Intervention de Me François-Luc SIMON
Intervention de Me François-Luc Simon lors du colloque organisé le 16 novembre 2011 par la Revue des Contrats.
Colloque de la Revue des contrats – 16 novembre 2011
Intervention de Me François-Luc SIMON
Plan de l’intervention
I. LE DROIT POSITIF
A. Loi « Doubin »
1° S’agissant de la définition de l’obligation d’information précontractuelle du franchiseur
a) Contenu
b) Appréciation critique du contenu
2° S’agissant de la sanction de cette obligation d’information
a) Une jurisprudence ne surprotégeant pas inutilement le franchisé
b) Une jurisprudence raisonnablement concentrée sur l’existence d’un vice du consentement
B. Le projet de loi « Lefebvre »
1° En termes de politique juridique
a) L’instauration d’un délai de deux mois se voulant protecteur des intérêts des affiliés
Un projet de loi maladroit
2° En termes de technique juridique
a) Première incertitude, quant au champ d’application de ce texte
b) Seconde incertitude, quant au champ d’application de ce texte
II. LA PRATIQUE
A. La protection par le franchiseur des informations qu’il transmet
1° La clause de confidentialité
a) Intérêts de la clause
b) Contenu de la clause
2° La clause d’exclusivité de négociation
a) Intérêts de la clause
b) Contenu de la clause
B. La protection par le franchiseur du processus conduisant à l’accord de volontés
1° La clause de déclarations préalables
a) Intérêts de la clause
b) Contenu de la clause
2° L’accord de « réservation »
a) Intérêts de la clause
b) Contenu de la clause
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INTERVENTION DE Me FRANCOIS-LUC SIMON
Introduction
Le franchisé effectue des investissements importants et s’endette le plus souvent ; le franchiseur s’apprête à révéler à son futur partenaire son savoir-faire auquel son activité commerciale et ses recherches ont donné naissance. La période qui précède la conclusion de ce contrat revêt une importance capitale compte tenu notamment de la nature des informations communiquées à cette occasion, de l’importance qu’elles peuvent avoir sur le consentement des parties contractantes, et de la confidentialité qui doit prévaloir à ce stade. Elle donne lieu à la remise d’un document d’information précontractuelle (le DIP), parfois accompagné de comptes de résultat prévisionnels. Dans ce contexte, le droit positif fait logiquement peser une obligation d’information renforcée sur le franchiseur, tant au travers du dispositif issu de la loi « Doubin », qu’au moyen de celui qu’envisage l’actuel projet de loi « Lefebvre » (I). Inversement, le droit positif ne fait peser aucune obligation d’information particulière sur le franchisé, ni au travers du dispositif issu de la loi « Doubin », ni au travers de celui qu’envisage l’actuel projet de loi « Lefebvre ». Dans un cas comme dans l’autre l’idée même de protection du consentement du franchiseur n’a pas même effleuré l’esprit du législateur. En pratique, il appartient donc au franchiseur de pallier ce vide, en recourant, au cours de la phase précontractuelle, à différents mécanismes juridique protecteurs de ses intérêts (II).
I. LE DROIT POSITIF
Le droit positif fait logiquement peser une obligation d’information renforcée sur le franchiseur, tant au travers du dispositif issu de la loi « Doubin » (A), qu’au moyen de celui qu’envisage l’actuel projet de loi « Lefebvre » (B).
A. Loi « Doubin »
La Loi « Doubin » a été votée dans un contexte bien particulier, très différent de celui que nous connaissons aujourd’hui. Un rappel s’impose pour mieux cerner « ce qu’il faut penser » de cette loi. La franchise apparaît en France dans les années 1970, cette nouvelle forme de partenariat commercial connait alors un engouement indéniable, accentué dans les années 1980. Mais ce développement rapide et non maîtrisé, attire de nombreux opportunistes. Appâtés par l’argent « facile », des entrepreneurs peu scrupuleux s’engouffrent dans la brèche. Certains franchiseurs se contentent d’encaisser droits d’entrée et redevances, sans apporter de véritable contrepartie à leurs partenaires. Des réseaux, montés à l’improviste s’écroulent en peu de temps, après avoir recruté de nombreux partenaires, a priori enthousiastes et enthousiasmés. Enthousiastes – c’est l’humeur générale des années 80 – ; enthousiasmés par les informations – parfois trompeuses et/ou incomplètes –, délivrées à dessein par certains franchiseurs. La loi « Doubin » vient alors mettre fin aux dérives trop souvent constatées en pratique. Nous sommes en 1989. A l’époque, cette Loi change radicalement la donne. Les franchiseurs qui ne sont jusqu’alors pas tenus de fournir des informations aux candidats, sont désormais obligés de leur transmettre un document d’information précontractuel (DIP). Il s’agit de permettre au futur contractant de s’engager en connaissance de cause, grâce aux informations communiquées par son franchiseur. Voilà enfin un cadre moralisant les rapports entre ces deux contractants. L’avancée est d’autant plus décisive à l’époque qu’elle concerne le commerce associé dans son ensemble.
1° S’agissant de la définition de l’obligation d’information précontractuelle du franchiseur
a) Contenu
La loi Doubin permet une meilleure transparence. On distingue cependant différents types d’informations : les unes sont normalement accessibles ; les autres ne le sont pas.
Des informations normalement accessibles :
- des informations sur le franchiseur (par ex : sa forme juridique, capital social, date de création, l’identité du chef d’entreprise) ;
- les informations financières relatives au franchiseur (par ex : deux derniers bilans);
- la marque (par ex : sa date d’immatriculation, le franchiseur en est-il titulaire ou est-il simplement licencié, etc.).
Des informations normalement inaccessibles :
- le profil des dirigeants, leur parcours professionnel ;
- la marque (par ex : lorsque le franchiseur est simplement licencié, l’indication de la durée pour laquelle la licence a été consentie),
- le réseau (par ex : La liste des entreprises faisant partie du réseau avec l’indication pour chacune d’elles du mode d’exploitation convenu, l’adresse des entreprises établies en France avec lesquelles la personne qui propose le contrat est liée par des contrats de même nature que celui dont la conclusion est envisagée ; la date de conclusion ou de renouvellement de ces contrats est précisée ; le nombre d’entreprises qui, étant liées au réseau par des contrats de même nature que celui dont la conclusion est envisagée, ont cessé de faire partie du réseau au cours de l’année précédant celle de la délivrance du document. Le document précise si le contrat est venu à expiration ou s’il a été résilié ou annulé, etc.)
- l’activité (par ex : la nature et le montant des dépenses et investissements spécifiques à l’enseigne ou à la marque que la personne destinataire du projet de contrat engage avant de commencer l’exploitation).
b) Appréciation critique de ce contenu
On le voit, la loi est assez complète. Si l’on peut arguer du fait que certaines informations essentielles risquent encore d’échapper au candidat à la franchise (Ex : des comptes représentatifs ; Ex : des prévisionnels (exemples cités par N. Dissaux)), force est de constater que :
- s’agissant des comptes représentatifs, le franchisé peut se les procurer facilement en apprécier la réussite des franchisés du réseau qu’il envisage d’intégrer,
- s’agissant des comptes prévisionnels, il appartient au franchisé (partenaire indépendant), entouré des conseils de son choix, d’établir ses propres comptes prévisionnels.
Ce faisant la loi répond à l’objectif qu’elle s’est fixée. Elle ne surprotège pas le franchisé, mais lui confère une protection « raisonnable » par les informations qu’elle lui garantit avant la signature de son contrat, en même temps qu’elle le responsabilise, celui-ci étant engagé en connaissance de cause. C’est ce qui explique que :
- les dérives ayant suscité ce dispositif légal se sont en grande partie dissipées,
- une écrasante majorité de franchiseurs ont bien compris l’intérêt commun qui les unit à leur franchisé et l’intérêt qu’ils ont a respecté le dispositif issu de la loi Doubin,
- la loi Doubin n’a pas freiné la franchise mais en a au contraire permis le développement pérenne depuis 20 ans,
- la loi Doubin n’a pas été modifiée depuis 1989 (C.com., art. L.330-3 et R.330-1 repris à droit constant),
- un dispositif similaire a été adopté dans un grand nombre de Pays industrialisés, en Europe et au-delà.
2°) S’agissant de la sanction de cette obligation d’information
La loi n’a pas prévu la sanction civile du manquement à l’obligation d’information née de la loi Doubin. Cette obligation, comme les autres obligations de même type qui se développent dans divers domaines du droit, découle de l’exigence de bonne foi (V. notamment en ce sens M.-J. Grollemund-Loustalot-Forest, L’obligation d’information entre contractants dans les contrats de distribution, RJ com. 1993, p. 60.) dans l’exécution du contrat, qui se manifeste jusque dans la période précontractuelle. Le manquement aux obligations d’information ou de renseignement mises à la charge de certains professionnels est susceptible d’être source, selon le cas, de vice du consentement ou de responsabilité civile pour l’auteur du manquement (V. sur ces deux conséquences M. Michel De Juglart, L’obligation de renseignements dans les contrats, RTD civ., 1945, p. 1.), voire, s’il s’agit d’une obligation contractuelle de renseignement, de responsabilité contractuelle (Citons, par exemple, le cas de l’information due par le médecin à son patient. En effet, si la loi du 4 mars 2002 régit aujourd’hui la responsabilité médicale, rappelons que l’arrêt Mercier (Cass. civ., 20 mai 1936, GAJC n°93) avait tranché la controverse sur la nature de cette responsabilité en faveur de la responsabilité contractuelle), de résiliation, ou de résolution (V., sur la distinction entre les sanctions respectives des obligations contractuelles d’information et des obligations d’information ayant une incidence sur le consentement, B. Petit, Contrats et obligations – obligation d’information, J.-Cl. Civil code, Art. 1136 à 1145, Fasc. 50, 2003, §. 65.). Selon le cas, le contrat est annulé, résilié ou résolu, et le préjudice de la victime est éventuellement réparé. Le manquement à l’obligation imposée par l’article L. 330-3 du code de commerce, ainsi que cela ressort de la jurisprudence, est principalement sanctionné par l’annulation du contrat fondée sur le vice du consentement ; le franchisé peut également agir sur le fondement de la responsabilité délictuelle. Les juridictions ont dans un premier temps hésité sur la sanction à donner au manquement à l’obligation d’information. Bien qu’il s’agisse d’une obligation précontractuelle – et donc extracontractuelle –, certaines décisions se sont égarées par le passé en prononçant la résolution du contrat aux torts exclusifs (ou partagés) du franchiseur (V. Trib. com. Paris, 13 juin 1996, Juris-Data n°042844 ; Trib. com. Paris, 15 avr. 1996, Juris-Data n°042056. V. également, pour une solution curieuse CA Toulouse, 18 déc. 1997, Juris-Data n°056216, qui, après avoir constaté que le consentement du distributeur avait été vicié, prononce la résolution du contrat. Certaines décisions récentes montrent que la résolution pour inexécution de l’obligation précontractuelle n’est pas totalement abandonnée. V. ainsi CA Rennes, 6 mai 2003, Juris-Data n°221106 : résolution du contrat aux torts partagés des parties, le tort du franchiseur ayant consisté en l’absence d’information relative au montant des investissements nécessaires préalables à l’exploitation. V. également une résiliation justifiée par des circonstances particulières : l’obligation contractuelle de fournir une étude prévisionnelle est découverte par la Cour dans le contrat de franchise lui-même, et l’étude – non sérieuse – a été fournie après la signature dudit contrat (CA Paris, 21 oct. 1998, Juris-Data n°024128). V. en outre, pour une hypothèse proche, CA Paris, 1er févr. 2006, Juris-Data n°309721 : là encore, l’obligation de fournir une étude prévisionnelle figure dans le contrat de franchise lui-même ; cependant, l’étude a été remise au franchisé avant la signature du contrat.). Néanmoins, la grande majorité des juridictions du fond s’est prononcée en faveur de la nullité (CA Paris, 28 nov. 1997, Juris-Data n°024604 ; CA Paris, 14 nov. 1997, Juris-Data n°024744 ; CA Toulouse, 6 nov. 1997, Juris-Data n°049690 ; CA Paris, 9 sept. 1997, Juris-Data n°022292 ; CA Paris, 18 juin 1997, Juris-Data n°021947 ; CA Lyon, 6 juin 1997, Juris-Data n°043563 ; CA Lyon, 28 mars 1997, Juris-Data n°041137 ; CA Paris, 28 mars 1997, Juris-Data n°021924 ; CA Poitiers, 11 mars 1997 ; Trib. com. Paris, 23 janv. 1996, Juris-Data n°040980 ; CA Paris, 17 mai 1995, Juris-Data n°022611 ; CA Paris, 24 mars 1995, Juris-Data n°021147 ; CA Paris, 20 sept. 1994, Juris-Data n°023140 ; CA Paris, 30 juin 1994, Juris-Data n°023139 ; CA Paris, 7 nov. 1991, Juris-Data n°024536 ; Cass. com., 24 sept. 2003, pourvoi n° 01-11.595 ; Juris-Data n°020344 ; Cass. com., 6 mai 2003, pourvoi n°01-00.515, inédit ; Cass. com., 11 févr. 2003, Juris-Data n°017835 ; Cass. com., 16 mai 2000, pourvoi n°97-16.386, inédit ; Cass. com., 20 oct. 1998, pourvoi n°96-13.159, inédit ; Cass. com., 24 mars 1998, pourvoi n°96-13.158, inédit), position qui a été adoptée par la Cour de cassation (Cass. com., 24 sept. 2003, pourvoi n° 01-11.595 ; Juris-Data n°020344 ; Cass. com., 6 mai 2003, pourvoi n°01-00.515, inédit ; Cass. com., 11 févr. 2003, Juris-Data n°017835 ; Cass. com., 16 mai 2000, pourvoi n°97-16.386, inédit ; Cass. com., 20 oct. 1998, pourvoi n°96-13.159, inédit ; Cass. com., 24 mars 1998, pourvoi n°96-13.158, inédit.) ; les juridictions du fond s’accordent désormais pour prononcer la nullité du contrat si les conditions en sont remplies (CA Paris, 16 nov. 2006, Juris-Data n°322715 ; CA Paris, 26 oct. 2006, Juris-Data n°322712 ; CA Paris, 5 juill. 2006, Juris-Data n°312416 ; CA Paris, 23 juin 2006, Juris-Data n°312403 ; CA Paris, 7 juin 2006, Juris-Data n°312420 ; CA Nîmes, 6 oct. 2005, Juris-Data n°311158 ; CA Nîmes, 23 juin 2005, Juris-Data n°282018 ; CA Lyon, 31 mars 2005, Juris-Data n°274619 ; CA Toulouse, 7 déc. 2004, Juris-Data n°264674 ; CA Montpellier, 21 sept. 2004, Juris-Data n°255385 ; CA Lyon, 36 juin 2004, Juris-Data n°246758 ; Trib. com.. Paris, 24 nov. 2003, Juris-Data n°235448 ; CA Basse-Terre, 20 oct. 2003, Juris-Data n°247239 ; CA Montpellier 21 janv. 2003, Juris-Data n°257318 ; CA Montpellier, 7 janv. 2003, Juris-Data n°212738 ; CA Montpellier, 26 nov. 2002, Juris-Data n°202571 ; TGI Carcassonne, 2 mai 2002, Juris-Data n°189518 ; CA Bordeaux, 30 avr. 2002, Juris-Data n°184858 ; CA Versailles, 7 févr. 2002, Juris-Data n°210324 ; CA Lyon, 2 nov. 2001, Juris-Data n°189445 ; CA Versailles, 15 févr. 2001, Juris-Data n°145000 ; CA Paris, 28 janv. 2001, Juris-Data n°151449 ; CA Lyon, 27 oct. 2000, Juris-Data n°132234 ; CA Toulouse, 13 sept. 2000 (2 affaires), Juris-Data n°125550 et n°128143 ; CA Toulouse, 29 juin 2000, Juris-Data n°121450 ; CA Bordeaux, 15 mars 2000, Juris-Data n°117540 ; CA Paris, 1er déc. 1999, Juris-Data n°117888 ; Trib. com. Paris, 8 janv. 1999, Juris-Data n°040120. V. également CA Paris, 31 janv. 2002, Juris-Data n°170815 qui, pour rejeter une demande tendant à la résiliation du contrat fondée sur la différence importante existant entre les comptes prévisionnels et les comptes obtenus répond : « Considérant que les comptes de résultat prévisionnels fournis au titre de l’information précontractuelle n’ont pas valeur d’engagement contractuel pour le franchiseur, qui ne s’est pas obligé à en garantir la réalisation par le franchisé ».). Le manquement du débiteur de l’information précontractuelle ne peut donc entrainer la nullité du contrat de franchise que s’il constitue un vice du consentement.
A la question de savoir à quoi sert-il de « prendre une loi spéciale s’il faut en passer par le droit commun pour en assurer l’efficacité », une réponse articulée en deux propositions se dégage : la jurisprudence ne surprotège pas inutilement le franchisé, la jurisprudence se concentre raisonnablement sur l’existence d’un vice du consentement.
a) Une jurisprudence ne surprotégeant pas inutilement le franchisé
L’objectif, en terme de politique juridique, ne saurait être de « surprotéger» le franchisé, c’est-à-dire de lui permettre d’obtenir l’annulation de son contrat de franchise dans des situations où, au regard du droit commun, une telle action serait vouée à l’échec. Quel serait l’intérêt d’en arriver là ?
Quel seraient les conséquences d’une telle situation ? Tout mécanisme juridique surprotecteur est en soi malsain, et conduit souvent à un dévoiement indésirable de la règle de droit. Il en irait de même en ce domaine :
- trop soucieux de ne laisser aucune erreur dans leur DIP, certains franchiseurs risqueraient de ne signer aucun contrat de franchise (en pratique, certains réseaux estiment actuellement – à tort – préférable de ne remettre aucun DIP, croyant pouvoir échapper ainsi à la critique, afin que le franchisé ne puisse lui faire le reproche de lui avoir transmis des informations erronées).
- soumis à des règles exagérément contraignantes, le franchiseur pourrait préférer ne conférer aucune exclusivité au franchisé pour échapper au champ d’application de la loi et se soustraire au régime légal.
- soumise à des règles exagérément contraignantes, la franchise disparaîtrait probablement.
b) Une jurisprudence raisonnablement concentrée sur l’existence d’un vice du consentement
Cet objectif ne prive pas le texte de l’article R.330-1 précité d’intérêt puisqu’il fournit au juge la liste des informations – d’accessibilité et d’importance variables – sur le fondement desquelles le franchisé a pu déterminer son consentement : un tel objectif est donc source de sécurité et de prévisibilité juridique.
Cet objectif n’interdit pas au franchisé d’agir utilement en nullité en présence d’informations erronées qui ne seraient pas visées par le texte de l’article R. 330-1 du code de commerce (par ex. : la jurisprudence qui s’est dégagée sur les comptes prévisionnels erronés).
B) Le projet de loi « Lefebvre »
Le projet de Loi Lefebvre s’inscrit également dans un contexte bien particulier – incomparable à celui présidant qui fait suite à l’avis de l’ADLC qui, pour ce qui concerne la phase précontractuelle, relève qu’en pratique les affiliés opérant dans le secteur de la grande distribution pouvaient être amenés à prendre tardivement connaissance de leur contrat, après avoir engagé de nombreuses dépenses, compliquant toute velléité de négociation.
1° En termes de politique juridique
Pour ce qui concerne la question des relations précontractuelles, ce projet de loi instaure un délai de deux mois se voulant protecteur des intérêts des affiliés, mais qui s’avère maladroit.
a) L’instauration d’un délai de deux mois se voulant protecteur des intérêts des affiliés
Le projet de loi prévoit que toute convention d’affiliation devra, à peine de nullité, être remise à l’exploitant au moins deux mois avant sa signature ; et, selon le nouvel article L.340-1-III du code de commerce, ce contrat devra comporter des informations portant sur les conditions de l’affiliation et de la participation au groupement, les conditions d’utilisation des services commerciaux apportés à l’exploitant, le fonctionnement du réseau, les conditions de renouvellement, cession et résiliation des contrats régissant les relations commerciales découlant de l’affiliation, les obligations applicables après rupture des relations contractuelles, ainsi que le terme du contrat, lorsque celui-ci est conclu pour une durée déterminée. L’intention du législateur est donc louable puisqu’il s’agit de protéger les affiliés en leur accordant un délai significatif entre la conclusion du contrat et la date à laquelle il en aura eu connaissance pour leur permettre de disposer d’un temps de réflexion suffisant et adapté au contexte. De ce fait, la ratio legis de ce texte n’est pas critiquable.
b) Un projet de loi maladroit
Mais ce projet de loi s’avère maladroit, tant sur la forme que sur le fond.
Sur la forme, il faut rappeler que l’instauration d’un délai de deux mois fait écho à l’une des préconisations formulées par l’avis de l’ADLC du 7 décembre 2010 (page 57, §. 214), soulignant que les affiliés pouvaient être amenés en pratique à prendre tardivement connaissance de leur contrat, alors que de nombreuses dépenses avaient été engagées, et qu’il convenait donc de leur transmettre ce contrat d’affiliation suffisamment en amont. S’il se veut protecteur, ce dispositif n’en demeure pas moins maladroit car ce délai de deux mois diffère de celui (de 20 jours) visé à l’article L. 330-3 du code de commerce. Il en résulte une distorsion, totalement injustifiée, entre les secteurs d’activité relevant du champ d’application du projet de loi et les autres (cf. le point 2° ci-dessous). Le législateur ferait donc mieux d’admettre la solution, dénuée de toute confusion, consistant à retenir que le délai applicable pour la remise de la convention d’affiliation soit le même que celui prévu pour la remise des DIP, ainsi que le suggéraient d’ailleurs deux amendements successifs (n°287 et n° 370), trop rapidement rejetés.
Quant au fond, la réforme envisagée est également maladroite. Le contenu même du document tel qu’il résulte de la rédaction de l’actuel article L.340-1-III diffère de celui prévu par l’article R.330-1 du code de commerce. Le premier exige que soient mentionnées les informations portant sur les conditions de l’affiliation et de la participation au groupement, les conditions d’utilisation des services commerciaux apportés à l’exploitant, le fonctionnement du réseau, les conditions de renouvellement, cession et résiliation des contrats régissant les relations commerciales découlant de l’affiliation, les obligations applicables après rupture des relations contractuelles, voire le terme du contrat, lorsque celui-ci est conclu pour une durée déterminée. Or, le second vise quant à lui des informations pour partie différentes, telles que la présentation de l’état général et local du marché des produits ou services devant faire l’objet du contrat, les perspectives de développement de ce marché, ce qui n’est pas rien. Et c’est sans y parvenir que l’on cherchera la raison pour laquelle les informations diffusées pour tel secteur d’activité ne seraient plus pertinentes pour d’autres secteurs. Cette autre distorsion a de quoi laisser perplexe. On notera également que l’avis de l’ADLC du 7 décembre 2010, qui préconisait par ailleurs (Avis, page 58, §. 216) la remise en amont par la tête de réseau de l’ensemble de la documentation contractuelle (pouvant notamment comprendre un contrat d’approvisionnement, un contrat de bail ou de location-gérance, un pacte d’associés), propre à éclairer l’affilié, n’a pas été entendu par le législateur sur ce point. L’article L.340-1-III précité n’exige en effet que la remise de la « convention d’affiliation » dans le délai de deux mois. Or, précisément, cette convention n’est pas le seul contrat pouvant avoir été signé entre les parties, celui-ci pouvant au contraire s’inscrire dans un ensemble contractuel. A cet égard, le projet de loi a par ailleurs abandonné l’idée – qui figurait dans le texte soumis en conseil des ministres le 1er juin dernier et dans l’avis de l’ADLC du 7 décembre 2010 (page 57, §. 213)–, selon laquelle la convention d’affiliation devrait constituer un « document unique », se substituant aux contrats que les opérateurs peuvent avoir conclus par ailleurs ou aux liens d’autres natures éventuellement noués au sein du groupe. En pratique, il sera toutefois recommandé de remettre ces informations, déterminantes du consentement de l’affilié, dans un délai raisonnable.
2° En termes de technique juridique
a) Première incertitude, quant au champ d’application de ce texte
En premier lieu, en effet, le renvoi effectué par l’article L.340-2 du code de commerce à un décret pris après avis de l’Autorité de la concurrence, destiné à définir « les secteurs d’activité pour lesquels et les seuils de surface et de chiffre d’affaires en deçà desquels il pourra être dérogé à cette obligation », suscite plusieurs observations. Pour les uns, le renvoi au décret n’est pas acceptable ; pour d’autres, tel que Monsieur le Secrétaire d’Etat, « le renvoi au décret permet de préciser les secteurs d’activité concernés afin d’éviter une application trop extensive ». Quoi qu’il en soit, il importe de savoir clairement quels secteurs d’activité entreront finalement dans le champ d’application du texte rendant la convention d’affiliation « obligatoire » ; et, il faut bien le dire, sur ce point précis – mais fondamental –, le texte n’est pas stabilisé.
b) Seconde incertitude, quant au champ d’application de ce texte
En second lieu, la proportion du « tiers » prévue à l’article L.340-2 du code de commerce, critère essentiel de l’application du régime juridique découlant du projet de loi, sera délicate dans un certain nombre de cas, car l’affilié pourra parfois se trouver lui-même dans une situation tangente ; on le pressent déjà, l’incertitude liée à la détermination du chiffre d’affaires de l’affilié, dont on ne saura pas toujours à l’avance s’il franchit (ou non) ce seuil fatidique, pourra polluer l’appréciation à faire de l’applicabilité (ou non) de ce texte. Ajoutons que le seuil pourra être atteint une année et pas l’autre ; on mesure déjà l’étendue de discussions sans fin se profiler à l’horizon…
II. LA PRATIQUE
Le droit positif ne fait peser aucune obligation d’information particulière sur le franchisé, ni au travers du dispositif issu de la loi « Doubin », ni au travers de celui qu’envisage l’actuel projet de loi « Lefebvre ». Dans un cas comme dans l’autre l’idée même de protéger le consentement du franchiseur n’a pas même effleuré l’esprit du législateur. En pratique, il appartient donc au franchiseur de pallier ce vide, en recourant, au cours de la phase précontractuelle, à différents mécanismes juridique protecteurs de ses intérêts. Les uns concernent la protection des informations qu’il transmet (A), les autres concernent le processus même conduisant à l’accord de volontés (B).
A. La protection par le franchiseur des informations qu’il transmet
1° La clause de confidentialité
a) Intérêts de la clause
Etant donné l’objet principal du contrat de franchise, consistant en la réitération d’un savoir-faire, les pourparlers impliquent la transmission d’informations qui, sans nécessairement correspondre au savoir-faire lui-même, sont confidentielles, notamment lorsqu’elles ont pour but de permettre au candidat franchisé d’apprécier la qualité de la méthode qui lui sera transmise et certaines informations sur le réseau qu’il envisage d’intégrer. Même en l’absence de clause de confidentialité, l’ex-candidat franchisé à l’interdiction d’utiliser les informations communiquées lors des pourparlers, notamment lorsqu’il s’agit d’éléments relatifs au savoir-faire ; la jurisprudence considère en effet qu’il commet alors un acte de concurrence déloyale (CA Paris, 1er févr. 1989, Juris-Data n°020420 ; Cass. com., 3 juin 1986, Bull. civ. IV, n°110 ; CA Rouen, 13 janv. 1981, Juris-Data n°040239) ou de parasitisme (CA Paris, 30 avr. 1997, Juris-Data n°020730). La valeur ajoutée d’une clause de confidentialité réside donc bien dans la qualité de son contenu, qui doit permettre une meilleure protection du franchiseur que celle résultant de la simple application du droit commun.
b) Contenu de la clause
La clause de « confidentialité » oblige le franchisé à ne pas dévoiler ou faire usage des informations confidentielles dont il aura eu connaissance, y compris dans l’hypothèse où le contrat de franchise ne serait pas signé. Il est vivement recommandé d’y préciser :
- le champ de l’information devant demeurer secrète (par exemple, les informations contenues dans le DIP et, plus généralement, toutes celles touchant directement ou indirectement au savoir-faire),
- les personnes devant répondre de cette confidentialité (on pourra alors, notamment, faire appel au mécanisme du porte-fort, particulièrement efficace au plan juridique compte tenu de l’évolution de la jurisprudence depuis plusieurs années),
- les sanctions particulières attachées à sa violation.
2° La clause d’exclusivité de négociation
a) Intérêts de la clause
Le régime des pourparlers diffère selon que les parties ont ou non organisé le cadre de leurs négociations. En dehors de tout lien contractuel, le principe est celui de la liberté de rompre les négociations. Cependant, les contractants en puissance qui abuseraient de cette liberté pourraient voir leur responsabilité délictuelle engagée, ce qui suppose d’établir une faute (Cass.com., 26 mars 2008, pourvoi n°07-11026). En présence d’un avant-contrat, qui peut revêtir différentes formes : accord de principe, contrat de réservation, pacte de préférence, les parties s’engagent l’une envers l’autre à certaines obligations, dont l’exclusivité de négociation peut faire partie. La méconnaissance des obligations ainsi souscrites engage la responsabilité de son auteur. La clause d’ « exclusivité de négociation » présente l’avantage de rendre la négociation du contrat exclusive de toute autre et d’optimiser les chances de voir la phase précontractuelle aboutir.
b) Contenu de la clause
La clause d’ « exclusivité de négociation » interdit, pendant une certaine durée, à l’une et/ou l’autre des parties, de négocier un contrat de même nature avec tout tiers. Le champ d’application de l’interdiction s’apprécie en fonction de sa durée, qui peut être déterminée (3 mois) ou indéterminée (jusqu’au terme des pourparlers), voire mixte (jusqu’au terme des pourparlers et dans la limite de 6 mois) ; elle s’apprécie aussi en fonction de sa nature, qui peut concerner tout contrat de distribution se rapportant à la même zone. Une sanction peut être prévue. A l’expiration du délai prévu, les négociations peuvent se poursuivre mais les partenaires recouvrent la liberté d’engager des pourparlers avec d’autres partenaires potentiels. Cette exclusivité de négociation peut être prévue seule, ce qui est rare en pratique, ou au sein d’un avant-contrat lequel peut revêtir différentes formes : contrat de réservation par lequel le franchiseur s’engage à ne pas concéder de contrat de franchise à un tiers sur un territoire et pendant une période déterminés, le plus souvent en contrepartie d’une indemnité versée par le candidat franchisé, pacte de préférence par lequel le franchiseur s’engage, pour le cas où il déciderait de conclure un contrat de franchise, à proposer ce contrat en priorité à son cocontractant au pacte aux mêmes conditions. Le choix de cet avant-contrat est à apprécier au cas par cas.
B) La protection par le franchiseur du processus conduisant à l’accord de volontés
1° La clause de déclarations préalables
a) Intérêts de la clause
L’article L.330-1 du code de commerce ne fait peser aucune obligation d’information à la charge du franchisé. Cette obligation est envisagée au point 4 du Code européen de déontologie de la franchise, selon lequel : « le futur franchisé se doit d’être loyal quant aux informations qu’il fournit au franchiseur sur son expérience, ses capacités financières, sa formation, en vue d’être sélectionné ». Toutefois, la jurisprudence ne reconnaît aucune force obligatoire à ce code (CA Colmar, 28 mai 1993, Juris-Data n°048286), à moins que les parties n’en aient décidé autrement (CA Paris, 21 octobre 1998, Juris-Data n°024128). L’intérêt de la clause de « déclarations préalables » consiste à faire entrer dans le champ contractuel les éléments d’information communiqués par le candidat franchisé.
En l’absence de stipulations contractuelles, le franchisé reste tenu par une obligation générale de contracter de bonne foi. La Cour de cassation reconnaît en effet l’existence d’un principe autonome d’obligation de contracter de bonne foi dont la violation suffit à entraîner la nullité des conventions ; la solution est connue (Cass. com., 27 novembre 2007, pourvoi n° 06-17.060 ; Cass. com., 20 septembre 2005, Bull. IV, n° 176, p. 191 ; Cass. Civ. 1ère, 15 mars 2005, RTD civ. 2005, p. 381, obs. J. Mestre ; Civ. 1ère, 16 mai 1995, arrêt n° 911). Ce principe essentiel trouve à s’appliquer en toutes circonstances, notamment lorsque la loi n’a prévu aucun devoir d’information à la charge de l’une des parties (Cass. 1ère civ., 16 novembre 1991, Bull. civ. I, n° 331 ; Cass. civ. 3ème, 27 mars 1991, Bull. civ. III, n° 108 ; Cass. com., 8 nov. 1983 : Bull. civ. IV, n° 98), ce qui est précisément le cas des articles L.330-3 et R.330-1 du Code de commerce. La jurisprudence fait donc à juste titre peser une obligation de contracter de bonne foi sur les deux parties au contrat de franchise : la solution est consacrée tant par les juridictions du fond (CA Amiens, 19 janvier 2004, n°8) que par la Cour de cassation (Cass.com., 12 février 2008, pourvoi n°07-10.462 ; Cass.com., 14 juin 2005, pourvois n°04-13.947 et n°04-13.947).
b) Contenu de la clause
La clause reprend les déclarations du franchisé au franchiseur relatives à sa situation financière, l’état de son patrimoine, ses expériences professionnelles, ses engagements passés et actuels. Elle devra surtout préciser les informations qui, communiquées par le candidat au franchiseur durant la phase précontractuelle, ont déterminé ce dernier à signer le contrat de franchise ; à défaut d’une telle prévision, il appartient au franchiseur de prouver que ces renseignements erronés ont été effectivement déterminants de sa volonté de contracter, ce qui peut être délicat à démontrer. Et l’on sait bien qu’à cet égard, les tribunaux peuvent parfois faire preuve d’une sévérité exagérée (Trib. Com., Quimper, 20 février 2009, inédit (cette décision a fait l’objet d’un appel, la décision à intervenir de la cour d’appel de Vannes doit être prochainement rendue). Il est donc vivement recommandé d’insérer, dans le contrat de franchise, des stipulations reprenant les renseignements qui, fournis par le franchisé, ont convaincu le franchiseur de contracter.
2° L’accord de « réservation »
a) Intérêts de la clause
Le contrat de « réservation », bien connu des praticiens, est celui par lequel le franchiseur s’engage à ne pas concéder de contrat de franchise à un tiers sur un territoire et pendant une période déterminés, en contrepartie d’une indemnité versée par le candidat franchisé. Il s’agit d’une promesse de contrat de franchise, assortie d’une réservation de territoire. Il permet de sécuriser une zone au profit d’un candidat franchisé et de s’assurer du sérieux de sa candidature. Conformément à un usage répandu en pratique, l’indemnité versée par le franchisé est en principe conservée par le franchiseur lorsque le candidat franchisé renonce à la signature du contrat (CA Aix-en-Provence, 14 juin 1995, Juris-Data n°044769). Si le contrat est effectivement signé, cette somme s’impute alors sur le droit d’entrée payé par le franchisé.
b) Contenu de la clause
Lorsque le contrat de réservation met à la charge du franchisé le paiement d’une indemnité, il doit faire l’objet d’un écrit précisant les obligations pesant sur le franchiseur en contrepartie de l’indemnité versée, et les conséquences du dédit du franchisé en termes d’obligations. Le contrat peut prévoir, notamment : à la charge du franchiseur, l’obligation d’aider le candidat franchisé à chercher un local et à obtenir des prêts, l’obligation de donner une formation au candidat franchisé, l’obligation de rembourser l’indemnité versée par le candidat franchisé en cas de rupture du contrat de réservation à l’initiative du franchiseur ; à la charge du franchisé : l’obligation de mettre tout en œuvre pour rechercher un local ; l’obligation de recevoir la formation dispensée par le franchiseur, une obligation de confidentialité et une obligation de non-concurrence.
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