Flash jurisprudentiel suite à un arrêt rendu par la Cour de Cassation le 25 mars 2014 dernier en matière de rupture brutale d’une relation commerciale établie et contexte international.
Le contrat de distribution internationale soulève des problématiques classiques de droit international privé, notamment lorsque le détaillant réclame une indemnisation consécutivement à la rupture du contrat à l’initiative du fournisseur :
– conflits de juridiction, afin de déterminer le tribunal compétent pour connaître d’une telle action (pour une application récente, dans un contexte européen, V. CJUE, 19 déc. 2013, aff. C-9/12, Corman-Collins c/ La maison du whisky, Dalloz actualité, 20 janv. 2014, obs. F. Mélin) ;
– conflit de lois, afin de désigner la loi compétente.
C’est ce dont il est question dans le présent litige sur lequel la Cour de Cassation a rendu son arrêt le 25 mars 2014, admettant que le distributeur chilien évincé par le fournisseur français puisse se prévaloir de l’article L.442-6, I, 5° du Code de commerce pour obtenir une indemnisation.
Un distributeur, qui, depuis 1991, distribuait au Chili les parfums et produits cosmétiques d’une célèbre société française, a conclu avec cette dernière, le 1er janvier 1999, un contrat de distribution d’une durée de trois ans, renouvelable ensuite pour une durée indéterminée. Par lettre du 23 mai 2003, la société française lui a notifié la résiliation immédiate du contrat de distribution.
Estimant cette rupture brutale et abusive et reprochant à la société française des manquements à ses obligations contractuelles, notamment à la clause d’exclusivité dont elle bénéficiait, la société chilienne l’a fait assigner en réparation de ses préjudices. Cette dernière se prévaut de l’article L.442-6, I, 5° du Code de commerce qui confère au distributeur la possibilité d’être indemnisé en cas de rupture d’une relation commerciale établie.
Elle obtient gain de cause.
En défense, la société française répond que cette disposition n’est pas applicable, dans la mesure où le dommage s’est en l’espèce produit au Chili.
Malgré le désaccord entre les parties, il y a un élément sur lequel elles se rejoignent : le litige relève de la matière délictuelle et non pas contractuelle. La Cour de cassation l’a d’ailleurs déjà admis à plusieurs reprises (Voir par exemple la décision : Cass. com., 4 octobre 2011, pourvoi n°10-20.240, Bull. civ. IV, n° 151 ; Dalloz actualité, 12 oct. 2011, obs. X. Delpech ; D. 2011. Pan. 2961, obs. Centre de droit de la concurrence Yves Serra ; RTD com. 2011. 790, obs. B. Bouloc ; CCC 2011, n° 259, obs. N. Mathey).
L’action prévue par cet article vise, en effet, à sanctionner la brutalité de la rupture et non la rupture elle-même ; c’est pour cette raison qu’elle est de nature délictuelle.
La loi compétente est donc la lex loci delicti ou loi du lieu de réalisation du dommage.
Le dommage s’est-il produit en France, entrainant l’application de la loi française et donc de l’article L.442-6, I, 5° du Code de commerce ou, comme le prétendait la société française, au Chili, dont la loi est probablement moins protectrice pour le distributeur évincé que la loi française ?
Pour la Cour de cassation, il s’est produit en France. Il en est ainsi parce que le délit en cause est de nature complexe, car il y a dissociation entre son fait générateur (en France) et son dommage (au Chili).
Or, affirme la Cour de cassation, « en cas de délit complexe, il y a lieu de rechercher le pays présentant les liens les plus étroits avec le fait dommageable, l’arrêt [d’appel] retient que ces liens résultent en l’espèce de la relation contractuelle préexistant depuis plus de douze ans entre les parties, que celles-ci ont formalisé par un contrat conclu à Paris, en désignant le droit français comme loi applicable et le tribunal de commerce de Paris comme juridiction compétente».
La méthode du faisceau d’indices a ainsi permis de « localiser » le délit en France, entraînant l’application de la loi française, précisément de l’article L.442-6, I, 5° du Code de commerce.