Cass. com., 6 septembre 2016, pourvoi n°14-25.891
Le caractère prévisible de la rupture d’une relation commerciale établie n’exclut pas nécessairement son caractère brutal.
Ce qu’il faut retenir : Le caractère prévisible de la rupture d’une relation commerciale établie n’exclut pas nécessairement son caractère brutal.
Pour approfondir : De 2003 à 2010, les sociétés SNIW et US ont noué une relation d’affaires consistant pour la première, exerçant une activité de centrale d’achats, à approvisionner la seconde. En 2008, des échanges de correspondances sont intervenus entre les sociétés SNIW et US évoquant la probable rupture des relations entre les parties.
En particulier, par un courriel du 8 janvier 2008, le dirigeant de la société SNIW faisait part au dirigeant de la société US de ce qu’il avait appris avec un peu de tristesse que la société US prévoyait de les quitter.
Par suite, par télécopie du 14 février 2008, le dirigeant de la société SNIW précisait au dirigeant de la société US qu’il n’avait d’autre choix que de s’orienter vers d’autres partenaires. En mars 2010, la société US a cessé du jour au lendemain, sans lettre de rupture et sans préavis, ses commandes auprès de SNIW. S’estimant victime de la rupture brutale d’une relation commerciale établie, la société SNIW a assigné la société US en réparation de son préjudice.
Par jugement du 22 novembre 2011, les premiers juges ont débouté la société SNIW de sa demande en réparation au motif que la rupture de la relation commerciale avait été rendue prévisible par les échanges intervenus en 2008 et par le fait que la disparition d’une société X avait privé la société US de toute possibilité de financement à 90 jours et que la société SNIW ne lui avait fait aucune proposition équivalente.
Par arrêt en date du 12 juin 2014, la Cour d’appel de Paris a infirmé le jugement déféré et condamné la société US à verser à la société SNIW la somme de 115 663,35 euros en réparation du préjudice causé par la rupture brutale de relations commerciales établies.
Soutenant que, du fait de son caractère prévisible, la rupture des relations commerciales ne pouvait être qualifiée de brutale, la société US fait grief à l’arrêt d’appel d’avoir retenu sa responsabilité à l’égard de la société SNIW en rompant brutalement leur relation commerciale et de la condamner à lui payer des dommages-intérêts.
Pour rejeter le pourvoi, la Cour de cassation, par un arrêt publié, érige en attendu de principe que le caractère prévisible de la rupture d’une relation commerciale établie ne prive pas celle-ci de son caractère brutal si elle ne résulte pas d’un acte du partenaire manifestant son intention de ne pas poursuivre la relation commerciale et faisant courir un délai de préavis. Par conséquent, ayant constaté que la société US avait cessé ses approvisionnements auprès de la société SNIW du jour au lendemain, sans lui adresser ni lettre de rupture, ni préavis écrit, la Haute juridiction approuve la Cour d’appel en ce qu’elle a pu retenir la responsabilité de la société US. Cette solution est conforme à la lettre de l’article L442-6, I, 5° du Code de commerce qui invite la partie qui souhaite rompre une relation commerciale établie à notifier cette rupture avec un préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale.
De ce point de vue, la référence à un « acte du partenaire manifestant son intention de ne pas poursuivre la relation commerciale et faisant courir un délai de préavis » semble légitime.
Cette solution est également conforme à la jurisprudence antérieure (Cass. com., 15 mai 2007, n° 05-19370) : « sauf dans le cas où l’autre partie n’exécute pas ses engagements ou celui de force majeure, le fait de rompre brutalement une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée des relations commerciales, engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à le réparer ».
Dans cette espèce, les juges du fond avaient pourtant retenu que « l’état des relations des parties et la nature des courriers échangés permettent d’expliquer la rupture et de considérer qu’en raison de l’existence de ces relations devenues conflictuelles, la société G pouvait facilement la prévoir tandis qu’au surplus elle avait fait assigner la société aux fins de faire interdire la vente des lecteurs O ».
Cet arrêt est donc conforme à la règle de droit sur le point que la rupture sans préavis écrit est effectivement fautive et engage la responsabilité de son auteur.
On pourra néanmoins s’émouvoir du fait que la prévisibilité de la rupture, qui ne semble pas discutée au fond, n’ait pas influé sur l’évaluation du préjudice subi par la société SNIW que la Cour d’appel a chiffré, très classiquement, « à la perte de marge brute que la victime de la rupture aurait pu réaliser pendant la durée du préavis si celui-ci lui avait été accordé ». En effet, ne pourrait-il pas être soutenu que la société SNIW est partiellement responsable de son propre préjudice pour n’avoir pas pris les mesures appropriées (notamment diversification de ses débouchés) lorsque début 2008, elle s’est convaincue de la rupture probable de sa relation avec la société US ?
A rapprocher : article L.442-6, I, 5° du Code de commerce