En droit de la responsabilité, la faute lourde est définie comme la faute si grossière qu’elle permet de présumer, ou à tout le moins de rendre vraisemblable, son caractère intentionnel. Elle désigne donc une faute grossière du débiteur, qui témoigne de son inaptitude à accomplir la mission dont il était chargé (par ex. Com. 3 mai 1988, bull.150) ; il s’agit d’un comportement qui s’écarte largement du comportement qu’aurait eu dans les mêmes circonstances le bon père de famille, qui dénote chez son auteur, soit l’extrême sottise, soit l’incurie, soit une grande insouciance à l’égard des dangers que l’on crée (G. Cornu). Domat et Pothier distinguaient le dol et la faute non intentionnelle, puis les divers degrés de la faute : la faute lourde, seule susceptible d’engager la responsabilité du débiteur dans les contrats conclus dans l’intérêt du seul créancier (ex : dépôt) ; la faute légère (culpa levis) appréciée in abstracto, d’après le type de l’administrateur diligent, dont le débiteur répond lorsque le contrat a été passé dans l’intérêt des 2 parties (ex : vente, dépôt salarié) ; la faute très légère (culpa levissima) dont le débiteur ne répond que si le contrat a été passé dans son intérêt exclusif (ex : prêt à usage). Cette conception a été notamment critiquée par Le Brun et Planiol en ce qu’elle était déduite à tort des textes du Digeste et confondait le contenu de l’obligation qui dépend avant tout de la volonté des contractants fixant le degré de diligence promis et la détermination du seuil à partir duquel la responsabilité est engagée en cas d’inexécution. Le Conseil constitutionnel semble abandonner le critère du degré de la faute pour replacer le débat de l’étendue de la réparation sur le contenu de l’obligation. Néanmoins, la faute dolosive subsiste et le législateur a réintroduit des catégories de faute.
La notion de faute lourde conduit au rappel suivant : 1°) la faute dolosive, définie comme l’acte intentionnel et illicite par lequel le débiteur refuse d’exécuter son obligation (et selon la doctrine, les actes destinés à faire croire que la chose a péri par cas fortuit), même si ce refus n’est pas dicté par l’intention de nuire, le fait que le débiteur ait eu la certitude de provoquer le dommage par son inexécution étant suffisant pour constituer la mauvaise foi (Civ. I 4 févr. 69, GP.69.1.204). La jurisprudence y assimile la faute lourde malgré son caractère non intentionnel (Civ. 29 juin 1932, DP.33.49 et l’adage « culpa lata dolo aequiparatur »), sauf lorsqu’une loi spéciale aggrave la responsabilité du débiteur en cas de dol seulement (Com. 18 juill. 84, bull.241). A l’appui de cette assimilation, on explique que l’auteur d’une faute lourde est présumé avoir commis un dol et que c’est à lui de prouver qu’il n’a pas commis de faute intentionnelle, dans la mesure où il ne doit pas pouvoir s’abriter à bon compte derrière le prétexte de la sottise. La critique essentielle réside dans le fait que cela revient à présumer la mauvaise foi, de surcroît de manière irréfragable puisque l’auteur de la faute lourde n’est pas admis à démontrer qu’il n’a pas voulu nuire ou n’a pas connu le dommage pouvant résulter de l’inexécution dans les cas où, précisément, les conséquences attachées au dol le sont aussi à la faute lourde. 2°) la faute grave de l’héritier chargé d’administrer les biens de la succession, du salarié qui s’expose alors à la résiliation du CDD et à la perte des indemnités de préavis et de licenciement, similaire à la faute lourde selon la doctrine. 3°) la faute inexcusable, retenue par ex. en matière d’accidents du travail et d’accidents de la circulation. Elle se distingue de la faute lourde par sa gravité exceptionnelle et la conscience du danger que l’action ou l’abstention peut entraîner, appréciée in abstracto. 4°) la faute ordinaire, dont la faute lourde se distingue par son énormité.
La faute lourde se rapproche ainsi de l’intention de nuire, et elle est ainsi souvent assimilée à la faute intentionnelle ou à la faute inexcusable. Ainsi, la faute lourde, à l’inverse de la faute grave, comporte une dimension subjective, et une faute ne peut pas être considérée comme lourde du seul fait qu’elle constitue la violation d’une obligation essentielle (Cass. com., 29 juin 2010, 09-11.841). De manière générale, la faute lourde prive le droit au bénéfice de toute indemnité, et prive d’effet toute clause limitative de responsabilité au bénéfice de son auteur.
La notion de faute lourde s’apprécie in abstracto, par comparaison avec la manière dont toute autre personne se comporterait dans les mêmes conditions (à l’inverse de la faute lourde, la mauvaise foi impliquant une appréciation in abstracto) ; cette notion de faute lourde demeure incertaine du fait que la jurisprudence prend en compte, pour caractériser l’énormité de la faute, des données subjectives, liées au comportement du débiteur, et des données objectives : - la qualité de professionnel du débiteur (par ex. Civ. I 22 nov. 78, JCP.79.II.19139) ; - la sottise que révèle un acte (par ex. Req. 4 avr. 28, S.28.258) ; - la répétition des manquements (par ex. Civ. 29 juin 32, S.32.151) ; - la méconnaissance d’intérêts essentiels : intégrité de la personne humaine, valeur élevée d’un bien ; - le manquement à une « obligation fondamentale eu égard à la nature du contrat (par ex. Com. 9 mai 90, bull.142, pour l’oubli par l’éditeur d’un annuaire professionnel d’insérer les coordonnées d’un médecin).
La faute lourde entraîne une aggravation des conséquences de la responsabilité, dans le sens de l’assimilation au dol (dans un 1er temps, aujourd’hui révolu, la jurisprudence avait utilisé la notion afin d’éviter une mise en jeu trop facile de la responsabilité des professionnels) : le débiteur qui a commis la faute lourde est tenu du dommage imprévisible causé par l’inexécution de son obligation ; par extension jurisprudentielle, il ne peut se prévaloir d’une clause élusive ou limitative de responsabilité ; application du forfait légal de D&I moratoires pour le retard dans le paiement d’un somme d’argent, sans compter les applications particulières issues du code des assurances ou du code du travail notamment.
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