CA Paris, 12 janvier 2022, n°19/07792
La société M. est à la tête d’un réseau spécialisé dans l’optique, la lunetterie et la photographie. Après la remise d’un DIP le 1er octobre 2010, la société M. signe un contrat de franchise avec la société A. le 11 avril 2011. La société A. est finalement placée en procédure de redressement judiciaire le 1er décembre 2015, puis en liquidation un an plus tard.
Le liquidateur de la société A. assigne la société M. aux fins d’obtenir la nullité du contrat de franchise et invoque différents manquements qui auraient été commis par le franchiseur à ses obligations contractuelles, notamment : absence de savoir-faire transmis, chiffres d’affaires et résultats réalisés très éloignés des prévisionnels remis par le franchiseur. Le tribunal déboute le liquidateur de la société A. de l’ensemble de ses demandes. Ce dernier interjette alors appel et demande à la Cour d’appel de Paris d’infirmer le jugement de première instance et donc de prononcer la nullité du contrat de franchise et condamner le franchiseur au paiement de dommages et intérêts en remboursement du montant du droit d’entrée et des redevances réglées par la société M.
Concernant la violation de l’information précontractuelle, la société franchisée soutient que le DIP remis par le franchiseur était lacunaire et trompeur et que son consentement aurait ainsi été vicié car (i) les chiffres d’affaires réalisés par les points de vente franchisés existant déjà au sein du réseau, ainsi que ceux de la société franchiseur n’y figuraient pas, (ii) de même que les comptes annuels de la société franchiseur, (iii) et l’état local du marché local ainsi que l’état général du marché reposaient sur des études réalisées en 2005 et 2006, soit plus de 5 ans avant la conclusion du contrat et étaient très favorables.
La société franchiseur reconnaît pour sa part avoir omis de transmettre ses comptes annuels et indique que les chiffres d’affaires communiqués dans le DIP étaient ceux de sa société sœur.
Les juges du fond relèvent toutefois qu’il ne peut se déduire de ce manquement aucune réticence dolosive de la part du franchiseur dès lors que ses comptes étaient disponibles auprès du greffe du tribunal de commerce (les comptes ayant été déposés sans déclaration de confidentialité). Ensuite, ils relèvent qu’il ne peut pas être reproché au franchiseur de ne pas avoir produit les chiffres d’affaires des points de vente franchisés du réseau, dès lors que cela ne figure pas parmi les informations à communiquer telles que fixées par les articles L.330-3 et R.330-1 du Code de commerce.
Concernant la présentation de l’état local et de l’état général du marché, si les études dataient effectivement de 2005 et 2006, il ne peut se déduire aucune volonté de tromper de la part du franchiseur dès lors que des études plus récentes auraient été plus favorables. Le franchiseur ayant par ailleurs accompagné la société franchisée pour obtenir un financement. S’agissant des prévisionnels, la société franchisée indique que le DIP mentionnait un chiffre d’affaires prévisionnel pour la première année près de deux fois supérieur à la moyenne de ceux réalisés par un point de vente en général dans le secteur de l’optique et que les chiffres d’affaires réalisés par la société franchisée ont été nettement inférieurs à ceux indiqués dans le DIP.
Selon les juges du fond, la société franchisée était un commerçant indépendant à qui il appartenait d’étudier la situation, de réaliser une étude de marché et d’établir un prévisionnel raisonnable, le franchiseur n’étant pas chargé de ces tâches ; le franchiseur n’étant par ailleurs pas tenu par un devoir de réserve et de modération lorsqu’il présente des données.
Par ailleurs, les juges du fond relèvent l’argument soulevé par le franchiseur selon lequel la société franchisée n’a pas remis en cause son engagement au vu des résultats du premier exercice et que des évènements totalement extérieurs au franchiseur peuvent expliquer la baisse du chiffre d’affaires de la société franchisée.
De ce fait, les juges du fond considèrent que le dol invoqué par le franchisé n’est pas établi dès lors qu’il échoue à démontrer qu’il ne se serait pas engagé s’il avait eu connaissance des éléments qui lui ont été cachés.
Concernant l’absence de savoir-faire, la société franchisée prétend avoir été dupée sur la substance même de la franchise et du savoir-faire transmissible car : (i) le franchiseur prétendait disposer d’une compétence particulière en choix de lieux d’emplacement, qui aurait été constitutif de son savoir-faire or, l’emplacement « pénalisant » du franchisé aurait pu être évité si le franchiseur l’avait mis en garde sur le lieu d’implantation prévu ; (ii) le franchisé n’aurait bénéficié qu’une seule fois de prestations de formations initiales et continues ; (iii) pour la transmission du savoir-faire, le franchiseur se serait contenté d’envoyer des fiches de présentation d’un concept banal en matière d’optique et de relation client ; (iv) il n’y aurait pas eu de communication nationale, et les campagnes locales auraient été inadaptées ; (v) le franchiseur aurait été défaillant dans l’obligation d’assistance ; (vi) le tribunal n’aurait pas relevé, en première instance, l’existence d’un savoir-faire ; (vii) le savoir-faire doit avoir été prouvé et expérimenté avec succès or, selon le franchisé il n’existerait que sept magasins sous l’enseigne.
Pour sa défense, la société franchiseur indique que : (i) le reproche lié à l’absence prétendu de chiffre d’affaires n’aurait jamais été formulé pendant toute la durée du contrat ; (ii) : le savoir-faire était global et reposait sur des services commerciaux innovants ; (iii) le dirigeant de la société franchisée connaissait parfaitement le concept pour l’avoir expérimenté en qualité de directeur de magasin ; (iv) : le franchiseur aurait effectué des dépenses en matière de communication ; (v) il aurait apporté une assistance constate au franchisé malgré les retards puis les défauts de paiement du franchisé ; (vi) : le tribunal aurait relevé que les difficultés rencontrées par la société franchisée et la baisse de son chiffre d’affaires n’étaient pas liés aux manquements du franchiseur mais à des aléas et à des évènements extérieurs.
Les juges du fond relèvent que le franchiseur justifie d’un savoir-faire global avec des services commerciaux innovants, et un accueil du public dans une optique de prospection.
Concernant le choix de l’emplacement, ils considèrent que le franchiseur n’a pas fait d’erreur en choisissant l’emplacement, précisant qu’en tout état de cause il appartenait au franchisé de procéder lui-même à une analyse d’implantation précise.
Le dirigeant de la société franchisée connaissait par ailleurs le concept pour l’avoir déjà expérimenté et, concernant la communication, si le franchiseur a effectivement manqué à ses obligations en matière de communication nationale, il y a satisfait au plan local et le franchiseur justifie par ailleurs avoir rempli ses obligations en matière d’assistance.
Les juges du fond rejettent de ce fait la demande de nullité du contrat et donc la demande de dommages et intérêts formée par le liquidateur de la société franchisée.
À rapprocher : Trib. Com. Paris, 6 mars 2019, 2016028148