CA Paris, 7 octobre 2016, RG n°14/23965
Dès lors que le droit de préemption est justifié et n’a pas pour effet de restreindre artificiellement le jeu de la concurrence, le juge peut prononcer l’inopposabilité au franchiseur de la cession du fonds de son franchisé et la substitution du franchiseur au cessionnaire.
Ce qu’il faut retenir : Dès lors que le droit de préemption est justifié et n’a pas pour effet de restreindre artificiellement le jeu de la concurrence, le juge peut prononcer l’inopposabilité au franchiseur de la cession du fonds de son franchisé et la substitution du franchiseur au cessionnaire. Cela est conforme aux nouvelles dispositions du code civil issues de la réforme du droit des contrats et en particulier celles relatives au pacte de préférence.
Pour approfondir : Un contrat de franchise dans le secteur de la grande distribution alimentaire prévoyait, au profit du franchiseur, un droit de préférence en cas de cession ou de transfert du local ou du fonds de commerce par le franchisé pendant la durée du contrat et pendant une durée d’un an après sa cessation.
Le contrat a été résilié en novembre 2009 avec effet à mai 2010.
En mars 2010 le franchisé a cédé son fonds de commerce à un concurrent du franchiseur ; le contrat de cession prévoyait la réitération de l’acte de cession dans l’hypothèse où les conditions suspensives y étant prévues se réaliseraient. Parmi ces conditions figuraient, d’une part, la conclusion d’un contrat de gérance mandat entre le cessionnaire et le cédant et, d’autre part, la renonciation du franchiseur à son droit de préférence.
Or, en juillet 2010, le franchiseur a notifié à son franchisé (ainsi qu’à son conseil) et au cessionnaire qu’il entendait se prévaloir de son droit de préférence. Suite à l’absence de réponse du franchisé et du cessionnaire, le franchiseur a assigné son franchisé afin d’obtenir l’interdiction de régularisation de l’acte de vente. Si le Tribunal a fait droit à cette demande, le jugement devient inutilisable puisque la cession avait déjà été régularisée quelques jours avant le délibéré.
Le franchisé a fait appel. En vain puisque la Cour d’appel a prononcé l’inopposabilité de la cession au franchiseur et sa substitution au cessionnaire en indiquant que l’arrêt valait acte de vente au profit du franchiseur.
Cet arrêt a pourtant été cassé par la Cour de Cassation dans un arrêt du 4 novembre 2014 au motif que la Cour d’appel n’avait pas recherché, comme elle y était invitée, si le droit de préférence prévu par le contrat de franchise « n’avait pas pour effet, en limitant la possibilité de rachat de magasins indépendants par des groupes de distribution concurrents, de restreindre artificiellement le jeu de la concurrence sur le marché du détail de la distribution à dominante alimentaire ». L’affaire a été renvoyée devant la Cour d’appel de Paris autrement composée.
Pour confirmer la position des juges du fonds dans cette affaire, la Cour d’appel de Paris (sur renvoi), adopte un raisonnement qui mérite d’être assimilé par le créancier ou le débiteur d’un tel pacte mais aussi et surtout en amont par le rédacteur de ce pacte. Le droit de préemption doit :
- être justifié : en l’espèce, le franchisé a bénéficié d’un partenariat commercial favorable avec son franchiseur, ce dernier lui assurant le soutien de son enseigne, ses conseils, l’avantage d’un logiciel élaboré. Le droit de préemption permet donc au franchiseur de sécuriser les investissements qu’il a réalisés pendant plusieurs années en empêchant l’appropriation de ces effets commerciaux favorables par un concurrent ;
- ne pas avoir d’effet anticoncurrentiel : dès lors que la clause ne fait qu’affecter la liberté de choisir son cocontractant mais pas la liberté de contracter, elle ne constitue pas une barrière à l’entrée d’un concurrent. Sur ce point, on notera que la Cour a soulevé l’absence de données chiffrées démontrant un effet concurrentiel au regard du marché concerné. Autrement dit, il n’est pas exclu que si le franchisé avait justifié de façon circonstanciée l’effet anti-concurrentiel qu’il invoquait, la Cour n’aurait pas invalidé le droit de préemption.
- ne pas être abusive : la clause prévoyait que le franchiseur pouvait préempter s’il proposait le même prix que le cessionnaire pressenti, ce qui a été respecté en l’espèce, ce point étant en l’espèce renforcé par le fait que ce prix correspondait au double du prix auquel le franchisé avait acquis le fonds de commerce 12 ans auparavant.
- La Cour précise que le pacte de préférence a donc été exercé à des conditions égales et à un prix de marché important.
Sur ce point, on notera que le franchisé soulevait une inégalité des conditions dans la mesure où, si le prix était identique, le contrat de cession conclu avec le concurrent lui octroyait le bénéfice de la conclusion d’un contrat de gérance mandat en sa faveur pour un local situé en Ile de France. La Cour a cependant considéré que cela ne changeait rien dans la mesure où la clause du contrat ne distinguait pas ce cas mais trouvait en revanche à s’appliquer dans tous les cas de cession ou transfert du fonds. L’avantage supplémentaire que trouvait le franchisé dans l’assurance de se voir offrir la gérance mandat d’un autre magasin n’entre donc pas en ligne de compte pour vérifier l’égalité des conditions proposées et le caractère abusif du droit de préemption.
En outre, même si la discussion ne portait pas sur ce point, la substitution du franchiseur au cessionnaire a été prononcée (en précisant que l’arrêt vaut cession sans que d’autres formalités ne soient accomplies) compte tenu de la connaissance par le cessionnaire concurrent de l’existence du pacte de préférence et de l’intention du franchiseur de s’en prévaloir.
Cette « sanction » n’est pas nouvelle puisqu’elle avait déjà été prononcée par la Cour de Cassation dans un arrêt de chambre mixte du 26 mai 2006 (pourvoi n°03-19.376). On peut tout de même faire un lien avec les nouvelles dispositions issues de l’Ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations. En effet, le nouvel article 1123 du code civil fait entrer le pacte de préférence dans le code civil en prévoyant les sanctions de sa violation, lesquelles sont :
- la réparation du préjudice subi en tout état de cause ;
- la nullité ou la substitution au tiers cessionnaire si ce tiers « connaissait l’existence du pacte et l’intention du bénéficiaire de s’en prévaloir ».
Reste donc, pour compléter encore notre connaissance du pacte de préférence, de pouvoir examiner la 1ère décision qui sera rendue sur l’exercice de la nouvelle action interrogatoire mis en place par cet article 1123 du code civil : « Le tiers peut demander par écrit au bénéficiaire de confirmer dans un délai qu’il fixe et qui doit être raisonnable, l’existence d’un pacte de préférence et s’il entend s’en prévaloir.
L’écrit mentionne qu’à défaut de réponse dans ce délai, le bénéficiaire du pacte ne pourra plus solliciter sa substitution au contrat conclu avec le tiers ou la nullité du contrat. »
A rapprocher : Article 1123 du Code civil