Cass. com., 29 janvier 2013, n°10-27.603, Bull. civ. IV, n°19
Le principe d’autonomie de la personne morale prévalant, la rupture d’un contrat avant échéance ne peut être justifiée par la cession de la totalité des parts ou actions d’une société, ou le changement de ses dirigeants, faute de stipulation particulière du contrat l’autorisant.
La décision commentée relative à la notion même d’intuitu personae présente un intérêt évident compte tenu de la banalité des faits, qui donne à cette décision une portée importante.
En l’espèce, après avoir été en relations d’affaires pendant 2 ans, les sociétés Castes industrie et Seeb ont conclu, en février 1999, un contrat « de distribution et de licence de marque » accordant à la seconde une exclusivité de vente dans un secteur déterminé, pour une durée de 2 ans, tacitement renouvelable par période d’un an. Ayant appris que l’intégralité du capital de la société Seeb était, à la suite d’une cession totale, détenue par un actionnaire unique et que cette situation avait entraîné un changement de dirigeant social, la société Castes industrie a entendu mettre un terme au contrat en décembre 2007 ; qu’estimant que cette brusque résiliation était fautive, la société Seeb l’a fait assigner en paiement de dommages-intérêts.
La société Castes industrie faisait grief à l’arrêt attaqué (CA Montpellier, 17 mai 2011) d’avoir accueilli la demande de la société Seeb, alors, selon le moyen :
- que le contrat conclu en considération de la personne du dirigeant est résilié de plein droit en cas de changement de cette personne non agréé par le partenaire ; que cette résiliation intervient de plein droit et ne peut présenter aucun caractère abusif ; qu’un contrat de distribution est un contrat intuitu personae par nature, compte tenu de l’intégration du distributeur au réseau et de la confiance entre partenaires que cela suppose ; qu’en refusant, pour apprécier les circonstances de sa rupture, de tenir compte du caractère intuitu personae du contrat de distribution, la cour d’appel a violé l’article L. 442-6-1-5° du Code de commerce ;
- qu’en retenant, pour écarter le caractère intuitu personae du contrat considéré, que la société Castes avait continué à approvisionner la société Seeb, la cour d’appel, qui a confondu la rupture du contrat de distribution litigieuse et le fait que la société Castes ait accepté de satisfaire, hors réseau, les commandes de la société Seeb, a violé l’article L442-6-1-5° du Code de commerce.
Pour rejeter le pourvoi, la Cour de cassation adopte la motivation suivante :
« Mais attendu qu’ayant justement énoncé qu’en raison du principe d’autonomie de la personne morale cette dernière reste inchangée en cas de cession de la totalité des parts ou actions d’une société ou de changement de ses dirigeants et relevé l’absence de stipulation contractuelle autorisant la rupture avant échéance dans de telles hypothèses, la cour d’appel, qui a ainsi fait ressortir qu’il n’était pas établi que la convention de distribution exclusive ait été conclue en considération de la personne du dirigeant, en a déduit à bon droit, sans écarter le caractère intuitu personae du contrat, qu’en l’absence d’une stipulation particulière, la convention était maintenue en dépit des changements survenus ; que le moyen, qui manque en fait en sa seconde branche, n’est pas fondé en sa première branche ».
A défaut de stipulation expresse insérée dans le contrat en cause, ledit contrat se poursuit en dépit du changement de dirigeant survenu au sein de l’une des deux sociétés contractantes. Cette solution ne peut qu’être approuvée.
Il n’est donc pas surprenant que la doctrine approuve unanimement cette solution (C. Prieto, La société contractante, PUAM, 1994, n° 705 ; V. aussi : Evénements affectant la personne de la société contractante, in La cessation des relations contractuelles d’affaires, PUAM 1997, p. 81 – D. Mainguy, Cession de contrôle et sort des contrats de la société cédée, Rev. Soc. 1996, p. 17 – J. Mestre, La spécificité juridique des contrats conclus par les sociétés, RDC 2004, n° 1, p. 41).