La cour de cassation apporte un éclairage sur les éléments permettant de « différencier » les marques de vins et sur les conditions de validité de la marque issue de la toponymie viticole.
La société BORIE, propriétaire d’une parcelle viticole dénommée « Château DUCLUZEAU » a déposé la marque verbale « DUCLUZEAU » ainsi que la marque semi-figurative « CHATEAU DUCLUZEAU » (représentant une étiquette de vin avec dessin du château de la propriété) pour désigner son vin.
Estimant que la marque « Château LE CLUZEAU », déposée par un exploitant d’une propriété viticole située au lieu-dit « LE CLUZEAU », portait atteinte à ses droits, la société Borie l’a assigné en contrefaçon de ses marques (1) ainsi qu’en annulation de la marque « Château LE CLUZEAU » (2).
(1) Déboutée de ses demandes de contrefaçon par la Cour d’appel, la société BORIE a formé un pourvoi devant la Cour de cassation aux motifs que les juges du fond (i) ne s’étaient pas, à tort, focalisés sur les seuls éléments prédominants des signes litigieux, à savoir les termes « DUCLUZEAU » ou « Château DUCLUZEAU », (ii) avaient attaché une importance erronée aux « préfixes » « Le » et « Du » existant dans les signes et à l’espace entre ces préfixes en ce qu’ils seraient des « éléments de différenciation » des marques litigieuses, (iii) et enfin avaient considéré que le terme « Château » dans la marque « Château LE CLUZEAU » était un élément identificateur excluant la confusion sur l’origine du produit.
La Cour de cassation rejette ces moyens en relevant :
– « qu’en présence de signes composés de plusieurs éléments, ce n’est qu’à la condition que certains de ces éléments apparaissent comme négligeables pour le consommateur d’attention moyenne que l’appréciation du risque de confusion peut se faire à partir de l’élément dominant » ; en l’espèce, la Cour d’appel pouvait valablement retenir que l’existence dans la marque semi-figurative Château DUCLUZEAU d’un élément figuratif, en l’occurrence une étiquette de vin dont la Cour a souligné le « caractère attractif », constituait un élément « non-négligeable » dans « l’impression d’ensemble produite chez le consommateur » et pouvait ainsi prendre en considération cet élément figuratif dans son analyse du risque de confusion ;
– que la différence entre « Du » et « Le » et l’espace entre « Le » et « CLUZEAU » (qui n’existe pas dans « DUCLUZEAU ») donnent un « sens spécifique à chaque marque » et permettent de percevoir les signes différemment ;
– que l’adjonction du terme « Château » – qui n’existe pas dans le signe DUCLUZEAU – renvoyant à une appellation réglementée et non purement commerciale écarte la croyance en une origine commune avec un produit désigné « DUCLUZEAU ».
La Cour de cassation prend soin néanmoins sur ce dernier point de préciser que la Cour d’appel avait préalablement visé les éléments de différenciation, l’adjonction « Château » ne pouvant ainsi être, per se, suffisante à différencier deux signes distinctifs.
(2) La Cour de cassation casse en revanche l’arrêt d’appel en ce qu’il a écarté la demande d’annulation de la marque « CHATEAU LE CLUZEAU » sollicitée par la société BORIE, cette dernière ayant contesté au défendeur le bénéfice de toponymie (lequel permet de déposer en tout ou partie le nom d’une parcelle viticole / d’un domaine en marque).
La Cour d’appel avait retenu la validité de la marque puisque le vin désigné LECLUZEAU provenait de l’exploitation d’une parcelle cadastrée « LE CLUZEAU EST » octroyant au défendeur un privilège de toponymie.
La Cour de cassation casse l’arrêt en rappelant que le bénéfice de toponymie n’est pas absolu et y pose des conditions. Elle fait ainsi grief à la Cour d’appel de ne pas avoir caractérisé « la proportion de parcelles de vignes cadastrées Le Cluzeau Est par rapport à la totalité du vignoble exploité par (le défendeur) lui permettant de revendiquer le droit à ce toponyme ».
La solution est logique mais laisse toutefois dans une certaine incertitude puisque la Cour de cassation ne définit pas la proportion à partir de laquelle le bénéfice de la toponymie pourra « jouer » au bénéfice de l’exploitant de la parcelle ayant déposé sa marque. Ce point, devenu essentiel puisqu’il conditionne donc la validité même de la marque, est sans nul doute renvoyé au pouvoir souverain du juge du fond, lequel s’évertue généralement à caractériser l’importance de la parcelle dont le nom est utilisé à titre de marque dans la production du vin ainsi désigné (Cass. com., 7 janvier 2014, pourvoi n°12-28.041).
On renverra en outre à notre Lettre des réseaux de janvier/février 2014 sur les restrictions au bénéfice de toponymie en cas de risque déceptif.