L’arrêt commenté conduit à un bref rappel des principes gouvernant la matière, en particulier au regard du caractère « établi » devant caractériser la relation commerciale envisagée à l’article L. 442-6, I, 5° du C. com.
Dans cette affaire, un diffuseur, qui éditait une chaîne de télévision, avait confié la production d’émissions à deux sociétés et avait notifié aux producteurs que les émissions ne seraient plus diffusées lors la prochaine saison, en raison d’une chute des audiences et des difficultés rencontrées par la chaîne. Soutenant être victimes d’une rupture brutale d’une « relation commerciale établie », les producteurs avaient poursuivi le diffuseur en dommages-intérêts.
En substance, ceux-ci faisaient valoir au soutien de leur action que lorsque l’exécution du contrat est saisonnière, la rupture ne peut être notifiée en fin de saison pour la saison suivante, sauf à priver le cocontractant de tout préavis effectif.
La juridiction du fond (CA Paris Pôle 5, chambre 5, 9 décembre 2010, inédit) décidait d’écarter cette demande au motif 1°) qu’à la date à laquelle la lettre de rupture avait été envoyée, les parties, comme à la fin de chaque saison audiovisuelle, n’étaient plus liées par un contrat, 2°) que l’activité de production était marquée par la précarité des relations commerciales liant les producteurs aux diffuseurs, 3°) et que les rapports en cause se singularisaient par une certaine « fragilité » compte tenu de l’impossibilité de prévoir l’audience que fera un programme et de la nécessité de rénover régulièrement la grille de diffusion pour la rendre attractive ; ce faisant, le juge du fond devait retenir que les usages propres à l’activité de production audiovisuelle justifiaient que les préavis appliqués puissent correspondre à la durée de la période séparant la fin d’une saison audiovisuelle du début de la saison suivante, cette période étant celle de la préparation des nouvelles grilles de programme et des négociations entre diffuseurs et producteurs.
Pour rejeter le pourvoi formé contre cet arrêt, la Cour de cassation retient :
« en l’état de ces constatations, la cour d’appel qui n’a pas qualifié la relation commerciale en cause de relation commerciale établie au sens de l’article L. 442-6,I, 5° du code de commerce, a pu considérer comme satisfaisant aux intérêts des sociétés Paris modes le préavis qui leur avait été accordé dans le respect des usages propres à l’activité de production audiovisuelle ».
La décision commentée n’est pas sans rappeler l’arrêt de cassation rendu par la Haute juridiction (Cass. com., 18 mai 2010, pourvoi n°08-15.866 : Bull. civ. 2010, IV, n°89) qui, dans une situation voisine (il s’agissait d’un producteur audiovisuel qui, depuis plusieurs années, réalisait des émissions pour une chaine publique), avait censuré la décision ayant accordé une indemnité en pareil cas pour n’avoir pas recherché, comme il lui avait été demandé, si, compte tenu de la nature de la prestation de conception et de réalisation de programmes télévisuels, le producteur pouvait « légitimement s’attendre à une stabilité (…) ».
Ce faisant, l’arrêt commenté conduit à un bref rappel des principes gouvernant la matière, en particulier au regard du caractère « établi » devant caractériser la relation commerciale envisagée à l’article L. 442-6, I, 5° du code de commerce.
Le caractère « établi » de la relation commerciale prévue à l’article L. 442-6, I, 5° précité fait généralement l’objet d’une approche concrète mais extensive en jurisprudence. Ce caractère « établi » peut être reconnu dans des hypothèses où la relation commerciale apparaît ponctuellement au cours d’une année, dès lors qu’elle se renouvelle régulièrement. Ainsi, en présence d’un négociant en vins, exposant régulièrement sur un salon professionnel, qui s’était vu refuser sa demande de réservation d’un stand, les juges du fond avaient pu retenir le caractère « établi » de ladite relation commerciale, qui ressortait selon eux de la régularité, du caractère significatif et de la stabilité de la relation considérée (Cass. com. 15 sept. 2009, pourvoi n°08-19.200).
De même, la chambre commerciale de la Cour de cassation a-t-elle admis que les relations commerciales étaient « établies » dans une espèce où des sociétés italiennes avaient collaboré avec un candidat pendant dix-sept mois, pour un éventuel contrat d’agent commercial. Pendant cette période (relativement courte), elles avaient occasionnellement présenté leur partenaire comme leur « agent », de sorte que celui-ci avait pu légitimement penser que les relations allaient « continuer » (Cass. com., 5 mai 2009, pourvoi n°08-11.916).
Au vu de ce qui précède, sans doute serait-il parfois opportun – pour éviter le « piège » de l’article L. 442-6, I, 5° précité – de souligner tout au long de la relation avec un fournisseur le caractère précaire de ladite relation …