Projet d’ordonnance portant réforme du droit des contrats
Le projet d’ordonnance portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations introduit un article 1169 dans le Code civil ayant vocation à former le droit commun en matière de déséquilibre significatif ; son articulation avec les dispositions spéciales de l’article L.442-6 du Code de commerce reste encore à préciser.
Le projet d’ordonnance portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, prévoit l’introduction d’un article 1169 dans le Code civil octroyant au juge, sous certaines conditions, le pouvoir de supprimer une clause qui créerait un déséquilibre significatif.
Or, le Code de commerce envisage déjà en son article L.442-6, la possibilité d’engager la responsabilité de celui qui soumet ou tente son partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et les obligations des parties.
La question se pose alors de savoir comment s’opérera l’articulation entre le droit commun et le droit spécial du déséquilibre significatif et quelles en seront les répercussions sur les contrats commerciaux.
Cette problématique nouvelle peut être approchée selon deux angles complémentaires. D’une part, l’instauration de ce texte nécessite de déterminer les relations commerciales qui échapperont au droit de la concurrence pour être régies par le Code civil (domaine ratione personae du déséquilibre signifi-catif). D’autre part, les situations dans lesquelles l’un des textes primera sur l’autre méritent également d’être précisées (domaine ratione materiae du déséquilibre significatif).
S’agissant du domaine ratione personae du déséquilibre significatif, l’article L.442-6 du Code de commerce pose le critère du « partenaire com-mercial » ; l’application du texte spécial est ainsi délimitée.
La CEPC dans son Avis n°12-07 définissait le partenaire commercial comme « le professionnel avec lequel une entreprise commerciale entretient des relations commerciales pour conduire une action quelconque, ce qui suppose une volonté commune et réciproque d’effectuer de concert des actes ensemble dans les activités de production, de distribution ou de services ».
Ainsi, l’application du texte général est réservée aux contrats non conclus entre partenaires commerciaux.
En dépit de l’apparente limpidité de cette distinction, la mise en œuvre de ces dispositions ne manquera pas d’être malaisée. Ainsi que l’explique la CEPC dans son avis 15-01, le partenariat « implique un examen concret de la relation et de l’objet du contrat ». Or, en fonction des situations concernées, et de la jurisprudence existant dans la matière considérée, la conclusion à adopter n’ira pas nécessairement de soi.
De même cela donnera largement matière aux parties d’argumenter en faveur de l’application d’un texte plutôt que l’autre et de retenir ainsi l’interprétation qui en découle de ses relations avec son partenaire.
S’agissant du domaine ratione materiae du déséquilibre significatif, la rédaction des deux textes est concordante.
La condition posée par le Code de commerce de « soumission » ou « tentative de soumission » du partenaire à des obligations déséquilibrées, n’est pas formellement reprise dans le projet de réforme du Code civil.
Cette condition, qui a vocation à permettre de surveiller les clauses qui auraient été imposées à l’une des parties sans négociation, peut être implicitement exigée dans le nouveau texte, à travers l’expression « contractant au détriment duquel (la clause) a été stipulée ».
Le contrôle d’un déséquilibre significatif devrait alors être conditionné à un défaut de négociabilité de la clause querellée, d’autant plus lorsque le postulat en matière de contrats civils est celui de l’égalité des contractants.
Le critère de « la clause créant un déséquilibre significatif » posé par le nouvel article 1169 du Code civil vise à faire de la clause le fait générateur du déséquilibre et se retrouve dans le Code de commerce plus indirectement par la référence aux « obli-gations », formant elles-mêmes l’objet d’une clause.
Parmi les clauses, l’article 1169 susvisé érige néanmoins deux exceptions évinçant tout contrôle : la définition de l’objet du contrat et l’adéquation du prix à la prestation.
Ces exclusions dérivent du Code de la consommation et ne sont pas formellement reprise dans le Code de commerce. La logique requiert toutefois la même éviction. La définition de l’objet du contrat et l’opération contractuelle envisagée ressort de la volonté même des parties et justifie l’exclusion de l’intervention du juge. L’exception de l’adéquation du prix à la prestation est quant à elle dans la lignée de tradition civiliste du rejet de la lésion.
Par ailleurs, le texte n’envisage pas la méthode préconisée pour qualifier le déséquilibre significatif.
L’appréciation globale du contrat ne saurait être retenue dès lors que les textes ne visent à s’attacher qu’à un déséquilibre créé par une clause, c’est-à-dire à un déséquilibre entre les stipulations contractuelles, et non entre les prestations.
L’analyse du déséquilibre significatif à retenir semble donc être celle clause par clause, déjà adoptée en droit de la concurrence ou en droit de la consom-mation.
S’agissant enfin de la sanction du déséquilibre significatif, le Code de commerce prévoit que la responsabilité de l’auteur de la clause peut être retenue ; de plus, la jurisprudence a transposé aux contrats commerciaux la sanction tirée du droit de la consommation et visant à « réputer non écrite » la clause incriminée, elle a également dans certains cas considéré qu’il s’agissait d’une nullité absolue, et a même récemment ordonné la suppression de la seule partie litigieuse d’une clause ainsi que sa réécriture.
L’article 1169 susvisé semble suivre cette voie lorsqu’il édicte la suppression de la clause, la responsabilité pouvant également être recherchée, dans les conditions de droit commun, en cas de préjudice subi du fait de la clause stipulée.
A rapprocher : Panorama de jurisprudence 2016-2017 (116 décisions et avis commentés)