Cass. com., 5 juillet 2016, pourvoi n°15-17.004
La relation commerciale prise en compte pourrait remonter à la date à laquelle un point de vente a commencé à distribuer des produits sous marque, peu important que la société distributeur et la société fournisseur ne soient plus les mêmes dans le cadre de la rupture.
Ce qu’il faut retenir : La relation commerciale prise en compte pourrait remonter à la date à laquelle un point de vente a commencé à distribuer des produits sous marque, peu important que la société distributeur et la société fournisseur ne soient plus les mêmes dans le cadre de la rupture.
Pour approfondir : La société T a conclu avec la société BMW un contrat de concession automobile le 1er octobre 2003 pour une durée de 5 ans ; le contrat prévoyait que chaque partie devait notifier à l’autre son intention de ne pas renouveler le contrat moyennant un préavis d’un an. Autrement dit, pour mettre un terme à leur relation contractuelle au 1er octobre 2008, le contrat imposait une « dénonciation » au plus tard au 1er avril 2008.
En l’espèce, la société BMW a dénoncé le contrat le 31 mai 2007, donc moyennant un préavis beaucoup plus important que celui convenu contractuellement entre les parties (16 mois au lieu de 6 mois). Pourtant, elle fut assignée par la société T pour rupture brutale des relations commerciales établies (article L442-6 I 5° du Code de commerce).
Après un parcours procédural assez long, la Cour de cassation donne raison au concessionnaire et cette décision apporte plusieurs enseignements – parfois contestables – et confirmations dans le cadre de ce contentieux répandu de la rupture brutale des relations commerciales.
La possibilité d’invoquer une rupture brutale dans le cadre d’un CDD prévoyant un préavis qui a été respecté : cela pourrait paraître illogique de considérer qu’il faut informer son cocontractant de l’arrêt de la relation dans le cadre d’un contrat à durée déterminée dès lors que chaque partie a accepté qu’il se termine à une date précise.
Cela pourrait paraître encore plus illogique de considérer que le préavis donné n’est pas suffisant alors qu’il respectait le délai prévu au contrat (et encore plus quand la partie qui informe l’autre du non-renouvellement du contrat le fait moyennant un préavis de 16 mois alors que le contrat ne prévoyait que 6 mois). Pourtant, la Cour confirme (car on le savait déjà) cette possibilité d’agir sur le fondement de la rupture brutale même en présence d’un CDD et d’une clause de préavis respectée.
La société BMW invoquait à cet égard le fait que la disposition nationale (l’article L442-6 I 5 du Code de commerce) serait incompatible avec les dispositions communautaires. L’une des dispositions communautaires visées par BMW prévoit en effet que « L’exemption s’applique à condition que l’accord vertical conclu par le fournisseur de véhicules automobiles neufs avec un distributeur ou un réparateur agréé prévoie que l’accord est conclu pour une durée d’au moins cinq ans ; dans ce cas, chaque partie doit s’engager à notifier à l’autre partie au moins six mois à l’avance son intention de ne pas renouveler l’accord » (article 3.5.a du Règlement n°1400/2002 du 31 juillet 2002). Sur ce point, la Cour rappelle qu’un règlement d’exemption n’établit pas de prescriptions contraignantes affectant la validité d’une clause contractuelle mais « se limite à établir des conditions qui, si elles sont remplies, font échapper certaines clauses contractuelles à l’interdiction et donc à la nullité » ; les Etats peuvent adopter des lois plus strictes.
La durée à prendre en compte n’est pas nécessairement la durée de la relation commerciale entre les deux personnes dont la relation est rompue ; la relation commerciale s’entendrait de la durée pendant laquelle un établissement a pu vendre de façon continue un produit sous marque. Dans notre affaire, le garage de la société T distribuait des voitures BMW depuis 1964 toutefois, la société T s’est substituée à d’autres sociétés pour l’exploitation de ce garage et – surtout – le garage n’était pas fourni depuis 1964 par la société BMW mais par de précédents importateurs. D’ailleurs, la société BMW n’avait été créée qu’en 1972 et n’avait fait entrer la société T dans son réseau qu’en 1977.
Logiquement, dans son pourvoi, la société BMW reprochait à la Cour d’appel d’avoir fixé un point de départ à la relation commerciale en 1964 alors qu’elle avait constaté que la société BMW n’avait été créée qu’en 1972.
Pourtant, la Cour de cassation confirme l’arrêt d’appel en indiquant que la société BMW ne s’était bornée qu’à invoquer la date de l’agrément en 2001 sans contester l’existence de relation commerciale antérieure. La Cour de cassation semble ainsi dire que, si la société BMW avait d’elle-même (à titre subsidiaire par exemple), opposé un point de départ à 1972 ou 1977, elle aurait peut-être eu gain de cause… Mais à la lecture de l’arrêt d’appel, pourtant, il apparaît clairement que les juges du fond ont connu cet argument de la société BMW mais l’ont rejeté : « attendu que la société T établit […] l’existence d’une relation fort ancienne entre elle-même ou les personnes à qui elle s’est substituée et les importateurs successifs des véhicules BMW ; qu’il importe peu à cet égard que la société BMW n’ait été constituée qu’en 1972 dès lors qu’il est démontré que bien avant cette date, le garage T passait des commandes pour le compte de ses clients […] qu’il établit que, dès 1964, les Etablissements T faisaient partie du réseau pour la France des véhicules BMW ». Ces deux décisions, d’appel et de la Cour de cassation, sont vraiment très contestables. On comprend mal comment il peut y avoir une relation continue entre deux personnes depuis une date où les deux personnes n’existaient pas.
La relation commerciale est générale et ne distingue pas selon qu’une activité a démarré plus tard qu’une autre. Le concédant demandait à la Cour d’appel de se prononcer sur le délai de préavis qui aurait été suffisant en distinguant la vente de voitures de marque « BMW » de la vente de voitures de marque « Mini » car la société T ne distribuait des voitures « Mini » que depuis 2001. Le pourvoi reprochait à la Cour d’appel de n’avoir pas répondu à cet argument. Sur ce point, la Cour de cassation est relativement expéditive puisqu’elle se contente de dire que la Cour d’appel « n’était pas tenue de distinguer les différentes activités développées dans le cadre de cette relation commerciale pour définir la durée du préavis nécessaire avant rupture, et par suite, n’était pas tenue de répondre à l’argumentation inopérante invoquée ». Cette décision est contestable dès lors que :
- si pour la relation de 44 années liée à la marque BMW la Cour d’appel retient qu’un préavis suffisant aurait été de 36 mois
- alors, pour la relation liée à la marque Mini (d’une durée de 7 ans), le préavis de 16 mois aurait été largement suffisant, ce qui devrait donc exclure du calcul de l’indemnisation toute activité liée à la marque « Mini ».
Le préjudice réparable est celui causé par la brutalité de la rupture non par la rupture elle-même. Par conséquent, la Cour ne peut indemniser un préjudice qui résulterait du fait que, ne pouvant plus distribuer les véhicules BMW, le concessionnaire perdrait la marge brute réalisée sur le service après-vente de ces véhicules. La solution est classique.
En résumé, cet arrêt est très dangereux, ce d’autant qu’il s’inscrit dans le cadre d’un contentieux dont les tenants et aboutissants sont déjà bien assez flous.
A rapprocher : article L.442-6, I, 5 du Code de commerce