Cass. com., 14 novembre 2018, n°17-19851
En présence d’un contrat de franchise qui, du point de vue du franchiseur, est conclu en considération de la personne du franchisé et de son dirigeant, il peut être prévu que le contrat de franchise ne peut être signé avec un franchisé exploitant déjà un réseau de restaurants concurrents.
Le moyen faisait notamment grief à l’arrêt infirmatif attaqué (CA Paris, Pôle 5 – chambre 4, 15 février 2017, n°14/15753) d’avoir dit que la rupture du contrat de franchise était intervenue aux torts exclusifs du franchisé, d’avoir condamné la société Indian River à payer à la société Buffalo Grill une somme de 40.000 euros à titre d’indemnité contractuelle de rupture de contrat de franchise, et de l’avoir par ailleurs déboutée de sa demande de réparation, aux motifs (notamment) que « l’article 1134 du Code civil alors applicable prévoyait que « les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites…. elles doivent être exécutées de bonne foi » ; que la société Buffalo Grill a signifié, par courrier du 23 mars 2009 adressé à la société Indian River et à l’attention de M. X…, la résiliation immédiate du contrat de franchise conclu le 7 février 2001, en lui reprochant une faute grave et en s’appuyant sur les dispositions de l’article 16 du contrat de franchise permettant la résiliation immédiate en cas d’une telle faute grave ; que ce courrier reprochait à la société Indian River d’avoir initié « l’exploitation d’un restaurant à enseigne Indian Trappeur qui imite servilement le concept Buffalo Grill et l’ensemble des signes distinctifs notoires de notre réseau » ; que si le contrat de franchise ne contient pas d’obligation de non-concurrence reposant sur le franchisé, l’article 14 de ce même contrat de franchise révèle qu’il s’agit d’un contrat conclu intuitu personae, en fonction de la personne de M. Philippe X… son PDG ; que la cour observe que cet article prévoit également que le contrat de franchise ne peut être cédé sans l’accord du franchiseur, lequel peut justifier son refus, et cite expressément comme une incompatibilité grave « la candidature d’une personne exploitant déjà un réseau de restaurants concurrents » ; qu’ainsi, l’exploitation d’un réseau de restaurants concurrents apparaissait comme une incompatibilité grave justifiant le refus du franchiseur de laisser ce candidat intégrer le réseau, ce qui révélait la volonté de protéger le réseau de l’entrée d’un concurrent ; que de plus, si l’article 18.3 du contrat permet au franchisé de continuer à exercer une activité de restauration, une telle possibilité est prévue à la fin du contrat, et non pendant son application, ce qui induit l’impossibilité pour un franchisé, pendant l’application du contrat, de créer fût-ce via une société tierce, un restaurant entrant en concurrence avec ceux du réseau franchisé ; qu’en l’occurrence M. X… n’a pas sollicité ni obtenu l’accord de la société Buffalo Grill pour l’ouverture d’un tel restaurant, même réalisé par le biais d’une autre société ; qu’une telle ouverture amenait M. X… à être à la fois membre du réseau de franchise et concurrent de celui-ci, alors qu’il résultait du contrat la nécessité de protéger le réseau des concurrents ; que si le contrat de franchise est au nom de la société Indian River et non de M. X…, il s’agit d’un contrat intuitu personae conclu en fonction de la personnalité de M. X… son PDG – désigné comme partenaire au terme du contrat de franchise –, et la création d’une société concurrente au réseau de franchise par celui-ci peut justifier la résiliation du contrat de franchise aux torts de cette société franchisée ; que la société franchisé Indian River, animée par son PDG partenaire du réseau de franchise Buffalo Grill, et celui-ci ont ainsi manqué à leur devoir d’exécution loyale du contrat de franchise ; que cette déloyauté justifiait la résiliation immédiate du contrat de franchise aux torts de la société Indian River, et le jugement du 2 juillet 2014 sera réformé sur ce point ».
1°/ Alors qu’une personne morale ne répond des actes de ses organes que si ceux-ci ont été commis en son nom et pour son compte ; que comme l’a constaté la cour d’appel, l’ouverture, par M. Philippe X…, d’un restaurant à l’enseigne « Indian Trapper » a été faite pour le compte de la société Val Trappeur, et non pour celui de la société Indian River ; qu’en jugeant pourtant que l’ouverture de ce restaurant, sans l’accord de la société Buffalo Grill, constituerait une faute contractuelle de la société Indian River, la cour d’appel a méconnu l’article 1147 du code civil dans sa rédaction applicable en la cause, ensemble l’article L. 210-6 du code de commerce ;
2°/ Alors, en tout état de cause, que le juge ne peut altérer le sens clair et précis d’un contrat en y ajoutant une obligation qui n’a pas été librement acceptée par les parties ; qu’ainsi que l’a constaté la cour d’appel (p. 9 § 6 de l’arrêt attaqué), le contrat de franchise conclu entre les sociétés Indian River et Buffalo Grill le 7 février 2001 ne contenait aucune obligation de non-concurrence à la charge du franchisé ; qu’en particulier, les articles 14 et 18.3 de ce contrat, relatifs respectivement au transfert du fonds de commerce du franchisé et aux droits et obligations du franchisé après la rupture du contrat, n’interdisaient nullement au franchisé d’exercer une activité concurrente pendant l’exécution du contrat de franchise ; qu’en jugeant cependant qu’il résulterait de ces stipulations que le franchisé était dans l’impossibilité, pendant l’application du contrat, de créer, fût-ce via une société tierce, un restaurant entrant en concurrence avec ceux du réseau franchisé, et en déduisant que l’ouverture d’un tel restaurant par M. Philippe X…, sans l’accord de la société Buffalo Grill, caractériserait une faute contractuelle de la société Indian River, la cour d’appel a dénaturé les termes clairs et précis de ces stipulations, en y ajoutant une obligation qu’elles ne prévoyaient pas, en violation de l’interdiction faite aux juges de dénaturer les documents de la cause ;
3°/ Alors, en tout état de cause, que l’appréciation de la bonne ou mauvaise foi d’une partie n’autorise pas le juge à porter atteinte à la substance ou à l’étendue des droits et obligations légalement convenus entre elles ; que dès lors, en retenant que l’obligation, pour le dirigeant de la société Indian River, d’obtenir l’accord de la société Buffalo Grill pour procéder à l’ouverture d’un restaurant entrant en concurrence avec ceux du réseau franchisé, s’inférerait de l’obligation d’exécuter le contrat de franchise de bonne foi, la cour d’appel a méconnu la loi des parties et a ainsi violé l’article 1134 du code civil, dans sa rédaction applicable en la cause.
A rapprocher : Intuitu personae