La Cour de cassation a rendu un arrêt important, en décidant que la prescription de dix ans de l’article L.462-7 du Code de commerce commence à courir au jour de l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 13 novembre 2008.
Au cours de l’année 2001, un signalement concernant un appel d’offres pour la restauration d’un monument historique a donné lieu à l’ouverture d’une information judiciaire. Dans le cadre de cette information judiciaire, des perquisitions, écoutes téléphoniques et auditions ont permis de mettre à jour l’existence d’une entente anticoncurrentielle entre diverses entreprises répondant à des appels d’offre de restauration de monuments historiques. A compter de 2005, l’ex-Conseil de la concurrence a été saisi de diverses pratiques relevées sur ce secteur d’activité. S’en sont suivies des notifications de griefs aux entreprises concernées à compter de l’année 2008.
Par une décision du 26 janvier 2011 (11-D-02), l’Autorité de la concurrence a condamné 15 entreprises pour ententes anticoncurrentielles, pour des amendes civiles allant de 12.000€ à 1.034.190€ selon leurs chiffres d’affaires respectifs, ainsi que selon leurs implications respectives dans l’entente. Par un arrêt du 11 octobre 2012 (RG n°2011/03298), la Cour d’appel de Paris a réformé partiellement la décision en aggravant les sanctions. L’amende la plus lourde a été ainsi portée à 4 millions d’euros.
Le premier moyen de différents pourvois concernait la prescription décennale prévue à l’article L.462-7 du code de commerce dans sa rédaction issue de l’ordonnance du 13 novembre 2008. A l’époque de l’appel d’offres litigieux, la prescription concurrentielle était de 3 ans. L’ex-Conseil de la concurrence ne pouvait pas être saisi de faits datant de plus de trois ans, s’il n’avait été fait aucun acte tendant à leur recherche, leur constatation ou leur sanction. Une première ordonnance du 4 novembre 2004, tenant compte de la difficulté de révélation des ententes anticoncurrentielles a passé ce délai de trois à cinq ans. L’ordonnance du 13 novembre 2008, tenant compte cette fois-ci du caractère pénal du droit de la concurrence et de l’impératif de délai raisonnable de jugement, a maintenu ce délai de cinq ans, tout en l’assortissant d’une nouvelle limite : la prescription est toujours acquise si l’Autorité de la concurrence n’a pas statué dans les dix ans de la cessation de la pratique anticoncurrentielle.
Or, certaines parties avaient cessé leur participation à l’entente avant le 26 janvier 2001, soit plus de dix ans avant la décision de l’Autorité. Par conséquent, selon le pourvoi, la prescription était acquise à leur profit.
Faute d’avoir statué dans les dix ans de la cessation de leur participation à l’entente, l’Autorité ne pouvait plus prononcer la moindre sanction à leur égard.
La Cour de cassation n’a pas suivi cette argumentation, et a appliqué les règles classiques d’application de la loi dans le temps en matière de modification de règle de prescription. Articulant à la fois l’application immédiate de la loi nouvelle et le principe de non-rétroactivité, la jurisprudence constante considère que le nouveau délai commence à courir à compter du jour de l’entrée en vigueur de la loi nouvelle, sous réserve que ce nouveau délai n’ait pas pour effet d’allonger la prescription. En pratique, l’ordonnance du 13 novembre 2008 est entrée en vigueur le 15 novembre de cette même année. Le délai de dix ans commence donc à courir à compter de cette date.
Ce raisonnement apparaît comme éminemment contestable. On l’a dit, la Cour de cassation a appliqué les règles classiques d’application dans le temps d’une loi modifiant la prescription civile. Or, la justification de la prescription décennale de l’article L.462-7 du code de commerce n’est pas tant civile que pénale. En effet, la prescription décennale fait écho aux principes généraux du droit pénal du droit à être jugé dans un délai raisonnable. L’esprit de cette loi nouvelle aurait donc pu conduire à reconnaître que les règles usuelles en matière de prescription civiles n’avaient pas à s’appliquer, et que la nouvelle prescription devait commencer à courir au jour de la cessation de l’entente (en 1999 ou 2000 selon les entreprises en cause), et non pas au jour de l’entrée en vigueur de la loi nouvelle (le 15 novembre 2008). L’on aurait également pu considérer que la loi nouvelle, bien que non applicable, soit un critère d’évaluation pertinent pour apprécier le caractère raisonnable ou non du délai de jugement. L’on aurait alors interprété la loi ancienne à la lumière de la loi nouvelle en considérant que le droit d’être jugé dans un délai raisonnable s’oppose à ce qu’une entreprise soit condamnée pour entente anticoncurrentielle plus de dix ans après la cessation de sa participation à l’entente. Tel n’est toutefois pas le cas, et les prescriptions concurrentielles décennales ne pourront pas être soulevées, en l’état de cette jurisprudence, avant le 15 novembre 2018.
Par cette décision, la Cour de cassation continue ainsi d’entretenir le flou sur la nature civile ou pénale du droit de la concurrence.