CA Paris, 27 octobre 2016, n°15/01355
L’absence de signature d’un contrat n’empêche pas l’existence d’une relation commerciale établie ; la rupture sans préavis d’une telle relation peut donc être sanctionnée sur le fondement de l’article L.442-6, I, 5° du Code de commerce.
Ce qu’il faut retenir : L’absence de signature d’un contrat n’empêche pas l’existence d’une relation commerciale établie ; la rupture sans préavis d’une telle relation peut donc être sanctionnée sur le fondement de l’article L.442-6, I, 5° du Code de commerce.
Pour approfondir : La société C. a pour activité la conception et la fourniture de matériaux et systèmes antivibratoires ; la société P. est quant à elle spécialisée dans la fabrication et l’installation de voies ferrées. Les deux sociétés étaient en relation depuis de nombreuses années lorsque la société P. a décidé d’y mettre un terme.
Considérant que la rupture était brutale, la société C. a assigné son partenaire sur le fondement de l’article L.442-6, I, 5° du Code de commerce qui sanctionne la rupture brutale de relations commerciales établies.
En première instance, le Tribunal a fait droit à cette demande et a condamné la société P. à indemniser son partenaire au titre du préjudice subi par ce dernier du fait de la brutalité de la rupture ; selon les premiers juges, un préavis d’une durée de 18 mois aurait dû être respecté par la société P. Cette dernière a alors interjeté appel en vue d’obtenir l’infirmation du jugement.
Pour rappel, l’article L.442-6, I, 5° du Code de commerce sanctionne le fait « de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels ». Cette affaire est l’occasion de revenir sur les conditions d’application de l’article L.442-6, I, 5° du Code de commerce.
En l’espèce, l’absence de signature d’un contrat écrit entre les parties faisait débat. Il convenait ainsi de déterminer, d’une part, si une relation commerciale établie existait, d’autre part, à supposer que tel était bien le cas, il fallait fixer son point de départ, et enfin, apprécier le caractère brutal ou non de la rupture.
Sur ce premier point, à savoir l’existence d’une relation commerciale établie, les juges du fond relèvent que « le caractère établi de la relation commerciale est apprécié principalement au regard de trois critères : la durée (ou l’ancienneté), la stabilité (ou la continuité) et l’intensité de la relation » et poursuivent en indiquant que le fait que les parties n’aient pas conclu de contrat écrit est inopérant. L’absence de signature d’un contrat écrit n’est donc pas un obstacle pour considérer qu’une relation commerciale stable et durable a bien existé entre les parties (l’intensification du volume d’affaires entre les parties permettant notamment d’en attester).
Sur le second point, à savoir le point de départ de la relation, les magistrats relèvent que celui-ci devait se situer en 2000, eu égard aux faits et éléments rapportés par les parties, et que les relations s’étaient ensuite développées de manière stable et s’étaient intensifiées durant plusieurs années, jusqu’en 2009.
La relation commerciale au caractère établi a donc existé entre les parties durant neuf ans.
Sur le troisième point, à savoir la brutalité de la rupture, les juges du fond relèvent que, le fait que les parties aient mené des discussions, postérieurement à la fin de leur relation, portant sur la conclusion éventuelle d’un contrat de distribution (ces négociations n’ayant finalement pas abouti), ne permettait pas de remettre en cause le caractère brutal de la rupture. Les juges du fond relèvent en effet que « la brutalité de la rupture doit être appréciée au regard des dispositions de l’article L.442-6, I, 5° à la date de ladite rupture, c’est-à-dire au moment de la scission » (…) « les faits survenus après la rupture, et notamment l’engagement de négociations, ne doivent pas être pris en compte et ne constituent pas un préavis au sens de l’article L.442-6,I, 5°, la rupture étant déjà consommée ».
Pour apprécier la durée du préavis à respecter, les magistrats rappellent qu’il convient de tenir compte de la durée de la relation commerciale, mais également d’autres critères retenus par la jurisprudence, en référence notamment aux usages du commerce ou aux accords interprofessionnels.
En l’espèce, eu égard à la durée des relations commerciales établies entre les parties (9 ans), et aux circonstances de l’espèce, un préavis d’une durée de dix-huit mois aurait dû être respecté ; la position retenue par les premiers juges est confirmée en appel.
S’agissant enfin de l’indemnisation du préjudice subi, la société P. a été condamnée à indemniser la société C. sur la base de la perte de marge brute évaluée à 80 % du chiffre d’affaires moyen des trois dernières années.
Cette affaire rappelle donc que l’existence d’une relation commerciale stable et durable peut être caractérisée même en l’absence de signature d’un contrat écrit et que, dans ce contexte, un préavis d’une durée raisonnable doit nécessairement être respecté par celui qui entend mettre un terme à une telle relation, sous peine d’être condamné au regard de l’article L.442-6, I, 5° du Code de commerce.
A rapprocher : TC Paris, 30 janvier 2006, RG n°2004030689