Cass. com., 4 octobre 2016, n°14-28.013
La Cour de cassation condamne plusieurs sociétés du groupe Carrefour pour des clauses déséquilibrées dans la convention de partenariat conclue avec les fournisseurs du réseau.
Ce qu’il faut retenir : La Cour de cassation condamne plusieurs sociétés du groupe Carrefour pour des clauses déséquilibrées dans la convention de partenariat conclue avec les fournisseurs du réseau.
Pour approfondir : Début novembre 2009, le ministre chargé de l’économie a assigné plusieurs sociétés du groupe Carrefour (les sociétés Carrefour France, Carrefour hypermarchés, CSF, Prodim, devenue Carrefour proximité France, et Interdis) sur le fondement de l’article L. 442-6, I, 2° et III du Code de commerce.
Il est notable que ce fondement juridique était alors particulièrement récent puisqu’issue de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l’économie dite « LME ». Plus précisément, il était reproché aux sociétés précitées du groupe Carrefour d’avoir soumis ou tenté de soumettre les fournisseurs du réseau Carrefour à des obligations créant un déséquilibre significatif à raison de certaines clauses de la convention de partenariat régissant leurs relations. Cette affaire a, depuis l’assignation, connu plusieurs « rebondissements » procéduraux ; à ce titre, nous citons l’arrêt rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation le 25 juin 2015 qui a écarté la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par les sociétés du groupe Carrefour en retenant que la question posée n’était ni nouvelle, ni sérieuse. Dans l’arrêt qui nous intéresse ici, les défenderesses ont, notamment, cherché à mettre hors de cause les sociétés Interdis, Carrefour France, Carrefour Hypermarchés et Carrefour proximité France en application du principe de personnalité des délits et des peines, contestant l’implication directe desdites sociétés. Cette argumentation n’a pas prospéré devant la Haute juridiction, cette dernière retenant notamment le « rôle pilote » des sociétés Carrefour France et Carrefour proximité France.
Le présent arrêt retient encore que l’article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce « peut s’appliquer à un contrat-type proposé à des fournisseurs » ; à ce titre la Cour de cassation relève que ledit article prohibe « tant le fait de soumettre que celui de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ». En définitive, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé par les sociétés du groupe Carrefour et confirmé la contrariété des clauses suivantes de la convention de partenariat Carrefour à l’article L. 442-6, I, 2 °du Code de commerce :
- En raison d’une absence de réciprocité et d’une disproportion entre les obligations des parties qu’aucun impératif ne permet de justifier, les clauses de la convention de partenariat 2009 et des conditions générales d’approvisionnement qui accordent aux sociétés du groupe Carrefour une prérogative qui leur permet d’annuler la commande, de refuser la livraison en totalité ou en partie, en laissant tous les frais à la charge du fournisseur, et de demander réparation du préjudice subi, en cas de retard d’une heure, voire d’une demi-heure pour les produits frais et en « flux tendus », ce dispositif se cumulant avec des pénalités financières.
L’absence de réciprocité ressort du fait que les sociétés du groupe Carrefour ne s’engagent qu’à tout mettre en œuvre afin de respecter les horaires définis dans la prise de rendez-vous, dans une fourchette d’une heure maximum au-delà de l’heure fixée, le principe de dédommagement des surcoûts engendrés par le retard dû à leur propre fait s’établissant sur la base d’une négociation préalable avec le fournisseur.
- En raison d’une disproportion dans les droits des parties que les impératifs de sécurité et de fraîcheur des produits, comme le risque de désorganisation des entrepôts ou des magasins ne justifiaient pas, la clause qui autorise les sociétés Carrefour à refuser une livraison de produits présentant des dates limites identiques à une livraison antérieure.
- En raison du solde commercial que cette clause crée à la charge du fournisseur, source d’un déséquilibre significatif, peu important que les délais de paiement concernent des obligations différentes, la clause qui prévoit que les prestations de coopération commerciale fournies par le distributeur sont calculées à partir d’un pourcentage estimé du chiffre d’affaires, qu’elles sont payées par les fournisseurs, non lors de leur réalisation, mais suivant un calendrier d’acomptes mensuels, et que les factures d’acompte liées à ces prestations sont payables à 30 jours, tandis que les fournisseurs sont réglés dans un délai de 45 jours pour les produits non alimentaires.
La Haute Juridiction a donc confirmé en tout point l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Paris le 1er octobre 2014 qui avait enjoint les sociétés du groupe Carrefour de cesser pour l’avenir la pratique consistant à mentionner dans leurs contrats commerciaux les clauses ayant été déclarées contraires aux dispositions de l’article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce, et les avaient condamnées in solidum à payer une amende civile d’un montant de 500.000 euros.
A rapprocher : Cass. com., 25 juin 2015, pourvoi n° 14-28.013 ; v. aussi, Panorama de jurisprudence 2016-2017 (116 décisions et avis commentés)