TC Paris, 13 juin 2018, RG n°J2018000299
Le Tribunal de commerce de Paris a appliqué trois clauses pénales différentes en considérant qu’elles n’étaient pas excessives…
Ce qu’il faut retenir : Le Tribunal de commerce de Paris a appliqué trois clauses pénales différentes en considérant qu’elles n’étaient pas excessives : 10.000 € par manquement à une obligation contractuelle pendant le contrat, 75.000 € en cas de violation de la clause de non-concurrence post-contractuelle et 68.182,28€ en cas de résiliation du contrat aux torts du distributeur (équivalent aux redevances qui auraient été dues jusqu’au terme du contrat et à la perte de marge brute sur les achats qui auraient dû être effectués auprès de la tête de réseau jusqu’au terme du contrat).
Pour approfondir : Ce jugement a été rendu dans le cadre d’un contrat appelé « contrat de partenariat », contrat qui mêlait notamment concession d’usage de marques et signes distinctifs au profit du partenaire et approvisionnement encadré (en termes de références de produits et de volume minimum d’achats) du partenaire auprès de la société tête de réseau. La solution est toutefois transposable – à notre sens – à tous les contrats dits de distribution de produits et/ou de services (franchise, affiliation, etc.). C’est en cela notamment qu’il s’agit d’une décision des plus intéressantes.
Les faits sont les suivants. Après avoir adressé en vain à son partenaire deux mises en demeure (listant 11 manquements contractuels), la société tête de réseau a résilié le contrat qui les liait en application de la clause résolutoire prévue audit contrat. Dans le courrier de résiliation, la société tête de réseau faisait application de 2 clauses pénales différentes et en sollicitait donc le paiement :
1. la clause pénale prévoyant le paiement par le partenaire de la somme de 10.000€ par manquement contractuel (ce qui aboutissait à un montant total de 110.000€ eu égard aux 11 manquements contractuels reprochés) ;
2. la clause pénale prévoyant le paiement d’une somme équivalent, d’une part, aux redevances qui auraient été dues par le partenaire si le contrat s’était poursuivi jusqu’au terme prévu et, d’autre part, la perte de marge brute sur les achats qui auraient dû être effectués par le partenaire auprès de la société tête de réseau si le contrat s’était poursuivi jusqu’au terme prévu.
Bien entendu, le partenaire contestait cette résiliation à ses torts ainsi que les conséquences de celle-ci. Les parties se sont donc opposées devant le Tribunal de commerce de Paris. Pendant cette procédure, la société tête de réseau a sollicité l’application d’une 3e clause pénale : celle prévoyant le paiement de la somme de 75.000€ par le partenaire si celui-ci continuait d’exercer une activité concurrente pendant l’année qui suivait la résiliation du contrat.
Dans ses écritures, le partenaire invitait le juge à se prononcer sur le caractère excessif ou non de ces 3 clauses pénales. Pourtant, le Tribunal – qui a expressément répondu à cette demande pour chacune des clauses pénales – a considéré qu’aucune n’était excessive et a condamné le partenaire au paiement des montants qui y étaient prévus.
Sur la clause pénale de 10.000 € par manquement contractuel :
Le Tribunal a rejeté la demande de diminution de la clause pénale en considérant que :
- « il résulte de la nature même de certains manquements qu’ils ont fait subir un préjudice direct à [la société tête de réseau] » ;
- « la clause pénale a en outre un caractère comminatoire » ;
- « malgré 2 mises en demeure successives, [le partenaire] s’est refusé à respecter ses engagements contractuels » ;
- la société tête de réseau « avait la possibilité de doubler le montant de la pénalité en cas de réitération du manquement » (donc de monter le montant par manquement à 20.000€), ainsi que cela était expressément prévu dans la clause pénale, mais elle ne l’a pas fait en réduisant ainsi d’elle-même par moitié le montant de la clause pénale « par rapport à ce qu’elle était en droit de réclamer ».
C’est donc en grande partie au regard de l’attitude des parties que le juge a estimé que la clause pénale de 10.000€ par manquement n’était pas excessive. Le jugement condamne donc le partenaire à la somme globale de 90.000€ (car 2 des 11 manquements reprochés au partenaire n’ont pas été reconnus par le Tribunal).
Sur la clause pénale applicable en cas de résiliation pour faute du distributeur :
Encore une fois, le Tribunal s’est attaché « aux circonstances du litige » pour juger que, solliciter l’intégralité des redevances qui auraient été dues et la perte de marge brute jusqu’au terme, n’est pas manifestement excessif.
Sur la clause pénale prévue en cas de violation de la clause de non-concurrence post-contractuelle :
Après avoir constaté la violation de cette clause de non-concurrence post-contractuelle, le Tribunal a pris le soin de motiver particulièrement son appréciation du caractère non-excessif de la clause pénale liée.
Le juge a ainsi tenu a rappelé que :
- préalablement à la résiliation du contrat, la société tête de réseau avait pris le soin de rappeler au partenaire que cette obligation de non-concurrence post-contractuelle devrait être respectée en cas de résiliation du contrat ;
- postérieurement à la résiliation du contrat, la société tête de réseau avait fait dresser un constat d’huissier constatant la violation de la clause de non-concurrence ;
- elle avait également préféré laisser une chance au partenaire avant de faire application de la clause pénale ; une mise en demeure avait été adressée au partenaire qui n’y a pourtant pas déféré ;
- le partenaire avait violé son obligation de non-concurrence pendant toute sa durée d’application ;
- le fait d’apposer sur sa devanture et sur internet en gros caractères la mention « rien ne change sauf le nom » établit l’intention du partenaire de violer son obligation et ce malgré les mises en demeure qu’il a reçues ;
- il résulte nécessairement de la violation de l’engagement de non-concurrence post-contractuel, un préjudice tant commercial que d’image pour la société tête de réseau, pour son réseau et surtout pour le nouveau partenaire installé depuis à proximité ;
- le partenaire a fait preuve d’une grande mauvaise foi tout au long de son litige.
Il est particulièrement intéressant de constater que le fait qu’il y ait plusieurs clauses pénales applicables, et prévues dans le même contrat, n’a pas pour effet de les rendre excessives. Autrement dit, dès lors que les clauses pénales n’ont pas pour effet de sanctionner le même manquement, le caractère excessif des clauses pénales s’apprécie individuellement, indépendamment de l’existence d’autres clauses pénales.
A rapprocher : nouvel article 1231-5 du code civil