Aménagement des modalités d’exécution du préavis de rupture d’une relation commerciale établie

GUILLÉ Jérôme

Avocat

Cass. com., 11 mai 2017, n°16-13.464

La levée, pendant la période de préavis et conformément à une stipulation contractuelle, de l’exclusivité à laquelle se sont réciproquement obligées les parties ne constitue pas une rupture brutale de relations commerciales établies.

Ce qu’il faut retenir : La levée, pendant la période de préavis et conformément à une stipulation contractuelle, de l’exclusivité à laquelle se sont réciproquement obligées les parties ne constitue pas une rupture brutale de relations commerciales établies.

 

Pour approfondir : La société A… et la société B… entretenaient une relation commerciale depuis novembre 1968 pour la distribution, dans le cadre d’un contrat de concession, des matériels de la marque M…. Le dernier contrat, conclu le 30 novembre 2005 pour une durée indéterminée, prévoyait qu’en contrepartie d’un engagement de non-concurrence et d’exclusivité de marque, la société B… disposerait de l’exclusivité de la distribution des produits sur un territoire donné. Par lettre du 28 janvier 2010, la société A… a notifié à la société B… sa décision de mettre fin à leur relation commerciale au 31 janvier 2012 (soit un préavis de 24 mois) et de lever l’exclusivité territoriale au 1er août 2010.

La société B… a assigné la société A… en paiement de dommages-intérêts, sur le fondement de la rupture brutale de relations commerciales établies (article L.442-6, I, 5° du Code de commerce).

Par l’arrêt commenté (Cass. com., 11 mai 2017, n°16-13.464), la chambre commerciale de la Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé par le concessionnaire à l’encontre de l’arrêt d’appel rendu par la Cour d’appel de Paris le 13 janvier 2016.

Deux aspects de l’arrêt de la Cour de cassation seront soulignés ici :

  • l’appréciation de la durée du préavis suffisant pour une relation commerciale de près de 40 ans,
  • l’appréciation de la levée de l’exclusivité pendant la période de préavis.

Sur le premier point (l’appréciation de la durée du préavis), la Haute juridiction a estimé que la Cour d’appel avait souverainement apprécié que le délai de préavis de 24 mois dont avait bénéficié la société B… était suffisant.

La Cour retient notamment (après avoir fait référence aux conditions de la levée de l’exclusivité, que nous évoquons ci-après) que le bénéfice des investissements immobiliers réalisés par la société B…, peu de temps avant la rupture, n’était pas perdu pour ses autres activités et ses éventuelles activités futures.

Sur l’appréciation de la levée de l’exclusivité pendant la période de préavis, la Cour de cassation approuve une nouvelle fois la décision de la Cour d’appel, laquelle a retenu les circonstances suivantes :

  • la société A… avait exprimé, lors de la notification de la rupture, sa volonté de faire application de l’article 10, alinéa 2, du contrat, afin de permettre aux parties de réorganiser leurs affaires avant la rupture,
  • ledit article 10, alinéa 2, du contrat permet, d’un côté, au concédant de vendre ses produits par l’intermédiaire d’autres revendeurs et, de l’autre, au concessionnaire, de rompre le plus tôt possible l’interdiction de vendre d’autres marques et de se limiter à un territoire donné, afin de faciliter sa reconversion commerciale,
  • cette clause, qui prévoit un abandon réciproque et concomitant, par les parties, de leurs obligations d’exclusivité territoriale et d’approvisionnement exclusif et constitue l’aménagement contractuel de l’exécution du préavis, n’a pas pour effet de déroger aux dispositions impératives de l’article L.442-6, I, 5° du Code de commerce,
  • cet aménagement du préavis a permis de tenir compte de l’état de dépendance économique de la société B…

Le raisonnement de la Cour d’appel sur ce point mérite d’être salué pour son pragmatisme économique.

En effet, la Cour d’appel considère – à juste titre à notre sens – que la fin anticipée de l’exclusivité doit s’analyser en une opportunité offerte aux parties d’organiser efficacement leur reconversion et de mettre fin progressivement à la situation de dépendance économique qui a pu s’installer entre elles, non en une rupture partielle de la relation.

Par cet arrêt, la Cour de cassation et la Cour d’appel rappellent l’objectif du préavis de l’article L.442-6, I, 5° du Code de commerce : la reconversion effective du partenaire rompu.

 

A rapprocher : Cass. com., 6 novembre 2012, n°11-24.570

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