L’espérance de gain étant déterminante pour tout franchisé qui s’engage dans un contrat de franchise, tout décalage significatif entre les résultats comptables escomptés et les résultats comptables réalisés est de nature à lui permettre de demander la nullité du contrat pour « erreur sur la rentabilité ».
Depuis quelques années, la Cour de cassation considère que, dans certaines circonstances, un franchisé est fondé à demander l’annulation d’un contrat de franchise pour « erreur substantielle sur la rentabilité de l’activité entreprise », lorsque les prévisionnels établis avant la conclusion du contrat de franchise se sont avérés êtres « exagérément optimistes » par rapport aux résultats effectifs de l’activité (v. depuis Cass. com., 4 oct. 2011, n° 10-10956 : Cass. com., 12 juin 2012, n° 11-19047, Cass. com., 10 juin 2020, n° 18-21536 et Cass. com. 24 juin 2020, n° 18-15249 ; comp., auparavant, dans d’autres domaines, Cass. 3e civ., 31 mars 2005, Bull. civ. III, n° 81 ; Cass. com., 1er déc. 1992, n° 90-21804). Selon la Cour de cassation, une telle erreur porte « sur la substance même du contrat de franchise, pour lequel l’espérance de gain est déterminante » (Cass. com., 10 juin 2020, préc.).
L’espérance de gain étant déterminante pour tout franchisé qui s’engage dans un contrat de franchise, tout décalage significatif entre les résultats comptables escomptés et les résultats comptables réalisés est de nature à lui permettre de demander la nullité du contrat pour « erreur sur la rentabilité ». Les conséquences sont évidemment très importantes en pratique. En franchise, puisque les prévisionnels ne peuvent plus être établis que la main tremblante, mais aussi en dehors de la franchise, car il n’est pas que dans ce secteur que « l’espérance de gain est déterminante » pour ceux qui s’engagent… On ne voit donc guère de raisons qui viendraient circonscrire ce mouvement jurisprudentiel à la franchise.
Pourtant, l’erreur sur la rentabilité apparaît à de multiples égards comme une erreur bien singulière et, disons-le, un concept critiquable.
Primo, alors que toute erreur est en théorie susceptible d’être caractérisée dès la conclusion du contrat, l’erreur sur la rentabilité n’est a priori susceptible de l’être qu’après la conclusion du contrat, souvent longtemps après, au moment où l’on pourra vérifier si les prévisions faites se sont réalisées, c’est-à-dire au moment de la clôture des comptes envisagés par les prévisionnels. De fait, on imagine mal un juge annuler un contrat de franchise avant la clôture des comptes, au prétexte que les chiffres escomptés lui apparaissent « irréalisables » !
Secundo, alors que le Code civil exige que l’erreur porte « sur les qualités essentielles de la prestation due » (nvl. art.1132), force est de constater que tel n’est pas le cas ici, la rentabilité de l’entreprise franchisée ne pouvant être assimilée à la substance du contrat de franchise. Celle-ci en effet se compose de ce que chaque partie a procuré à l’autre.
Or le franchisé ne s’est pas mépris sur ce que le franchiseur lui a procuré (savoir-faire, signes de ralliement de la clientèle et assistance, etc.) ou sur ce qu’il lui a procuré (droit d’entrée, redevances, etc.).
Il reste que deux décisions récentes de la Cour de cassation ont réaffirmé la possibilité pour un franchisé d’invoquer l’erreur sur la rentabilité, en apportant toutefois des précisions qui résonnent comme autant de limites.
Dans la première décision (Cass. com., 10 juin 2020, n°18-21536), la Cour de cassation approuve la cour d’appel d’avoir retenu une erreur sur la rentabilité alors que les franchisés étaient « novices dans le secteur économique concerné ». Bien qu’on puisse y voir là le signe de ce que l’erreur, phénomène subjectif, s’apprécie in concreto, on peut se demander si cet arrêt n’annonce pas une distinction au terme de laquelle le franchisé averti serait interdit d’invoquer son « erreur », à la différence du franchisé novice, distinction qui serait appréciée au regard du secteur économique dans lequel le franchisé envisageait d’exercer son activité en franchise. On retrouverait alors à peu près la règle suivant laquelle l’erreur ne peut être invoquée que lorsqu’elle est excusable (v. auj. art. 1132 C. civ. : « L’erreur de droit ou de fait, à moins qu’elle ne soit inexcusable, est une cause de nullité du contrat lorsqu’elle porte sur les qualités essentielles de la prestation due ou sur celles du cocontractant »).
Dans la seconde décision (Cass. com., 24 juin 2020, n° 18-15249), plus importante, la Cour de cassation pose désormais comme principe que « [l]’erreur sur la rentabilité du concept d’une franchise ne peut conduire à la nullité du contrat pour vice du consentement du franchisé si elle ne procède pas de données établies et communiquées par le franchiseur ». Ainsi, les juges du fond ne peuvent annuler un contrat de franchise sans rechercher au préalable si les comptes prévisionnels ont été établis par la société franchiseur ou par le franchisé, dès lors que l’erreur sur la rentabilité ne pourra être invoquée par le franchisé que si elle trouve son origine dans les déclarations du franchiseur, son cocontractant.
Or c’est là une condition que l’on ne retrouve pas s’agissant des autres erreurs et qui ne peut d’ailleurs qu’entretenir une confusion avec le dol, quand bien même, il est important de relever, la Cour de cassation n’exige pas des déclarations intentionnellement mensongères de la part du franchiseur. On ajoutera que la distinction opérée par la Cour de cassation sera, dans bien des hypothèses, difficile à mettre en oeuvre, dès lors que les prévisionnels sont parfois établis de concert non seulement par les deux parties, mais aussi par des experts du chiffre…
C’est donc, en définitive, sur trois plans que l’erreur sur la rentabilité se détache des autres :
- elle n’est a priori susceptible d’être caractérisée qu’après la conclusion du contrat,
- elle ne porte pas sur les qualités des prestations dues par les parties au titre du contrat ;
- elle est nécessairement, comme le dol, imputable au cocontractant de l’errans !
Certes, le franchiseur qui transmet des données fallacieuses au candidat franchisé doit répondre des conséquences d’un tel acte. Nul n’en disconviendra. Mais ce n’est pas là une raison pour dénaturer des concepts au demeurant déjà suffisamment complexes.
C’est pourquoi la voie de la responsabilité civile apparaissait bien plus sûre que celle de l’erreur, dès lors que dans ces circonstances, l’existence d’une faute, d’un lien de causalité et d’un préjudice ne prêtent pas à discussion.
D’ailleurs, dans son arrêt du 24 juin 2020 (préc.), la Cour de cassation, en posant comme condition au succès de l’action intentée par le franchisé que les données aient été « établies et communiquées par le franchiseur », adopte bien une logique qui est celle de la responsabilité, et non de l’erreur !