CA Paris, 14 septembre 2016, RG n°14/00827
Le fait pour l’une des parties de notifier à son partenaire la résiliation des contrats qui les lient tout en lui indiquant que, du fait de la réorganisation de son réseau, elle la recontactera afin d’échanger sur la possibilité de poursuivre leur relation, entretient ainsi le partenaire dans l’idée de la poursuite de leur relation et ne vaut pas notification de la rupture.
Ce qu’il faut retenir : Le fait pour l’une des parties de notifier à son partenaire la résiliation des contrats qui les lient tout en lui indiquant que, du fait de la réorganisation de son réseau, elle la recontactera afin d’échanger sur la possibilité de poursuivre leur relation, entretient ainsi le partenaire dans l’idée de la poursuite de leur relation et ne vaut pas notification de la rupture.
Pour approfondir : La société G. distribue les produits de la société C. depuis près de vingt-neuf ans. Les deux derniers contrats qui les lient ont été conclus en 2006 et prévoient leur tacite reconduction par période successive d’un an. Le 19 juin 2009, la société C. informe son partenaire d’une réorganisation de son réseau et de la résiliation des deux contrats de distribution agréée au 31 décembre 2019, conformément aux termes des contrats, lesquels prévoient la possibilité pour l’une ou l’autre des parties de résilier le contrat en respectant un préavis d’une durée de 6 mois. Dans son courrier, la société C. annonce également à la société G. la mise en place d’un nouveau réseau de distributeurs agréés et, à ce titre, lui indique qu’un nouveau partenariat pourrait être mis en place entre elles pour les années à venir, lui précisant qu’elle prendra attache avec elle afin d’échanger sur la possible poursuite de leur relation.
Le 16 novembre 2009, la société G. demande des explications à son partenaire, sans toutefois obtenir de réponse. Le 17 décembre 2009, la société G. obtient finalement la confirmation qu’aucun nouveau contrat ne lui sera proposé par la société B.
C’est dans ce contexte que la société G. assigne finalement son partenaire sur le fondement de l’article L.442-6, I, 5° du Code de commerce pour rupture brutale de relation commerciale établie.
En première instance, le Tribunal de commerce de Nancy considère que les courriers du 19 juin 2009 adressés par la société C. n’indiquent pas de manière équivoque à la société G. la fin de leur relation et laissent au contraire envisager la poursuite de celle-ci, ne faisant ainsi état d’aucun préavis écrit. Selon le Tribunal, les relations entre les parties ont donc cessé de manière brutale, ce alors que la société G. aurait dû bénéficier d’un préavis de 18 mois.
La société C. interjette appel, considérant qu’elle n’a commis aucune faute et que la rupture des relations est exempte de toute brutalité. Devant la Cour d’appel, la société C. soutient que les courriers du 19 juin sont dénués de toute ambigüité et manifestent clairement sa volonté de ne plus poursuivre la relation ; la cessation de la relation ne serait donc pas brutale puisque son partenaire a bénéficié d’un préavis raisonnable (la société B. ayant été avertie par oral dès mai 2008 de la fin de leur relation, laquelle a été confirmée par écrit en juin 2009). La société C. souligne par ailleurs qu’il n’a fallu que 4 mois à la société G. pour réorganiser son activité, que cette dernière ne réalisait qu’une partie limitée de son chiffre d’affaires avec la société C. (12%) et que, au surplus, elle a proposé à son partenaire de l’accompagner pour organiser la suite, après la fin de leur relation. En revanche, selon la société G., le fait pour son partenaire de lui avoir indiqué, dans ses courriers de juin 2009, qu’un nouveau partenariat allait lui être proposé, témoigne de sa volonté de poursuivre leur relation et considère de ce fait qu’elle n’a bénéficié d’aucun préavis, alors que, eu égard à la durée de leur relation, elle aurait dû bénéficier d’un préavis d’une durée de 27 mois.
Les juges du fond relèvent que les courriers du 19 juin 2009 ont entretenu la société G. dans l’idée de la poursuite de leur relation, ce d’autant que la société C. avait indiqué qu’elle prendrait attache avec son partenaire pour lui présenter le nouveau réseau.
Ainsi, le fait de résilier les contrats de 2006 ne signifiait pas mettre fin à la relation entre les parties ; la société G. n’a donc pas bénéficié d’un préavis formel. Par ailleurs, l’offre d’accompagnement formulée par la société C. n’a été faite que postérieurement à la fin des relations entre les parties. Dans ces conditions, la rupture apparait donc brutale au sens de l’article L.442-6, I, 5° du Code de commerce, la société G. ayant été « maintenue dans l’idée de la poursuite de la relation commerciale, dont la rupture n’a pas été précédée d’un préavis régulier » et, au vu du contexte, un préavis d’une durée de 10 mois aurait dû s’appliquer. La société G. doit ainsi être indemnisée du préjudice subi au regard de la marge bénéficiaire brute qu’elle pouvait escompter réaliser si les relations commerciales n’avaient pas cessé.
A rapprocher : art. L.442-6 du Code de commerce