Tour d’horizon
La jurisprudence de la Cour de cassation nous semble parfaitement claire, logique et cohérente sur la question de l’intuitu personae dans les contrats de franchise, ce qui nous conduit à envisager trois séries d’hypothèses.
Primo, en cas de changement de la personnalité morale du franchiseur (ou du franchisé), notamment lorsque le franchiseur (ou le franchisé) est absorbé par suite d’une fusion-absorption ou lorsque le franchiseur (ou le franchisé) a cédé le contrat à un tiers, la poursuite du contrat de franchise doit être soumise à l’accord du cocontractant ; cet accord peut valablement être donné par avance dans le contrat de franchise lui-même.
Secundo, en l’absence de tout changement de la personnalité morale du franchiseur (ou du franchisé), notamment en cas de modification du capital social du franchiseur (ou du franchisé), le principe susvisé s’inverse : l’accord du cocontractant ne saurait être requis ; ce principe connaît une exception lorsque le contrat de franchise comporte une clause y dérogeant, par exemple en prévoyant de mettre fin à la relation contractuelle en cas de changement de contrôle au sein de la société franchiseur.
Tertio, selon nous, reste indifférente la circonstance que le contrat de franchise comporte une telle clause tout en permettant la résiliation du contrat de franchise en cas de changement de contrôle au sein de la société franchisée.
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1. Situations. – La place qu’occupe l’intuitu personae dans les problématiques liées à la circulation du contrat de franchise conduit à distinguer deux grandes familles d’hypothèses : celles où la personnalité morale de l’un des contractants change (I°), puis celles où la personnalité morale des contractants demeure inchangée (II°). L’hypothèse de la clause d’intuitu personae dite « unilatérale » doit être envisagée distinctement enfin (III°).
I°/ En cas de changement de la personnalité morale du franchiseur (ou du franchisé), la poursuite du contrat de franchise doit être soumise à l’accord du cocontractant, lequel peut être donné par avance dans le contrat de franchise
2. Hypothèse. – L’hypothèse envisagée concerne ici tous les cas dans lesquels la personnalité morale de l’un des contractants change. Tel est le cas notamment lorsque le franchiseur (ou le franchisé) disparaît en raison d’une fusion-absorption, ou lorsque son activité fait l’objet d’un apport partiel d’actifs, ou encore lorsque le franchiseur (ou le franchisé) cède le contrat de franchise.
3. Fusion. – Depuis un arrêt de principe, rendu au visa de l’article 1844-4 du Code civil (Cass. com., 3 juin 2008, n°06-18.007, Bull. IV, n°111), et abondamment commentée, la Cour de cassation retient que « le contrat de franchise, conclu en considération de la personne du franchiseur, ne peut être transmis par fusion-absorption à une société tierce, qu’avec l’accord du franchisé ».
4. Apport partiel d’actifs. – Depuis un autre arrêt de principe, rendu (le même jour) au visa des articles 1134 du Code civil et L.236-3 et L.236-22 du Code de commerce (Cass. com., 3 juin 2008, n°06-13.761, Bull. IV, n°110), lui-même abondamment commentée, la Cour de cassation retient que « le contrat de franchise, conclu en considération de la personne du franchiseur, ne peut, sauf accord du franchisé, être transmis par l’effet d’un apport partiel d’actif placé sous le régime des scissions ».
Dans la même affaire, la Cour de cassation, statuant sur renvoi après cassation, devait retenir une solution analogue quelques années plus tard : « Mais attendu, d’une part, qu’ayant retenu qu’en raison du caractère « intuitu personae » du contrat de franchise conclu par la société Sodico, celui-ci ne faisait pas partie des contrats transférés de plein droit aux sociétés Prodim et CSF au titre des apports partiels d’actifs, la cour d’appel qui a ainsi répondu en les écartant aux conclusions invoquées, a satisfait aux exigences du texte suscité » (Cass. com., 12 octobre 2010, n°09-70.116).
Cette solution a logiquement été consacrée dans d’autres contentieux, par la Cour de cassation (Cass. com., 7 janvier 2014, n°10-18.319 ; Cass. com., 24 novembre 2009, n°08-16.428 ; Cass. civ. 2ème, 5 mars 2009, n°08-10.008) et les juridictions du fond (v. par ex., CA Versailles, 12ème chambre, 18 mars 2010, n°09/02750).
5. Cession du contrat de franchise. – Toute cession de contrat de franchise suppose l`accord du cédé, peu important à cet égard que le contrat objet de la cession ait été conclu intuitu personae (Cass. com., 31 janvier 2012, n°10-27.603). Subordonner la validité de la cession d’un contrat à l’absence de caractère intuitu personae, comme on le voit dans le raisonnement adopté par certains plaideurs, constitue donc une erreur puisque – sauf cas contraire prévu par la loi – l’accord du cédé est nécessairement requis. Or, en matière de contrat de franchise, faute de loi en ce sens, l’accord du cédé est toujours requis (qu’il s’agisse du franchiseur s’agissant d’une cession réalisée par le franchisé ou – à l’inverse – du franchisé s’agissant d’une cession réalisée par le franchiseur).
Depuis l’entrée en vigueur de l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations – applicable à tous les contrats conclus depuis le 1er octobre 2016 – la cession du contrat est organisée par les articles 1216 à 1216-3 du Code civil. Ces textes sont évidemment applicables à la cession du contrat de franchise.
6. Accord du cocontractant. – Comme on vient de le voir (§§. 3 à 5), quel que soit le cas de figure considéré – fusion-absorption, apport partiel d’actifs, ou cession du contrat de franchise – l’accord du cocontractant est requis.
S’agissant de cet accord, quatre observations doivent être formulées.
Primo, la preuve de cet accord incombe à celui qui s’en prévaut, conformément au droit commun de la preuve (CPC, art. 9 : « Il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention »).
Secundo, l’accord du cocontractant peut intervenir au cours de l’une des trois phases suivantes :
- a priori, dans le contrat de franchise lui-même ; c’est de loin la solution que nous préconisons.
- concomitamment à l’opération,
- a posteriori, par l’exécution du contrat de franchise ; aussi, la jurisprudence retient-elle qu’en exécutant le contrat de franchise à l’égard du cessionnaire du contrat, le cocontractant cédé donne valablement son consentement à la cession (v. en présence d’un contrat de franchise : CA Montpellier, 5 septembre 2017, n°15/04903 – v. pour d’autres types de contrats : Cass. com., 11 mai 2017, n°15-15.867 [cession de contrat de location de matériel informatique] ; Cass. com., 14 sept. 2010, n°09-13.508 [cession d’un contrat de concession] ; Cass. com., 6 juill. 1999, n°96-20.495 [cession d’un contrat de distribution exclusive]).
Aussi, la cour d’appel de Lyon (CA Lyon, ch. civ. 3ème, sect A., 19 janvier 2010, n°08/08929) a-t-elle indiqué, de manière parfaitement didactique, que « la cession de contrat est possible dès lors que le cédé a donné son accord soit par avance, au moyen d’une clause de substitution figurant dans le contrat, soit au moment de la cession, soit ultérieurement » (v. sur la jurisprudence, F.-L. Simon, Cession du contrat de distribution et consentement du cédé, LDR 6 mars 2018).
Tertio, la charge de la preuve de l’accord du cocontractant, qui incombe à celui qui l’invoque, peut être rapportée au besoin par tous moyens.
Quarto, quant à l’éventuelle clause d’intuitu personae incluse dans le contrat de franchise, elle peut être interprétée par le juge, s’agirait-il du juge des référés (Cass. com., 23 avril 2003, n°00-12.167), et peut être écartée en cas d’abus (CA Rennes, 7 mars 2005, inédit).
II°/ En l’absence de tout changement de la personnalité morale du franchiseur (ou du franchisé), l’accord du cocontractant n’est pas requis ; ce principe connaît une exception lorsque le contrat de franchise comporte une clause mettant fin au contrat de franchise en cas de changement de contrôle au sein du capital social du franchiseur (ou du franchisé)
7. Hypothèse. – L’hypothèse envisagée concerne tous les cas dans lesquels la personnalité morale des contractants est inchangée. Tel est le cas notamment lorsque l’un des contractants fait l’objet d’un changement qui survient au sein de sa direction (par exemple un changement de gérant) ou de la répartition de son capital social (par exemple un changement de contrôle). Or, ici, le changement qui affecte la société franchiseur (ou la société franchisée) est sans effet sur la poursuite du contrat de franchise, sauf clause contraire.
8. Juridictions du fond. – Ce principe et cette exception sont, comme on va le voir, le reflet du droit positif. A cet égard, on ne résistera pas à la tentation de citer le jugement rendu le 9 mars 2012 par le tribunal de commerce de Lyon (TC Lyon, 9 mars 2012, RG n°2011J2224) qui rayonne par la clarté de sa motivation :
« Attendu […] que si la société C… a bien fait l’objet d’un changement de contrôle, celui-ci était possible au regard de son contrat de franchise. Attendu qu’en l’espèce, la cession du contrôle d’une société n’affecte pas l’intuitu personae, les personnalités morales jouant leur rôle normal d’écran.
Attendu alors, que le changement de contrôle qui affecte la société C… est sans effet sur le caractère intuitu personae du contrat, sauf clause contraire mentionnée dans le contrat de franchise. Attendu alors, que le Tribunal constatera que faute d’une clause interdisant expressément tout changement de contrôle au sein du capital social du franchiseur, les sociétés [franchisées] ne peuvent sérieusement invoquer une modification de l’intuitu personae liée à la prise de contrôle de la société C…par la société A…et rejettera alors leurs arguments à ce titre » (souligné par nous).
Les décisions analogues rendues par les juridictions du fond abondent (v. par ex. : CA Lyon, 27 octobre 2016, n° 15/05204, et en première instance : TC Lyon, 12 juin 2015, n°2014J01221, et notre commentaire : LDR, 29 juin 2015 ; CA Paris, 1er décembre 2010, Pôle 5 – chambre 1, n°09/05624 ; CA Riom, 9 mars 2005, n°03/02932).
9. Cour de cassation. – Le principe d’autonomie de la personne morale prévalant, la rupture d’un contrat avant échéance ne peut être justifiée par la cession de la totalité des parts ou actions d’une société, ou le changement de ses dirigeants, faute de stipulation particulière du contrat l’autorisant (Cass. com., 29 janvier 2013, n°10-27.603, Bull. civ. IV, n°19, et pour un commentaire : S. Richard, LDR, 1er avril 2013 ; Cass. civ. 1ère, 5 avril 2012, n°11-12.285).
10. Doctrine. – Il n’est donc pas étonnant que cette solution soit approuvée par la doctrine qui, sur ce point, indique en effet : « En principe, la cession du contrôle d’une société n’affecte pas l’intuitu personae, la personnalité morale jouant son rôle normal d’écran, sauf clause expresse en sens contraire, le transformant en intuitu socii » (Ph. Le Tourneau, Juris-Classeur, 1er juillet 2011, Contrats-Distribution, Fascicule n°1050, §.172 ; v. aussi, C. Prieto, La société contractante, PUAM, 1994, n° 705 ; v. aussi : Evénements affectant la personne de la société contractante, in La cessation des relations contractuelles d’affaires, PUAM 1997, p. 81 – D. Mainguy, Cession de contrôle et sort des contrats de la société cédée, Rev. Soc. 1996, p. 17 – J. Mestre, La spécificité juridique des contrats conclus par les sociétés, RDC 2004, n° 1, p. 41).
III/ Le contrat de franchise peut comporter une clause par laquelle il est mis fin à la relation contractuelle en cas de changement de la personnalité morale de la société franchisée ou de contrôle au sein du capital social de la société franchisée
11. Positionnement du problème. – Se pose la question de savoir si la clause d’intuitu personae dite « unilatérale » est susceptible de relever de la notion de déséquilibre significatif, prévu à l’article L.442-1, I, 2° du Code de commerce (anciennement l’article L.442-6, I, 2° du même code).
12. Unilatéralité et absence de déséquilibre significatif. – La faculté offerte à une seule des parties contractantes est souvent admise en jurisprudence ; on songe notamment à la clause résolutoire permettant au franchiseur de résilier le contrat de franchise après envoi d’une mise en demeure de payer les redevances, sans qu’une disposition analogue en sens inverse n’existe en l’absence de reversement par le franchiseur des frais d’inscription revenant au franchisé (CA Paris, 3 mai 2017, n°12/23530), la clause de résiliation unilatérale reposant sur des objectifs de vente essentiels pour un contractant qui avait accordé une exclusivité à son partenaire (CA Paris, 8 oct. 2015, n°13/22006), à la clause pénale (CA Paris, 3 avril 2015, n°13/07413).
13. Clause d’intuitu personae dite « unilatérale » et absence de déséquilibre significatif. – Le caractère unilatéral d’une clause d’intuitu personae n’a jamais été retenu en jurisprudence comme constituant un déséquilibre significatif.
Tout au contraire, selon une première décision (CA Paris, 21 octobre 2011, n°10/12570), un preneur-cédé se prévaut d’un déséquilibre significatif tenant selon lui à la faculté conférée au seul bailleur de céder son contrat. Un tel argument est rejeté au motif que, d’une part, le bail litigieux est un contrat de crédit qui, à ce titre, présente pour le bailleur un intuitu personae justifiant l’incessibilité par le preneur, pour lequel la personne du bailleur est indifférente et, d’autre part, aucune autre clause n’est invoquée au soutien de la thèse du déséquilibre significatif.
Selon une deuxième décision (CA Paris, 2 avril 2015, n°13/17628), la cour d’appel de Paris, dans le cadre d’un contrat de franchise, a ainsi jugé que :
« Considérant qu’aux termes de l’article 9 du contrat, celui-ci a été conclu « en considération de la personne de Mme Monique Satre et des garanties que MS Conseil présente. Son transfert, à des tiers à quelque titre que ce soit, ou le recours à des sous-traitants, sera soumis à l’accord exprès et préalable de Casino. A contrario, le présent contrat n’est pas, à l’égard de Casino, conclu « intuitu personae » ; Considérant que le contrat ayant dès lors été conclu intuitu personae, il est pleinement justifié que la société Distribution Casino France ait souhaité que le contrat soit exécuté par la société MS Conseil avec laquelle elle avait décidé de contracter, sauf à donner son accord au transfert de ce contrat ou au recours à la sous-traitance ; que le fait que les parties n’aient pas prévu de stipulation équivalente à l’égard de la société Distribution Casino France est sans effet ; Considérant que des constatations qui précèdent, il résulte que les clauses ci-dessus ne peuvent, ni séparément ni ensemble, être considérées comme créant, au détriment de la société MS Conseil, un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ; que la société MS Conseil sera donc déboutée de sa demande et que le jugement sera confirmé ».
14. Fédération Française de la Franchise. – La Fédération Française de la Franchise indique sur ce point précis que :
« La plupart des contrats de franchise contiennent une clause d’intuitu personae au bénéfice du seul franchiseur (clause d’intuitu personae dite « unilatérale »). Cette clause se justifie par le fait que ce dernier a accepté de confier l’exploitation de son concept à une personne dont il a pu précisément juger les aptitudes, la personnalité, le parcours professionnel, le financement… L’intérêt de cette clause, et de son corollaire, la clause d’agrément, est pour le franchiseur de choisir le successeur de son franchisé afin de s’assurer qu’il présente les qualités requises pour devenir franchisé du réseau. Une fois agréé, le successeur devra ensuite évidemment respecter les termes du contrat de franchise. La CJCE dans l’arrêt PRONUPTIA a validé ce dispositif considérant que « l’interdiction pour le franchisé de céder les droits et obligations résultant du contrat sans l’accord du franchiseur sauvegarde le droit pour celui-ci de choisir librement les franchisés dont les qualifications professionnelles sont une condition pour établir et préserver la réputation du réseau » (§20) (soulignements ajoutés). A l’inverse, le franchisé a lui fait le choix de rejoindre le réseau du franchiseur, non en considération de la personnalité des dirigeants personnes physiques, mais du concept de franchise, de la notoriété de la marque, de la solidité de la tête de réseau, des perspectives de développement de l’enseigne, etc. On parle ici d’intuitu « firmae ». Dès lors, le franchiseur pourra céder ou fusionner son réseau sans avoir à recueillir l’accord préalable de tous les franchisés, mais restera évidemment tenu de respecter l’ensemble de ses engagements contractuels à leur égard. Ces clauses d’intuitu personae et d’agrément sont stipulées non seulement dans l’intérêt du franchiseur mais également dans celui du réseau. Elles permettent en effet de s’assurer que l’ensemble des franchisés du réseau ont les aptitudes pour exploiter le concept avec succès » (Site internet FFF : Les fondamentaux juridiques de la franchise).
15. Doctrine. – De même, Monsieur Ewann Kergelen, ancien inspecteur de la DGCCRF et actuellement rapporteur à l’Autorité de la concurrence dans son Ouvrage : « Les pratiques restrictives – L’application de l’article L.442-6 du Code de commerce au travers de la jurisprudence », rappelle que la réciprocité n’est pas une référence absolue si elle se justifie par la nature du contrat. Il cite pour exemple le caractère non bilatéral d’une clause de cession de contrat dans un contrat de crédit-bail (CA Paris, 21 octobre 2011, RG n°10/12570, préc.).
A rapprocher : CA Limoges, 28 janvier 2019, n°17/01340