Cass. com., 8 mars 2016, pourvoi n°14-25.718
La chute brutale du chiffre d’affaires réalisé par une entreprise avec son partenaire ne peut constituer un abus de dépendance économique si aucune affectation de la concurrence n’est démontrée.
Ce qu’il faut retenir : La chute brutale du chiffre d’affaires réalisé par une entreprise avec son partenaire ne peut constituer un abus de dépendance économique si aucune affectation de la concurrence n’est démontrée.
Pour approfondir : La société CPS s’est vue confier, par deux contrats d’octobre 2005 et janvier 2006, dont le dernier a été conclu pour une durée de deux ans renouvelable par tacite reconduction, le conditionnement de leurs produits par les sociétés de parfumerie Paco Rabanne et Nina Ricci.
Un nouveau contrat d’un an a été conclu pour l’année 2008 ; aucun contrat n’a été conclu pour l’année 2009. Au cours de l’année 2009, en l’absence de contrat encadrant la relation, la société Paco Rabanne a néanmoins adressé des commandes à la société CPS avant de lancer un appel d’offres, à l’issue duquel cette dernière n’a pas été retenue.
La société CPS, mise en redressement judiciaire en février 2010, a assigné les sociétés Paco Rabanne et Nina Ricci en paiement de dommages-intérêts en se prévalant des fondements d’abus de dépendance économique et de rupture brutale de relation commerciale établie.
Sur le grief tiré de la rupture brutale de relations commerciales établies, la chambre commerciale de la Cour de cassation, admettant tacitement que la chute brutale du chiffre d’affaires s’analyse en une rupture partielle de la relation commerciale, casse l’arrêt d’appel pour défaut de base légale au motif qu’elle n’a pas recherché si la société Paco Rabanne avait clairement notifié ladite rupture à la société CPS en lui consentant un préavis suffisant.
En effet, l’absence de notification d’un préavis suffisant est seule susceptible de caractériser la « brutalité » de la rupture, critère déterminant de l’application de l’article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce.
Cette solution, mérite d’être saluée en ce qu’elle circonscrit la faute susceptible d’entraîner la responsabilité de l’auteur de la rupture sur le fondement de l’article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce.
Sur le grief tiré de l’abus de dépendance économique, la chambre commerciale de la Cour de cassation rappelle qu’il ne peut prospérer en l’absence de démonstration, par la société CPS, « que la pratique dénoncée [était] susceptible d’affecter le fonctionnement ou la structure de la concurrence sur un marché ».
En effet, l’abus de dépendance économique est sanctionné en droit français par l’article L. 420-2, 2° du Code de commerce qui dispose : « est en outre prohibée, dès lors qu’elle est susceptible d’affecter le fonctionnement ou la structure de la concurrence, l’exploitation abusive par une entreprise ou un groupe d’entreprises de l’état de dépendance économique dans lequel se trouve à son égard une entreprise cliente ou fournisseur. »
Ce rappel des critères d’application de l’article L. 420-2 du Code de commerce ne peut donc qu’être approuvé, a fortiori au regard de l’intensité des condamnations pouvant être prononcées en application de ce texte (notamment : annulation rétroactive du contrat, réparation du dommage à l’économie, sanctions pénales du dirigeant, réparation des dommages personnels).
Il est notable qu’à compter du 1er octobre 2016, date d’entrée en vigueur de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, l’abus de l’état de dépendance dans lequel se trouve un partenaire pourra être constitutif d’une violence justifiant l’annulation du contrat conclu dans ces conditions.
En effet, l’article 1143 du nouveau Code civil disposera :
« Il y a également violence lorsqu’une partie, abusant de l’état de dépendance dans lequel se trouve son cocontractant, obtient de lui un engagement qu’il n’aurait pas souscrit en l’absence d’une telle contrainte et en tire un avantage manifestement excessif. »
L’affectation de la concurrence ne sera pas un critère d’application de ce texte nouveau.
A rapprocher : article 1143 (nouveau) du Code civil