Evolution de l’article 29 bis A de la Loi El Khomri, Juin 2016
Acteurs de la franchise, organisations professionnelles et syndicales, citoyens et parlementaires continuent à fort juste titre de s’insurger face à la proposition, par le projet de « Loi Travail », consistant à créer une instance de dialogue au sein des réseaux de franchise…
Ce qu’il faut retenir : Acteurs de la franchise, organisations professionnelles et syndicales, citoyens et parlementaires continuent à fort juste titre de s’insurger face à la proposition, par le projet de « Loi Travail », consistant à créer une instance de dialogue au sein des réseaux de franchise.
Ce texte, qui remet en cause le principe d’indépendance, consubstantiel à la relation franchiseur-franchisé, a fait l’objet d’amendements successifs insatisfaisants… jusqu’à sa suppression ?
Pour approfondir : La loi projet de loi El Khomri prévoyait, dans son article 29 bis A, la création d’une instance de dialogue au sein du réseau de franchise, projet fortement critiqué par les acteurs de la franchise, dont les franchiseurs et franchisés, et par une grande partie de la doctrine en général, qui y voit la fin de l’indépendance des franchisés vis-à-vis des franchiseurs.
Le mouvement, apolitique, « J’aime ta franchise », auquel s’est associée la Fédération Française de la Franchise, rassemble aujourd’hui des franchiseurs, des franchisés, des organisations professionnelles et des citoyens contre cette démarche du législateur.
Ce mouvement se constitue essentiellement autour de l’idée selon laquelle il convient de demander « le retrait de l’article 29 bis A du Projet de loi Travail qui menace les commerces, les services, les emplois et les clients de ces secteurs ».
- La proposition d’origine
Que prévoit exactement cet article ? Cette disposition prévoit, sur demande d’une entreprise du réseau ou d’une organisation syndicale, et à la charge du franchiseur, la mise en place sous 15 jours d’une instance de dialogue rassemblant un représentant du franchiseur, un représentant des franchisés, et des représentants de leurs salariés, élus pour 2 à 4 ans, dans un nombre variant selon la taille du réseau. Elle devait s’imposer, à l’origine, à tous les réseaux comprenant plus de 50 salariés, le but étant d’intégrer une représentation salariale au sein de la franchise.
Elle implique notamment la réunion de ces représentants au moins quatre fois par an, l’obligation de recueillir l’accord de l’inspecteur du travail en cas de licenciement d’un des représentants des salariés, un crédit de 20h minimum par mois dédié à ces fonctions de représentation, l’information trimestrielle des salariés sur la situation économique, financière, les prévisions d’emploi, et l’activité du réseau. Elle peut mettre en place des activités sociales et culturelles, faire des propositions en vue de l’amélioration des conditions de travail. Le reclassement d’un salarié licencié pour motif économique s’effectue de plus, dans le cadre du réseau – solution qui, de fait, a déjà été reconnue par la jurisprudence, en dépit de l’indépendance des franchisés (CA Riom, 13 décembre 2011, RG n°10/02369, et notre commentaire)
- Mise en question de l’indépendance des franchisés
Or, ces nouveautés tendent à remettre en cause des principes fondamentaux du régime de la franchise. Si le réseau de franchise, en soi, implique effectivement, une collaboration et un esprit de confiance entre franchiseurs et franchisés, l’indépendance des acteurs est un principe fondamental. La jurisprudence reconnait de façon constante que le contrat de franchise est fondé sur la confiance réciproque des parties, leur collaboration étroite (CA Rouen, 24 octobre 2013, RG n°12/04374 ; CA Paris, 25 janvier 2006, RG n°03/07941 ; TC Marennes 7 mars 1997, inédit, cité in Petites affiches 2000, n°174 ; TC Marseille 6 mai 1997, Petites affiches 2000, n°174 ; Cass. Com., 24 septembre 2013, n° 12-13.250 ; CA Paris 28 avr. 1978, Cah. dr. entr. 1980, n° 42 ; CA Paris, 28 avril 1978, Morvan c/ Intercontinents ; CA Aix-en-Provence 8 juill. 1988, Beaudoin et Reboulin c/ Groupe de sociétés Costamagna, arrêt n° 732). L’absence de confiance ou de résiliation peut aller jusqu’à justifier la résiliation du contrat (CA Grenoble 25 janv. 1989, société Le Roi Arsento c/ société Patisalpes, inédit).
Toutefois, il est de même constant que cette collaboration ne doit en rien nuire à l’indépendance des parties. Le Code de déontologie européen de la franchise rappelle ainsi que « la franchise ne peut se développer que si elle repose sur « une collaboration (…) entre des entreprises juridiquement et financièrement distinctes et indépendantes »». Et la jurisprudence ne se prive pas de rappeler ce principe premier en franchise (CA Paris, 24 juin 2003, D. 2003, p. 2429 ; Cass. Com., 25 mars 2014, n°12-29.675 ; CA Paris, 3 septembre 2014, RG n°12/09785 ; Cass. crim., 27 novembre 2001, n°01-83.767).
C’est contre ce principe d’indépendance que s’érige le projet de création d’une instance de représentation salariale au sein des réseaux de franchise.
La doctrine ou les acteurs eux-mêmes ne sont d’ailleurs apparemment pas les seuls à questionner la création d’une telle instance.
La Commission des affaires sociales du Sénat a expliqué, dans un communiqué du 2 juin 2016, qu’elle supprimait l’article 29 bis A, au motif qu’il « entrait en contradiction frontale avec le principe même de la franchise ».
Et la valse de cette instance, pour l’instant simplement envisagée, ne s’arrête pas là puisque suite à l’examen du projet de loi en séance plénière le 13 juin dernier, un nouvel amendement a remis sur la table la création de cette instance de dialogue, cette fois-ci pour les réseaux de franchise comprenant plus de 300 salariés.
- Le projet adopté en seconde lecture par l’Assemblée Nationale
Il revient à l’Assemblée Nationale de discuter cette proposition, du 5 au 8 juillet ; la nouvelle proposition faite modifie l’article 29 bis A par les amendements n°1316, 1237 et 1235. Elle confirme, au premier alinéa du I, que « dans les réseaux d’exploitants d’au moins trois cents salariés en France, liés par un contrat de franchise mentionné à l’article L. 330-3 du code du commerce qui contient des clauses ayant un effet sur l’organisation du travail et les conditions de travail dans les entreprises franchisées, lorsqu’une organisation syndicale représentative au sein de la branche ou de l’une des branches dont relèvent les entreprises du réseau ou ayant constitué une section syndicale au sein d’une entreprise du réseau le demande, le franchiseur engage une négociation visant à mettre en place une instance de dialogue social commune à l’ensemble du réseau, comprenant des représentants des salariés et des franchisés et présidée par le franchiseur ». Le seuil des 300 salariés, contrairement au seuil précédant de 50 salariés, inclut cette fois les salariés du franchiseur lui-même, et de ses succursales.
Le texte adopté est allégé puisqu’il laisse aux parties le soin de décider elles-mêmes la composition de l’instance, la durée des mandats, les heures de délégation, et le mode de désignation de ses membres, ainsi que le rythme des réunions, éléments qui étaient originellement beaucoup plus contraints. Les informations à fournir par le franchiseur et l’impact des initiatives que peut prendre cette instance de dialogue sont eux aussi un peu plus restreints.
Ont disparues les obligations de reclassement des salariés dans le réseau, les activités culturelles, l’information sur les emplois disponibles, etc. Mais l’instance a toujours une marge de manœuvre ; elle pourra toujours par exemple, proposer des règles en vue de l’uniformisation et « l’amélioration des conditions de travail, d’emploi et de formation professionnelle des salariés dans l’ensemble du réseau », faculté qui devrait nuire, une fois encore, à l’indépendance des franchisés.
Il faudra aussi préciser le champ des contrats qui seront effectivement liés par cette instance de dialogue. La disposition prévoit en effet trois conditions à son application :
- un réseau d’exploitants, réseau potentiellement beaucoup plus large, donc, que la seule franchise. La proposition initiale, au contraire, prévoyait que les dispositions étaient « applicables aux réseaux de franchise » ;
- un contrat de franchise mentionné à l’article L.330-3 du Code de commerce ;
- un contrat « qui contient des clauses ayant un effet sur l’organisation du travail et les conditions de travail dans les entreprises franchisées ».
Ces deux dernières conditions n’étaient pas mentionnées dans le projet initial, et l’interprétation que feront les juges de ces nouveaux termes – si le texte devait être adopté en l’état – est d’autant plus à observer que, contrairement à ce qu’indique le projet, l’article L.330-3 du code de commerce ne « mentionne » pas le contrat de franchise puisqu’il ne comporte pas même le terme de franchise … ! Les réseaux de franchise ne relevant pas du champ d’application de l’article L.330-3 du code de commerce ne seraient donc pas soumis à la mise en place d’une telle instance. Nouvel alinéa de la proposition : les organisations syndicales et professionnelles devront établir le bilan de la mise en œuvre de ce nouvel article et le transmettre à la Commission nationale de la négociation collective « au plus tard dix-huit mois après la promulgation de la présente loi ».
La Fédération Française de la Franchise a adressé au président de la République, le 5 juillet, un Manifeste demandant le retrait de l’article. Si le Sénat a une première fois supprimé la disposition, il n’aura pas le dernier mot avant l’adoption définitive du texte le 20 juillet prochain.
A rapprocher : Voir aussi notre commentaire sur la précédente version du texte