L’actualité judiciaire vient alimenter la – déjà longue – liste de décisions de justice ordonnant la requalification d’un contrat de distribution.
1. Actualité : L’actualité judiciaire vient alimenter la – déjà longue – liste de décisions de justice ordonnant la requalification d’un contrat de distribution.
Voilà en effet qu’un contrat de franchise (Cass. Soc., 25 mars 2009) puis qu’un contrat de location-gérance (CA Paris, 19 février 2009, n 08/10255) se voient tour à tour appliquer les dispositions du code du travail, qu’un contrat de commission-affiliation se trouve requalifié en contrat d’agent commercial (CA Paris, 5 ch., section B, 9 avril 2009), tandis que le juge requalifie un contrat de gérance-mandat en contrat de travail (CA Paris, 5 ch., section B, 8 avril 2009). Si la succession de ces décisions récentes – rendues fortuitement à quelques jours d’intervalle – a pu susciter une impression de tourmente, sinon d’inquiétude, la réalité est en définitive bien plus simple. De telles décisions s’inscrivent en effet dans la continuité de la jurisprudence par laquelle le juge exerce son pouvoir de requalification des conventions.
2. Continuité : Ces décisions sont courantes – pour ne pas dire fréquentes –, en droit de la distribution comme dans les autres domaines du droit. Que l’on songe seulement à la distinction que la jurisprudence la plus classique s’attache à faire entre le contrat de franchise et les autres contrats de distribution, tels que notamment le contrat de concession (Cass. com., 19 nov. 2002, D. 2003, p. 2427), le contrat de distribution sélective (CJCE, 28 janv. 2006, aff. n 161/84 Recueil 1986, p. 353), le contrat de licence de marque (CA Paris, 4 mars 1991, Juris-Data n 021270, n 020964 et n 020830), le contrat de commission-affiliation (CA Paris, 23 janv. 2001, JurisData n 142924), le contrat d’affiliation (CA Versailles, 7 mars 2002, Juris-Data n 225456), le contrat de mandat (Cass. com., 17 oct. 1995, Bull. civ. IV, n 246). La jurisprudence distingue également le contrat de franchise du contrat de travail (Cass. soc., 22 mars 2007, Juris-Data n 038157).
On le voit, les illustrations ne manquent pas.
3. Enseignements : De ces décisions se dégagent plusieurs enseignements majeurs sur lesquels il nous faut revenir.
Il convient tout d’abord de souligner que le juge du fond a le devoir de requalifier les contrats improprement dénommés ; pour ce faire, le juge se livre à une interprétation au cas par cas de la volonté commune des parties au contrat et procède, le cas échéant, à la requalification du contrat en cause, sous le contrôle de la Cour de cassation (I). Dans ce contexte bien connu, il y a lieu de revenir enfin, à la lumière de plusieurs décisions récentes, sur certaines des particularités propres aux différents contrats de distribution (II).
I. Interprétation et requalification du contrat par le juge
4. Articulation : Interpréter et qualifier un contrat sont des opérations bien distinctes. Le juge interprète tout contrat en appliquant la méthode d’interprétation qu’énoncent les articles 1156 et suivants du code civil et en appréciant le comportement adopté par les parties une fois le contrat signé (A). Il est tenu de requalifier le contrat improprement qualifié, à moins que les parties retiennent une qualification identique dans le cadre du débat judiciaire (B).
A. Interprétation du contrat par le juge
5. Intention commune des parties : Le juge doit respecter la commune intention des parties sans « s’arrêter au sens littéral des termes » (C. civ., art. 1156). Cette commune intention s’entend de la volonté de chacune des parties et non de l’une d’elles.
6. Contenu du contrat : Pour apprécier la commune intention des parties, le juge doit se situer au moment de la conclusion du contrat (Cass. com. 17 juill. 1978, Bull. civ. IV, n 203). Il examine le contenu du contrat conformément aux règles préconisées aux articles 1156 à 1164 du code civil.
Il convient de retenir les règles suivantes : lorsqu’une clause est susceptible de deux sens, on doit plutôt l’entendre dans celui avec lequel elle peut avoir quelque effet, que dans le sens avec lequel elle n’en pourrait produire aucun (c. civ., art. 1157) ; les termes susceptibles de deux sens doivent être pris dans le sens qui convient le plus à la matière du contrat (c. civ., art. 1158) ; on doit suppléer dans le contrat les clauses qui y sont d’usage, quoiqu’elles n’y soient pas exprimées (c. civ., art. 1160) ; toutes les clauses des conventions s’interprètent les unes par les autres, en donnant à chacune le sens qui résulte de l’acte entier (c. civ., art. 1161) ; dans le doute, la convention s’interprète contre celui qui a stipulé et en faveur de celui qui a contracté l’obligation (c. civ., art. 1162) ; quelque généraux que soient les termes dans lesquels une convention est conçue, elle ne comprend que les choses sur lesquelles il paraît que les parties se sont proposées de contracter (c. civ., art. 1163).
7. Comportement ultérieur des parties : S’il ne parvient pas à rapporter la preuve de la commune intention, le juge examine les modalités d’exécution du contrat dans le but de faire correspondre le contenu de la convention et sa dénomination (Cass. com., 8 déc. 1980, Bull. civ. IV, n 414). Plusieurs indices peuvent être retenus, tels que notamment un bon de réception (Cass. civ. 1 re , 3 fév. 1982, JCP 82, éd. CI, I, 10566), la conclusion d’un autre contrat (Cass. com., 13 déc. 1982, JCP G 83, IV, 74) et, plus généralement, tout comportement ultérieur des parties (Cass. civ. 1 re , 13 déc. 1988, Bull. civ. I, n 352).
Le juge est libre d’utiliser les moyens qui lui paraissent les plus appropriés ; les preuves à rapporter en matière d’interprétation peuvent l’être par tous moyens.
B. Requalification du contrat par le juge
8. Devoir de requalification : Par application de l’article 12 alinéa 2 du code de procédure civile, le juge « doit donner ou restituer leur exacte qualification aux (…) actes litigieux sans s’arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposées ». Les termes de ce texte sont limpides : le juge « doit » procéder à cette rectification ; il ne s’agit donc certainement pas d’une simple faculté. Face à un contrat improprement qualifié, le juge est donc tenu de rechercher ce que les parties ont réellement voulu, et de donner à cette volonté la qualification juridique qui lui convient.
9. Limite au devoir de requalification : Ce principe connaît une exception. En effet, conformément à l’article 12 alinéa 3 du code de procédure civile, le juge « ne peut toutefois changer la dénomination (…) lorsque les parties, en vertu d’un accord exprès et pour les droits dont elles ont la libre disposition, l’ont lié par les qualifications et points de droit auxquels elles entendent limiter le débat ». Ainsi, en l’absence de contestation entre les parties quant à la qualification d’un acte juridique, le juge n’est pas autorisé à requalifier le contrat objet du litige.
10. Contrôle : De ce point de vue, l’interprétation reste une question de fait relevant du pouvoir souverain des juges du fond (Cass. civ. 1 re , 23 avril 1985, Bull. civ. I, n 124) ; elle n’en demeure pas moins soumise au contrôle par la Cour de cassation de la dénaturation des clauses claires et précises (Cass. com., 17 mai 1988, Bull. civ. IV, n 162). De même, la Cour de cassation veille avec attention à l’exactitude de la qualification juridique retenue par le juge du fond.
II. Particularité des contrats de distribution
11. Distinction : Il convient de distinguer les décisions ayant donné lieu à requalification d’un contrat de distribution (A), de celles qui, sans emporter une telle requalification, ont néanmoins fait application des dispositions du droit du travail (B).
A. Requalification d’un contrat de distribution
12. Arrêt Chattawak : Par un récent arrêt de la Cour d’appel de Paris (CA Paris, 5 ch., section B, 9 avril 2009, RG n 08/07996), rendu sur renvoi après cassation (Cass. com., 26 février 2008, n 06-20.772), les juges du fond ont requalifié un contrat de commission-affiliation en contrat d’agent commercial.
Pour aboutir à cette solution, l’arrêt s’est notamment attaché à examiner les conditions dans lesquelles le contrat litigieux a effectivement été exécuté entre les parties ; ainsi, a-t-il été relevé, selon les juges du fond, que la plupart des éléments susceptibles de composer le fonds de commerce appartenait à l’enseigne ou était contrôlée par elle. A cet égard, tout est affaire de circonstances.
13. Arrêt Nouvelles Frontières : La même semaine, la Cour d’appel de Paris (CA Paris, 5 ch., section B, 8 avril 2009, inédit) avait requalifié un contrat de gérance mandat (C. com., art. L. 146-1) en contrat de travail.
La Cour d’appel de Paris a ainsi eu l’occasion de préciser quels étaient les éléments propres à caractériser le « lien de subordination », caractéristique du contrat de travail au sens de l’article L.8221-6 du code du travail.
B. Application des dispositions du code du travail
14. Texte spécifique : L’article L.7321-1 du code du travail reconnaît aux gérants de succursales le bénéfice du code du travail, sous réserve de certaines dispositions.
Ce texte, qui rend applicable les dispositions du code du travail à tout type de relation contractuelle – sans impliquer de requalification du contrat considéré –, suppose la réunion de quatre conditions : l’existence d’une activité de vente, la fourniture exclusive des marchandises et denrées par une seule entreprise industrielle ou commerciale, l’exercice d’une activité dans un local fourni ou agréé par celle-ci et, enfin, l’existence de prix imposés.
15. Arrêts Yves Rocher : Les dispositions de ce texte ont été étendues à un contrat de gérance libre d’un fonds de commerce (CA Paris, 19 février 2009, RG n 08/10255) ; dans cette espèce, les juges du fond se sont attachés à vérifier que chacune des conditions d’application de ce texte était vérifiée, tout en rappelant que le lien de subordination n’était pas une condition d’application de ce texte. La décision est frappée d’appel.
La Cour de cassation (Cass. Soc., 25 mars 2009, n 07- 41242) a également rappelé que les personnes visées par les dispositions de ce texte peuvent revendiquer à leur profit l’application de la convention collective considérée.
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16. Conclusion générale : On le voit, dans chacune des hypothèses considérées par la jurisprudence, le juge du fond se livre à une interprétation des contrats et du comportement adopté par les parties en présence, sous le contrôle de la cour de cassation. Selon les cas, le juge du fond pourra procéder à la qualification des actes juridiques qui lui sont soumis ou à l’application des dispositions spécifiques de l’article L.7321-1 du code du travail.