Cass. com., 24 novembre 2015, pourvoi n°14-14.924
En droit international privé, l’applicabilité au fond du litige de dispositions impératives constitutives de lois de police issues d’un droit national ne doit pas entrer en compte pour déterminer la juridiction compétente.
Ce qu’il faut retenir : En droit international privé, l’applicabilité au fond du litige de dispositions impératives constitutives de lois de police issues d’un droit national ne doit pas entrer en compte pour déterminer la juridiction compétente.
Pour approfondir : Une société allemande, après avoir confié pendant vingt ans à une société française la distribution de ses produits sur le territoire français, lui a notifié la rupture de leur relation commerciale avec un préavis de huit mois.
Cette dernière, s’estimant victime d’une rupture brutale de relations commerciales établies, l’a alors assignée devant le tribunal de commerce de Pontoise sur le fondement de l’article L.442-6, I, 5° du Code de commerce français.
La société allemande arguait de l’incompétence des juridictions françaises au profit des juridictions allemandes en faisant valoir que la mention « Gerichtstand München » (tribunal compétent Munich) figurait sur l’ensemble des factures et des correspondances adressées par elle au distributeur français, celui-ci ayant tacitement accepté la clause attributive de juridiction en ne s’y opposant pas.
Pour rejeter l’exception d’incompétence et donner compétence aux juridictions françaises, la Cour d’appel de Versailles retenait que la mention d’attribution de juridiction alléguée ne constituait pas une convention attributive de juridiction, au sens de l’article 23 du Règlement (CE) n°44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 (« Bruxelles I ») au motif :
- qu’elle n’avait pas fait l’objet d’une acceptation tacite par le distributeur et,
- qu’elle ne donnait aucune définition du rapport de droit déterminé pouvant donner lieu à la prorogation de compétence prévue par l’article 23 du Règlement de Bruxelles I.
Pour rejeter l’exception d’incompétence, la Cour d’appel retenait encore que, s’agissant d’une demande fondée sur la rupture brutale d’une relation commerciale établie entre un fournisseur et un distributeur qui n’ont pas conclu de contrat écrit ni de clause attributive de compétence valable, l’article L.442-6 I 5° du Code de commerce est reconnu comme loi de police au sens de l’article 3 du Code civil, qui s’impose en tant que règle obligatoire pour le juge français. Insatisfaite, la société allemande a formé un pourvoi devant la Cour de cassation.
Dans un arrêt ayant eu les honneurs de la publication au Bulletin comme étant particulièrement motivé, la Cour de cassation a confirmé l’arrêt d’appel en ce que l’appelante échouait à démontrer l’existence d’une convention attributive de juridiction, au sens de l’article 23 du Règlement Bruxelles I. Cependant, érigeant l’article 3 du Code civil en attendu de principe – « Attendu qu’une personne domiciliée sur le territoire d’un Etat membre ne peut être attraite devant les tribunaux d’un autre Etat membre qu’en vertu des compétences spéciales énoncées par le règlement susvisé » – elle casse l’arrêt d’appel en ce qu’il a justifié le rejet de l’exception d’incompétence par l’application d’une loi de police fondant la demande et s’imposant en tant que règle obligatoire pour le juge français. En effet, selon la Cour, seules les règles de conflit de juridictions doivent être mises en œuvre pour déterminer la juridiction compétente, des dispositions impératives constitutives de lois de police, seraient-elles applicables au fond du litige, ne sont pas des règles de conflit de juridiction ; elles ne sauraient être retenues pour déterminer la compétence d’une juridiction. On relèvera ici, au surplus, que l’article L.442-6 du C. com. donne compétence à une liste limitative de juridictions pour connaître de son application, parmi lesquelles ne figure pas le tribunal de commerce de Pontoise.
En conclusion et pour rappel, les juridictions amenées à se prononcer sur leur compétence en vertu du règlement Bruxelles I doivent, pour y parvenir, déterminer :
- si le rapport entre les parties est contractuel ou délictuel ;
- dans le cas où il s’agit d’un rapport délictuel, si les parties ont conclu une convention/clause attributive de juridiction valable ;
- à défaut de convention/clause attributive de juridiction valable, faire application des règles spéciales des articles 5 et suivants du Règlement Bruxelles I (ex. en matière contractuelle, compétence du tribunal du lieu où l’obligation qui sert de base à la demande a été ou doit être exécutée).
A rapprocher : Cass. com., 6 octobre 2015, pourvoi n°13-18.704