Samedi 19 décembre 2020, la Chine a publié de nouvelles règles destinées à contrôler certains investissements étrangers.
Les opportunités sur le marché chinois post covid sont réelles pour les entreprises françaises en manque de reprise. Tout particulièrement dans certains secteurs visés par le plan quinquennal, adopté lors du dernier plénum qui consacre la théorie de la « double circulation ». La Chine entend ainsi servir, protéger son marché intérieur et passer le cap du revenu de 10k USD par habitant, tout en accueillant les investissements étrangers et en particulier ceux qui lui permettront de réduire son retard technologique dans certains secteurs stratégiques.
Pour répondre à ce double objectif, la National Development and Reform Commission (NDRC) et le Ministry of Commerce (MOFCOM) ont édicté des nouvelles mesures de contrôle de certains investissements étrangers le 19 décembre dernier. Approuvées par le Conseil d’Etat, elles seront en vigueur dans les 30 jours de leur promulgation.
Dans leur communiqué de presse, les autorités chinoises rappellent que ces dernières années, les Etats Unis, l’Australie, l’Allemagne ou le Japon ont eux aussi pris des mesures de contrôle des investissements étrangers.
Rappelons en effet que le département américain de la Défense vient d’ajouter des dizaines d’entreprises chinoises sur leur liste noire et que l’Europe a mis en place un mécanisme renforçant la coopération entre Etats membres de l’UE pour mieux contrôler les investissements étrangers dans les secteurs stratégiques, en vigueur depuis le 11 octobre.
Parallèlement, la Chine, après avoir signé son accord RCEP avec les pays d’Asie Pacifique le mois dernier, est en train d’accélérer les négociations avec l’Europe et vise la signature du traité sur les investissements Europe-Chine d’ici la fin de l’année. Elle pourra ainsi montrer à la future administration Biden, probablement peu encline à changer de stratégie dans ses rapports avec la Chine, qu’elle est à même d’établir des rapports commerciaux équilibrés avec le reste du monde.
Quels sont les investissements concernés ?
Ces nouvelles mesures rappellent, si besoin était, que la loi sur la sécurité nationale est supérieure à la loi sur les investissements étrangers.
Les investissements étrangers inclus dans le champ d’application de cette nouvelle règlementation visent toute forme d’investissement, à la fois les fusions et acquisitions, les investissements directs, les investissements indirects, les nouveaux investissements et les réinvestissements effectués par des investisseurs étrangers par l’intermédiaire de la structure VIE ou d’entreprises à investissement étranger établies sur leur territoire.
Deux catégories d’investissement sont visées par les nouvelles mesures :
La première catégorie concerne les investissements dans des domaines liés à la défense et à la sécurité nationales ou les investissements à proximité d’installations militaires. Il n’y a pas de limite au montant des investissements dans cette catégorie, ni de limite au ratio de participation.
La deuxième catégorie concerne les investissements visant à prendre le contrôle effectif des entreprises dans les secteurs d’activités suivants : produits agricoles importants, des ressources et de l’énergie importantes, la fabrication d’équipements importants, des infrastructures importantes, des services de transport importants, des produits et services culturels importants, des produits et services importants dans le domaine des technologies de l’information et de l’Internet, des services financiers importants, des technologies clés et d’autres domaines importants liés à la sécurité nationale.
Même si les nouvelles mesures énumèrent précisément les secteurs qui nécessitent un « examen de la sécurité », les expressions sont encore relativement générales, l’autorité compétente disposera ainsi d’un large pouvoir discrétionnaire pour déterminer si les activités d’investissement concernées entrent dans le champ de l’examen de la sécurité.
La prise de contrôle s’entend également de façon extrêmement large et ne se limite pas au seul critère de la détention capitalistique puisque sont visés les investissements étrangers visant :
(I) plus de 50 % du capital d’une entreprise ;
(II) moins de 50 % du capital d’une entreprise, mais que les droits de vote que l’investisseur étranger détient peuvent avoir un impact significatif sur les résolutions du conseil d’administration, du conseil des actionnaires ou de l’assemblée générale des actionnaires ; et
(III) ou dans lesquelles l’investisseur étranger peut avoir un impact significatif sur les décisions commerciales de l’entreprise, les ressources humaines, les finances, la technologie, etc.
Quelle est la procédure à suivre ?
Un nouveau Bureau nommé littéralement le « bureau des mécanismes de travail », que l’on pourrait traduire par « bureau des traitements des requêtes » est créé sous l’égide du NDRC mais nous comprenons que le Bureau peut s’adjoindre des compétences, si nécessaire, des ministères de l’agriculture rurale, des transports, de l’industrie et des technologies de l’information, la Banque populaire de Chine, l’Administration d’État du cyberespace de Chine, l’Administration d’État pour la réglementation des marchés, la Commission chinoise de réglementation des valeurs mobilières et la Commission chinoise de réglementation bancaire, et d’autres autorités compétentes.
Le Bureau a pour mission de vérifier « la sécurité nationale des investissements étrangers ». Les nouvelles mesures ne précisent ni l’étendue ni le contenu de ce concept, ce qui confère aux autorités compétentes une plus grande marge d’interprétation dans la mise en œuvre. La sécurité nationale étant en soi un concept très abstrait, sa connotation et son extension évoluent constamment avec le temps et les situations.
Obligation de déclaration préalable : Les investissements visés par ces nouvelles mesures doivent faire l’objet d’une déclaration préalable auprès du Bureau par les investisseurs étrangers.
Les investisseurs étrangers qui ne sont pas sûrs que leur investissement entre dans le champ d’application des mesures nouvelles, peuvent consulter le Bureau pour connaître les conditions spécifiques applicables à leur projet.
Le Bureau dispose également d’un pouvoir d’ordonner aux investisseurs étrangers de se déclarer si elles ne l’ont pas fait. Nous comprenons que le Bureau est en mesure d’obtenir des informations sur les projets d’investissements étrangers par le biais du système d’informations unifiées entre les différentes administrations chinoises mises en place dans le cadre du système de crédit social national. Nous comprenons aussi de l’article 15 que n’importe quelle agence, entreprise ou organisation peut solliciter le Bureau et demander un examen concernant un investissement dont il aurait connaissance.
Après avoir reçu la déclaration de l’investisseur étranger, le Bureau dispose de 15 jours ouvrables pour décider si un « examen de sécurité » est nécessaire.
Si le Bureau décide qu’un examen de sécurité est nécessaire, un examen général dure 30 jours ouvrables et ne peut être prolongé.
Au cours de la phase d’instruction générale, si le Bureau estime que le projet d’investissement affecte ou peut affecter la sécurité nationale, un examen spécial peut être mis en place. L’examen spécial dure généralement 60 jours ouvrables, mais il peut être prolongé.
Au cours de la procédure, le Bureau peut demander aux parties de fournir des documents supplémentaires ou des renseignements complémentaires. Le temps consacré aux documents supplémentaires n’est pas inclus dans la durée de la période d’examen ; les parties peuvent également modifier, annuler l’investissement ou modifier le plan d’investissement.
Le Bureau peut décider :
- D’interdire l’investissement. La décision d’interdire l’investissement ne peut être prise que pendant la phase d’examen spécial, et non pendant la phase d’examen général.
- D’autoriser l’investissement sous conditions.
Nos conseils « Compliance »
En cas de manquements graves et non-respect de ces nouvelles dispositions, le Bureau peut ordonner une rectification de l’investissement. Il peut en particulier ordonner de mettre à disposition les capitaux ou les actifs et de prendre d’autres mesures nécessaires pour rétablir l’état avant que l’investissement ne soit mis en œuvre.
L’investisseur pourra également être black listé et/ou voir sa note de crédit social impactée dans le système de notation nationale des entreprises.
Les potentiels investisseurs étrangers doivent donc porter une particulière attention à ces nouvelles mesures, et les intégrer dans la planification de leur décision d’investissement et des délais d’exécution. Et en particulier pour les investissements étrangers qui entrent dans le champ d’application de l’examen de sécurité, les conditions et délais de l’investissement doivent être raisonnablement organisés et tenir pleinement compte du temps nécessaire à l’examen de sécurité.
La possibilité pour le Bureau d’ordonner à l’investisseur étranger une déclaration n’est prescrit par aucun délai, ce qui place l’investissement réalisé qui aurait dû être déclaré mais qui ne l’a pas été, dans un état de risque juridique et ce, potentiellement pendant une très longue période.
Évaluer en amont si les investissements envisagés entrent dans le champ d’application de ces nouvelles mesures. En cas de doute, il est recommandé de consulter au préalable le Bureau avec l’aide de conseils aguerris des relations avec les autorités chinoises.