Traditionnellement employée comme caractérisant l’opération dans laquelle la personnalité de l’une des parties est tenue pour essentielle en raison de ses aptitudes particulières, de la nature du service attendu d’elle… (par ex. G. Cornu, Vocab. Juridique), l’intuitu personae a néanmoins pu être présenté comme traduisant les conséquences juridiques contractuelles du regard d’un contractant sur l’autre, qu’il soit complaisant ou exigeant (D. Krajeski, L’intuitu personae dans les contrats, th. Toulouse 1998). Cet auteur souligne la dualité des principaux mobiles de l’action – sentiment et intérêt – qui justifient la prise en considération de la personne du cocontractant et considère que cette opposition n’est pas purement descriptive mais opératoire, en ce qu’elle retentit sur le régime juridique de l’intuitu personae : ainsi, l’intuitu personae dans les contrats à titre gratuit est la cause de l’acte et exprime un sentiment (intuitu personae subjectif) ; au contraire, dans les contrats à titre onéreux, l’existence et l’intensité de l’intuitu personae sont déterminées par la présence de risques contractuels, que les qualités du cocontractant sont précisément destinées à conjuguer (intuitu personae objectif).
Stricto sensu, l’intuitu personae est constitué par l’identité, mais la notion est parfois subdivisée en l’identité officielle (éléments qui individualisent officiellement une personne) et en l’identité au sens moral (ensemble des traits physiques et moraux qui caractérise une personne : compétence, savoir-faire, réputation, appartenance à une profession ou à un réseau de distribution, moralité…) (P. Le Tourneau, Contrat intuitu personae, J-class contrats distrib. Fasc.200, 2000). Mais la définition stricte de l’intuitu personae est plus souvent basée sur la confiance particulière existant entre les contractants : si tout contrat comporte une part de confiance réciproque, celle-ci doit être particulière dès lors que l’exécution n’est pas instantanée (A. Chirez, La confiance en droit contractuel, th. Nice 1977).
Néanmoins, la majorité des auteurs relèvent que la considération de la consistance du patrimoine du cocontractant (intuitu pecuniae, qui ne désigne que des espèces, ou bonorum, qui englobe tout le patrimoine), i.e. sa solvabilité, peut être déterminante (G. Kostic, L’intuitu personae dans les contrats de droit privé, th. Paris V 1997 ; D. Krajeski ; et la doctrine ralliant la conception d’Aubry et Rau selon laquelle le patrimoine constitue une émanation de la personnalité : par ex. B. Beignier, La droit de la personnalité, PUF 1992).
Par ailleurs, l’intuitu personae se mue en intuitu firmae (expression due à G. Camerlinck, L’intuitu personae dans les sociétés anonymes, th. Paris 1929) ou societatis lorsque c’est l’identité, la réputation et la solvabilité d’une entreprise ou d’une société qui est déterminante (C. Prieto, La société contractante, PUAM 1994 ; G. Kostic ; D. Krajeski). L’hypothèse doit être distinguée de celle où c’est la personne des associés ou de certains d’entre eux qui est déterminante de la conclusion d’un contrat avec la personne morale, i.e. l’intuitu socii (C. Prieto ; I. Pascual, « La considération de la personne physique dans le droit des sociétés » RTD com.1998.273).
Enfin, l’intuitu rei exprime le rapport étroit entre une créance et un bien, de sorte que la créance suit le bien, à l’image de l’action en garantie des vices cachés (P. Le Tourneau) et l’intuitu operis traduit le critère admis un temps par la CCass afin d’autoriser l’action contractuelle en réparation de toute victime dans un groupe de contrats unifié par une finalité commune (l’œuvre à produire, le service à rendre), dont le dommage a un lien avec le contrat initial (notion proposée par A. Sériaux, Droit des obligations, à partir de la 1ère édition 1992 et que I. Pascual, Les équipes professionnelles et la responsabilité civile, th. Bordeaux 1996, propose de reprendre pour caractériser les membres d’une équipe professionnelle, mais ceux-ci sont toujours soumis au droit commun par la jurisprudence).
En franchise, le contrat de franchise est le plus souvent conclu par le franchiseur en considération de la personne du franchisé : on dit ainsi qu’il est conclu intuitu personae à l’égard du franchisé.
Le caractère intuitu personae du contrat peut porter sur une personne physique ou morale, tout dépend de la rédaction retenue par les parties dans le contrat qui les lie.
L’intuitu personae doit être clairement prévu au contrat. Il est à relever toutefois que la jurisprudence peut considérer dans certains domaines/métiers que le contrat est nécessairement conclu intuitu personae ; c’est le cas notamment pour les contrats de franchise, dont la jurisprudence a pu retenir qu’ils étaient nécessairement conclus en considération de la personne du franchisé.
En conséquence du caractère intuitu personae du contrat, certaines opérations devront être préalablement acceptées par l’autre partie avant d’être réalisées, tels une cession pure et simple du contrat, une fusion-absoption, une scission ou un apport partiel d'actif. De telles opérations devront faire l’objet d’un accord du cocontractant dit « cédé ». Cet accord pourra intervenir ab initio, à la signature du contrat de franchise, lors de l’opération, ou a postériori, par l’exécution du contrat par le « cédé » entre les mains du nouveau cocontractant.
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