Faut-il retenir un chiffre d’affaires hors taxes ou toutes taxes comprises pour le calcul de l’indemnité d’éviction ?
L’article L.145-14 du code de commerce offre au bailleur la possibilité de refuser au preneur commercial le renouvellement du bail. Toutefois, il lui appartient alors – sauf exception et notamment motif grave ou légitime – de verser au locataire évincé une indemnité de nature à compenser le préjudice causé par le défaut de renouvellement. L’alinéa 2 de l’article L.145-14 précise que « cette indemnité comprend notamment la valeur marchande du fonds de commerce, déterminée suivant les usages de la profession […] ». C’est précisément sur cette disposition que la troisième Chambre civile de la Cour de cassation a été amenée à s’exprimer dans le cadre de l’arrêt présentement commenté.
Les faits de l’espèce présentaient une certaine banalité. Un local commercial avait été donné en location à un preneur afin que celui-ci puisse exploiter un commerce de vente de prêt-à-porter. Près de neuf ans après, et conformément aux dispositions légales, les bailleresses avaient fait délivrer un congé avec offre d’une indemnité d’éviction. Un désaccord est alors apparu quant à la détermination du montant de cette indemnité, le preneur estimant que le montant de chiffre d’affaires à prendre en compte ne pouvait s’entendre que de celui incluant la taxe sur la valeur ajoutée. De façon prévisible, les bailleresses soutenaient l’exact inverse, la prise en compte du taux de la taxe sur la valeur ajoutée applicable entraînant une augmentation non négligeable de l’indemnité d’éviction.
Accueillant l’argumentaire développé par les bailleresses, les juges d’appel ont retenu que « Pour la détermination du chiffre d’affaires, […] seul son montant hors TVA doit être pris en considération, l’indemnité attribuée s’inscrivant dans la réparation d’un préjudice et non dans une transaction imposable. ».
Le raisonnement conduit par la Cour d’appel reposait finalement sur l’idée selon laquelle la TVA n’est pas un acquis pour le commerçant, mais bien un impôt recouvré par lui sur ses clients et réservé à l’administration fiscale dont il n’est que l’agent de perception.
La Cour de cassation casse l’arrêt d’appel pour défaut de base légale, estimant que le fait qu’une indemnité réparatrice ne soit pas soumise à une taxe sur la valeur ajoutée ne fait pas en soi obstacle à la prise en compte pour sa fixation, d’éléments comptables arrêtés toutes taxes comprises.
Dès lors, le calcul de la valeur marchande du fonds de commerce s’effectue selon les usages et modalités retenus dans la profession ou le secteur d’activité commerciale concernés. La Haute Cour reproche ainsi à la Cour d’appel de n’avoir pas recherché quelles étaient les modalités d’évaluation des fonds de commerce en vue d’une transaction en usage dans la profession, en l’espèce, pour une activité de prêt-à-porter. La position adoptée par la Cour de cassation s’inscrit dans la lignée d’un raisonnement déjà adopté dans la cadre d’une précédente décision (Cass. civ. 3ème, 15 juin 1994, n°92-14.172). Sans préjuger de la nécessité d’inclure ou non en l’espèce la TVA dans le montant du chiffre d’affaires permettant de fixer le montant de l’indemnité d’éviction, la Cour se contente de rappeler à chacun l’importance que continuent de revêtir les usages commerciaux dans le domaine du droit commercial. Dès lors, il échet aux experts et consécutivement aux tribunaux de rechercher au cas par cas, les modalités d’évaluation en usage pour le secteur d’activité concerné, afin de déterminer s’il convient ou non d’inclure la taxe sur la valeur ajoutée dans le montant du chiffre d’affaires servant de base au calcul de l’indemnité d’éviction. Cet impératif pourrait alors conduire les professionnels à revenir sur leurs habitudes ; les barèmes publiés – qui constituent les références pour les praticiens de fixation des indemnités d’éviction – faisant majoritairement référence à un chiffre d’affaires toutes taxes comprises alors que les experts tiennent compte des chiffres d’affaires hors taxes tels qu’ils sont mentionnés au bilan du preneur évincé. Cet arrêt rendu par la Cour de cassation devrait donc inciter l’ensemble des experts judiciaires à déterminer de façon plus lisible leur mode de calcul, participant ainsi au renforcement d’une certaine forme de sécurité juridique recherchée par l’ensemble des partenaires commerciaux.