Revirement : la valorisation des droits sociaux contenue dans une promesse unilatérale de vente librement consentie entre associés n’entre pas dans le champ d’application de l’expertise de l’article 1843-4 du Code civil.
L’article 1843-4 du Code civil dispose que la valeur des droits sociaux qu’un associé souhaite céder ou se faire racheter par la société est déterminée, en cas de contestation sur la valeur des droits sociaux, par un expert qui est désigné soit, par les parties soit, par ordonnance du Président du tribunal statuant en la forme des référés. La jurisprudence considère que les dispositions de cet article sont d’ordre public et ont donc vocation à s’appliquer sans que les parties, dont la cession de droits sociaux entre dans le champ d’application de ce texte, puissent, dès lors qu’il y a une contestation sur la valeur des droits sociaux, y déroger (Cass. civ. 1ère, 25 novembre 2003, n°00-22.089). Ce caractère d’ordre public a été récemment rappelé par la Chambre commerciale de la Cour de cassation (Cass. com., 4 décembre 2012, n°10-16.280), dans une affaire où les parties avaient convenu contractuellement aux termes d’un pacte d’associés d’une méthode de valorisation des droits sociaux, sans recourir à l’expert de l’article 1843-4 du Code civil. La Cour de cassation confirme l’application d’ordre public de l’article 1843-4 du Code civil, qui est d’ordre public même dans les cas où les parties ne souhaitaient initialement pas avoir recours à un expert. L’expert désigné par les parties ou par le juge a toute latitude pour fixer la valeur des droits sociaux au regard de critères qu’il détermine et estime pertinents : « seul l’expert détermine les critères qu’il juge les plus appropriés pour fixer la valeur des droits sociaux, parmi lesquels peuvent figurer ceux prévus par les statuts » (Cass. com., 5 mai 2009, n°08-17.465).
L’expert désigné n’est donc pas tenu de prendre en compte d’éventuelles clauses statutaires qui détermineraient les modalités de fixation de la valeur des droits sociaux. En ce qui concerne les recours, l’ordonnance qui désigne ou remplace un expert n’est d’ailleurs pas susceptible de recours, sauf à exercer un recours-nullité pour lequel les chances de succès sont minces (s’agissant d’un recours où il est question de contester l’exercice de ses pouvoirs par le juge). Par ailleurs, la contestation du rapport d’expertise réalisé est tout aussi difficile et n’est accueillie qu’en cas d’« erreur grossière », comme par exemple la valeur des droits sociaux de l’associé qui se retire qui doit être déterminée à la
date la plus proche de celle du remboursement de la valeur de ces droits (Cass. com., 15 janvier 2013, n° 12-11.666).
L’article 1843-4 du Code civil est ainsi l’objet d’une jurisprudence extrêmement fournie, les enjeux financiers étant souvent importants et les valeurs retenues par les expertises parfois contestables. La doctrine est par ailleurs quasi unanime pour considérer cette disposition comme attentatoire à la sécurité juridique et à la liberté contractuelle. Le champ d’application de l’article a été modifié pour les sociétés civiles professionnelles et les sociétés d’exercice libéral dans lesquelles, depuis 2011, les associés peuvent fixer à l’unanimité dans les statuts les principes applicables à la valorisation des parts sociales.
Le présent arrêt s’inscrit dans ce mouvement d’ajustement du champ d’application de l’article 1843-4 du Code civil. Très largement diffusé, l’arrêt établit une distinction entre les cessions forcées et les cessions librement consenties. Dans cette espèce, un pacte d’actionnaires prévoyait que toute démission ou révocation pour faute grave d’un dirigeant de la société dans les trois ans de la signature du pacte entraînerait de plein droit promesse ferme et irrévocable de la part du dirigeant de céder à la société une partie des actions qu’il détenait dans la société pour leur valeur nominale. La Cour considère que les dispositions de l’article 1843-4 du Code civil « qui ont pour finalité la protection des intérêts de l’associé cédant, sont sans application à la cession de droits sociaux ou à leur rachat par la société résultant de la mise en œuvre d’une promesse unilatérale de vente librement consentie par un associé ».
La liberté contractuelle retrouve enfin peu à peu sa place et les actionnaires pourront déterminer librement la valeur des droits sociaux dans une promesse unilatérale de vente. Du côté des évolutions prévues, une modification de la rédaction de l’article 1843-4 C. civ. est prévue par la loi n°2014-1 du 2 janvier 2014 et le nouveau texte qui doit assurer « le respect par l’expert des règles de valorisation des droits sociaux prévues par les parties » est très attendu par la doctrine et les praticiens.