrat de prêt en contradiction avec les dispositions de l’article L.622-13 du Code de commerce.
En l’espèce, la banque C consent, le 27 juillet 2016, à la société P un prêt garanti par un nantissement sur les comptes bancaires dont cette société est titulaire dans ses livres.
Le 1er août 2017, la société P est placée sous procédure de redressement judiciaire.
A la suite de cette ouverture, l’administrateur judiciaire désigné dans le cadre de cette procédure demande à la banque C de procéder au virement des sommes figurant sur les comptes bancaires de la société P au profit de la banque D.
Toutefois, la banque C refuse de faire droit à cette demande se prévalant du nantissement précité ainsi que du droit de rétention prévu à titre d’accessoire audit nantissement en cas d’ouverture d’une procédure collective.
La banque C se prévaut, en effet, de ses conditions générales annexées au contrat de prêt précité, lesquelles stipulent notamment que :
« Le prêteur pourra se prévaloir du nantissement en cas d’ouverture d’une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire, de liquidation judiciaire ou d’une procédure de traitement des situations de surendettement des particuliers et sera donc en droit d’isoler sur un compte spécial bloqué à son profit sur les soldes créditeurs des comptes nantis existant à la date du jugement déclaratif d’ouverture de la procédure collective ».
Dans ce contexte, la société P décide d’assigner la banque C devant le président du tribunal de commerce de Paris en référé, et ce aux fins de l’enjoindre, sous astreinte de 10.000 € par jour de retard, à restituer les sommes retenues.
Par ordonnance rendue le 19 septembre 2017, le président du tribunal de commerce de Paris fait droit à la demande de la société P et enjoint la banque C à restituer les sommes retenues.
La banque C décide alors d’interjeter appel à l’encontre de cette ordonnance estimant, d’une part, que ce contentieux ne peut faire l’objet d’une procédure de référé, les demandes de la société P se heurtant à des contestations sérieuses et, d’autre part, que le nantissement de compte litigieux est conforme aux dispositions de l’article 2356 du Code civil étant exprimé par écrit et désignant la créance garantie. La banque C estime également que les notions de compensation ou de paiement préférentiel sont étrangères au fond du litige et ne peuvent être invoquées par la société P.
Par arrêt rendu le 21 décembre 2018, la cour d’appel de Paris rejette les demandes formées par la banque C et confirme l’ordonnance rendue par le président du tribunal de commerce de Paris le 19 septembre 2017, estimant principalement que :
« la clause litigieuse qui permet à l’organisme prêteur de séquestrer les fonds figurant sur les comptes de l’emprunteur, aboutit à l’autoriser, alors même qu’il n’existait encore aucune mensualité impayée ni même aucune créance exigible en raison du différé prévu pour les remboursements, à prélever sur les comptes une partie du capital prêté par voie de compensation et opère comme une résiliation unilatérale du contrat de prêt en contrariété avec les dispositions de l’article L.622-13 précité ».
La Banque C décide alors de former un pourvoi en cassation.
Par arrêt rendu le 22 janvier 2020 et sur le fondement des dispositions de l’article L.622-13 du Code de commerce relatif aux contrats en cours, la chambre commerciale de la Cour de cassation rejette ce pourvoi, et confirme l’interprétation des juges du fond.
Cette décision est cohérente au regard de la jurisprudence antérieure relative la mise en œuvre des clauses de nantissement de compte bancaire dans le cadre des procédures collectives (Cass. com., 7 novembre 2018, n°16-25.860).
Toutefois, une lecture attentive des deux arrêts rendus le 7 novembre 2018 et le 22 janvier 2020 permet de constater une différence quant aux fondements utilisés par la chambre commerciale de la Cour de cassation.
En effet, dans le cadre de l’arrêt rendu le 7 novembre 2018, la chambre commerciale de la Cour de cassation a estimé qu’en cas d’ouverture d’une procédure collective, le créancier bancaire bénéficiant d’un nantissement de compte bancaire accessoire d’un contrat de prêt ne pouvait procéder à la réalisation de sa sûreté par la rétention du solde bancaire lorsque que les échéances dudit prêt sont régulièrement payées fondant ainsi son raisonnement sur la notion d’exigibilité.
Or, dans le cadre de l’arrêt rendu le 22 janvier 2020, la Cour de cassation, reprenant la motivation développée par les juges du fond, estime que la rétention de ces sommes par le créancier bancaire au motif d’une ouverture d’une procédure collective, s’analyse comme une résiliation unilatérale du contrat de prêt, et ce en contrariété avec les dispositions de l’article L.622-13 du Code de commerce.
L’utilisation de l’article L.622-13 du Code de commerce peut surprendre, la jurisprudence estimant qu’un contrat de prêt dont les fonds ont été intégralement débloqués ne constitue pas un contrat en cours (Cass. com., 9 février 2016, n°14-23.229).
Ainsi, si la décision de la chambre commerciale de la Cour de cassation rendue le 22 janvier 2020 paraît cohérente au regard de la jurisprudence antérieure, l’utilisation des dispositions de l’article L.622-13 du Code de commerce, relatives aux contrats en cours, apparaît, quant à elle, étonnante.
A rapprocher : Articles 2356, 2360 et 2287 du Code civil ; Articles L.622-7 et L.622-13 du Code de commerce ; Cass. com., 7 novembre 2018, n°16-25.860 ; Cass. com., 9 février 2016, n°14-23.229