Rupture brutale des relations commerciales établies, faute et office du juge

Cass. com., 5 avr. 2018, n°16-19.923

En cas de rupture brutale des relations commerciales établies, l’appréciation de la faute de nature à dispenser le préavis prévu à l’article L. 442-6, I, 5° du code de commerce relève de l’office du juge et de lui seul ; cette appréciation ne peut utilement être déterminée par le contrat rompu.

Ce qu’il faut retenir : En cas de rupture brutale des relations commerciales établies, l’appréciation de la faute de nature à dispenser le préavis prévu à l’article L. 442-6, I, 5° du code de commerce relève de l’office du juge et de lui seul ; cette appréciation ne peut utilement être déterminée par le contrat rompu.

Pour approfondir : En l’espèce, selon l’arrêt attaqué, la société A (dont le gérant est M. X.) a conclu, le 1er octobre 2001, avec la société S un contrat de distribution assorti d’une clause d’exclusivité, prévoyant la réalisation d’un chiffre d’affaires annuel minimum dans le territoire concédé. Le 1er octobre 2010, la société S a mis un terme à cette relation commerciale, sans préavis, en invoquant la non-réalisation de cette clause d’objectif. C’est ainsi que se prévalant d’une relation commerciale établie depuis 1990, la société A et M. X… l’ont assignée en paiement de dommages-intérêts sur le fondement de l’article L. 442-6, I, 5° du code de commerce.

Pour rejeter la demande, l’arrêt critiqué relève qu’aux termes de l’article 8 du contrat, le distributeur s’engage à réaliser un certain montant de chiffre d’affaires et que, selon l’article 12, l’exécution du contrat peut être immédiatement suspendue en cas d’infraction grave et flagrante d’une clause contractuelle. Il retient par ailleurs que, selon les termes du contrat, le défaut de respect de l’article 8 peut être constitutif d’une faute grave, justifiant la résiliation immédiate sans préavis. Ayant constaté que le chiffre d’affaires réalisé par la société A en 2008, 2009 et 2010 était nettement en deçà des termes contractuels, il en déduit que la société S pouvait invoquer la faute grave de la société A pour rompre le contrat sans préavis.

L’arrêt critiqué est cassé en ces termes :

« Qu’en se déterminant ainsi, sans préciser en quoi la non-réalisation, par la société A, de l’objectif de chiffre d’affaires prévu au contrat, était de nature à caractériser un manquement suffisamment grave de cette dernière à ses obligations, justifiant la rupture sans préavis de leur relation commerciale, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision ».

Cet attendu suscite plusieurs remarques.

En premier lieu, la motivation de la décision adopte la première branche du troisième moyen, qui faisait valoir que « le juge doit statuer sur les qualifications débattues devant lui, sans être lié par les qualifications retenues par les parties » ; autrement dit, au cas d’espèce, les juges du fond auraient dû déterminer si le comportement de la société A pouvait être qualifié de grave, au regard de l’article L.442-6 I-5° du Code de commerce, sans pouvoir s’estimer liés par la qualification retenue à la convention. Ce faisant, en décidant le contraire, les juges du fond ont violé l’article L.442-6 I-5° du Code de commerce.

En second lieu, il n’est pas inutile de revenir sur le texte lui-même de l’article L.442-6 I-5° du Code de commerce, selon lequel « es dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d’inexécution par l’autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure ». Les dispositions de ce texte étant d’ordre public, il est aisé de comprendre que la gravité de la faute justifiant la possibilité de résilier sans préavis doit relever de l’office du juge. Cette solution est classique (v. par exemple sur la notion de faute, CA Aix-en-Provence, 20 févr. 2014, RG n°12/02485).

A rapprocher : CA Aix-en-Provence, 20 févr. 2014, RG n°12/02485, et notre commentaire sous LDR mars-avril 2014

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