CA Limoges, 5 novembre 2015, RG n°13/01241
Les règles concernant la validité d’une clause de non-concurrence post-contractuelle, insérée au cas présent dans un contrat de réservation, ne touchent pas à l’ordre public, de sorte que le juge n’est pas tenu de relever d’office le moyen tiré de l’exception de nullité de la clause de non-concurrence post-contractuelle…
Ce qu’il faut retenir : Les règles concernant la validité d’une clause de non-concurrence post-contractuelle, insérée au cas présent dans un contrat de réservation, ne touchent pas à l’ordre public, de sorte que le juge n’est pas tenu de relever d’office le moyen tiré de l’exception de nullité de la clause de non-concurrence post-contractuelle (1er aspect de la décision commentée). Lorsque les termes de la clause de non-concurrence post-contractuelle le permettent, celle-ci trouve à s’appliquer, y compris lorsque le franchiseur, par son comportement fautif, est à l’origine de la cessation du contrat (2nd aspect de la décision commentée).
Pour approfondir : Aux termes d’un contrat de réservation conclu le 12 octobre 2011, un franchiseur consent à un candidat franchisé une option sur un territoire défini pour l’implantation d’un point de vente pendant une durée d’un an à compter de la date de signature de ce contrat de réservation. Ce contrat de réservation comprend une clause de non-concurrence post-contractuelle, selon laquelle il est stipulé que dans l’hypothèse où l’option ne serait pas levée par le candidat franchisé dans le délai contractuel d’un an, celui-ci s’interdirait alors d’exploiter, directement ou indirectement, et de quelque façon que ce soit, toute activité identique (ou similaire) sur l’ensemble du territoire français, pendant une durée de deux ans à compter de la cessation du contrat de réservation.
L’arrêt rendu par la Cour d’appel de Limoges attire notre attention sur deux points, l’un concernant le droit processuel, l’autre le droit substantiel.
En premier lieu, fait marquant, le candidat franchisé ne contestait pas la validité même de cette clause, pas plus que celle du contrat dans lequel elle était insérée ; l’arrêt commenté en tire pour conséquence que la clause de non-concurrence post-contractuelle doit recevoir application. La validité de cette clause de non-concurrence post-contractuelle pouvait pourtant prêter à discussion dans la mesure où elle semblait de prime abord disproportionnée, à la fois au regard du critère de limitation géographique exigé en jurisprudence (en l’espèce, l’interdiction de non-concurrence visait le territoire national, alors que), mais également au regard de sa limitation temporelle (en l’espèce, l’interdiction de non-concurrence était de deux ans après la cessation du contrat de réservation, alors que la jurisprudence tend désormais à exiger un délai d’un an seulement). En dépit du fait que cette clause paraissait donc « doublement » disproportionnée, les juges du fond retiennent sobrement : « que cette clause, dont la validité n’est pas contestée pas plus que celle du contrat dans lequel elle est insérée, doit recevoir application ».
L’intérêt de l’arrêt commenté se déplace alors sur le terrain du droit processuel ; autrement dit, les juges pouvaient-ils (ou devaient-ils) relever d’office la question – qui leur tendait les bras – de savoir si cette clause était valable ou non. Ici, les juges du fond n’évoquent pas même ce point. En définitive, le juge n’est pas tenu de relever d’office un moyen de droit non expressément invoqué par les parties, hormis les cas limitatifs où la loi lui en fait expressément l’obligation, ainsi que la Cour de cassation l’a très clairement indiqué il y a quelques années, par sa plus haute formation (C. Cass., Ass. Plén., 21 déc. 2007, n°06-11.343) ; cet arrêt de 2007, arrêt de référence en la matière, se situe dans le sillage d’une évolution marquée par le décret n°98-1231 du 28 décembre 1998 modifiant le code de l’organisation judiciaire et le nouveau code de procédure civile et un précédent arrêt rendu par l’assemblée plénière le 7 juillet 2006 (C. Cass., Ass. Plén., 7 juillet 2006 – Bull., A. plén, n° 8) qui, redéfinissant quelque peu le rôle des parties et du juge dans le procès civil, reposent sur l’idée que si le juge doit jouer un rôle actif dans le déroulement du procès, il n’a pas, hors cas particulier, à remplir tous les rôles, et qu’il revient alors aux parties, et à elles seules, d’invoquer tous les moyens susceptibles de fonder leurs prétentions.
Ainsi, concrètement, force est de constater au plan procédural que :
– par principe, le juge dispose, tout au plus, de la simple « faculté » de relever un moyen d’office et, dans l’affirmative, doit alors respecter le principe du contradictoire, en invitant les parties à présenter leurs observations (CPC, art. 16, al. 3 : « Il ne peut fonder sa décision sur les moyens de droit qu’il a relevés d’office sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations ») ;
– sous réserve de l’application de deux types d’exception, à savoir :
- celle où un texte spécifique envisage expressément l’obligation ou l’inter-diction pour le juge de relever d’office certains moyens de droit, que ces textes spécifiques soient d’ordre procédural (V. par ex., CPC, art. 120, al. 1er : « Les exceptions de nullité fondées sur l’inobservation des règles de fond relatives aux actes de procédure doivent être relevées d’office lorsqu’elles ont un caractère d’ordre public » ; CPC, art. 125, al. 1er : « Les fins de non-recevoir doivent être relevées d’office lorsqu’elles ont un caractère d’ordre public, notamment lorsqu’elles résultent de l’inobservation des délais dans lesquels doivent être exercées les voies de recours ou de l’absence d’ouverture d’une voie de recours ») ou de droit substantiel (v. par ex., l’article L.141-4 du code de la consommation, qui énonce que « le juge peut soulever d’office toutes les dispositions du présent code dans les litiges nés de son application »).
- celle – plus insidieuse – où la jurisprudence identifie l’existence d’une règle touchant véritablement à l’ordre public (Cass. civ. 2ème, 20 janv. 2000, pourvoi n°98-13.871 : à propos de l’application de la loi du 5 janvier 1985 alors que le demandeur fondait son action sur l’article 1384, alinéa 1er, du code civil) ; à ne pas confondre avec l’ordre public de simple « protection » car, de principe constant, la Cour de cassation interdit au juge du fond de relever d’office une méconnaissance de certains textes relevant d’un « ordre public de protection », que seule peut opposer la personne que ces dispositions ont pour objet de protéger (v. par ex., Cass. civ. 2ème, 4 déc. 2003, Bull., II, n° 367, p. 302, pourvoi n°02-04.162 ; Cas. civ. 1ère, 15 fév. 2000, Bull., I, n° 49, p. 34, pourvoi n°98-12.713), soit le justiciable lui-même.
Implicitement mais nécessairement, l’arrêt commenté considère-t-il que les règles relatives à la validité de clauses de non-concurrence ne touchent pas à l’ordre public et que, partant, les juges du fond avaient tout au plus la simple « faculté », non exercée au cas présent, de relever d’office le moyen tiré de l’exception de nullité de la clause de non-concurrence post-contractuelle.
En second lieu, le candidat franchisé, faute d’avoir attaqué la validité de cette clause de non-concurrence post-contractuelle, en discutait néanmoins les conditions de mise en œuvre, au motif que, selon lui, le défaut de levée de l’option prévue dans le contrat de réservation était imputable aux seules carences du franchiseur dans l’exécution de ses obligations ; autrement dit, selon le candidat franchisé, le franchiseur ne pouvait se prévaloir de cette clause de non-concurrence post-contractuelle dès lors que, par son comportement, il avait lui-même provoqué la cessation du contrat de réservation emportant application de cette clause. L’arrêt commenté concède que le franchiseur ait commis une faute mais écarte l’argumentation du candidat franchisé en ces termes : « Attendu que, même si le défaut de levée de l’option prévue dans le contrat de réservation apparaît imputable aux carences de la société (franchiseur) dans l’exécution de ses obligations (…), la société (franchisée) ne pouvait, sans méconnaître l’interdiction précitée, ouvrir en octobre 2012 son (activité) sous (une autre) enseigne (…) ; que, la violation de cette interdiction s’étant prolongée sur une période d’une année, le préjudice en résultant pour la société (franchiseur) sera réparé par l’allocation de dommages-intérêts (…) ».
La décision commentée retient donc qu’une telle clause, du moins celle dont les termes exacts étaient soumis à son appréciation, s’applique, y compris lorsque le franchiseur, par son comportement fautif, est à l’origine de la cessation du contrat.
En définitive, tout dépend de la manière dont la clause de non-concurrence est rédigée (v. sur ce point, F.-L. Simon, Théorie et Pratique du droit de la franchise, éd. Joly, 2009, spéc. §. 554).
Le contrat peut parfaitement prévoir que la clause ne sera applicable que pour telle ou telle cause d’extinction des relations contractuelles. Par exemple, il est possible de prévoir que la clause ne sera pas applicable si le contrat a été résilié aux torts exclusifs du franchiseur (V. pour un ex. de clause en ce sens, CA Paris, 21 sept. 2005, Juris-Data n°2005-293492 ; pour une clause limitant l’interdiction de concurrence au cas de résiliation aux torts du franchisé, CA Lyon, 17 févr. 2005, RG n°03/01960, inédit ; v. également, pour une décision estimant que les fautes du franchiseur libèrent le franchisé de son obligation de non-concurrence post-contractuelle, Trib. com. Paris, 9 août 1995, Juris-Data n°1995- 047408).
Le contrat peut au contraire retenir que la clause sera applicable quelle que soit l’origine de la cessation des relations contractuelles (V. pour une clause rédigée en termes généraux, CA Bordeaux, 23 mars 1989, Juris-Data n°1989-041727) : dans ce cas, le franchisé sera débiteur de l’obligation de non-concurrence en dépit du fait que la résiliation est due aux manquements contractuels du franchiseur (CA Aix-en-Provence, 24 sept. 1998, Juris-Data n°1998-046926).
A rapprocher : Sur le premier aspect de la décision commentée (C. Cass., Ass. Plén., 21 déc. 2007, n°06-11.343) ; Sur le second aspect de la décision commentée (CA Aix-en-Provence, 24 sept. 1998, Juris-Data n°1998-046926)