CA Amiens, 10 juillet 2018, n°16/05577
L’obligation d’exiger un cautionnement proportionné aux biens et revenus de la caution impose au créancier professionnel de s’informer sur la situation patrimoniale de la caution. Pour autant, il incombe à la caution d’établir la réalité de la disproportion manifeste qu’elle allègue entre le montant de son engagement et sa situation financière.
Ce qu’il faut retenir : L’obligation d’exiger un cautionnement proportionné aux biens et revenus de la caution impose au créancier professionnel de s’informer sur la situation patrimoniale de la caution. Pour autant, il incombe à la caution d’établir la réalité de la disproportion manifeste qu’elle allègue entre le montant de son engagement et sa situation financière.
Lorsqu’à l’occasion de la souscription de l’engagement, le créancier a questionné la caution sur sa situation pécuniaire et patrimoniale, il incombe à la caution d’établir que les éléments fournis caractérisaient cette disproportion manifeste ou que la banque avait connaissance d’autres éléments de fait de nature à établir cette disproportion manifeste.
Pour approfondir :
1. Par un acte signé le 26 août 2013, après y avoir apposé une mention manuscrite conforme aux dispositions légales applicables (Cf. les articles L.331-1 et L.331-2 du Code de la Consommation), Monsieur V. s’est porté caution solidaire dans la limite de 16.200 euros d’un prêt professionnel de 45.000 euros consenti par une Banque à la société S.A.A. dont il était gérant et remboursable en 60 mensualités de 805,20 euros au taux d’intérêt de 4,24 % l’an.
La société S.A.A. a fait l’objet d’une liquidation judiciaire le 23 avril 2015 et la Banque a déclaré une créance d’un montant de 33 003,76 euros.
2. Statuant sur l’action engagée par la Banque à l’encontre de Monsieur V. sur le fondement de cet engagement de caution, le Tribunal de commerce d’Amiens a, par un jugement rendu le 11 octobre 2016, condamné Monsieur V. à payer à la Banque la somme de 16.200 euros, outre les intérêts, au titre du cautionnement et celle de 2.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.
3. Monsieur V. a interjeté appel de cette décision. Il demandait, en substance, à la Cour d’appel d’Amiens de réformer le jugement en toutes ses dispositions, d’annuler l’engagement de caution, de juger que la Banque ne peut s’en prévaloir du fait de son caractère disproportionné, de condamner la Banque à lui payer la somme de 12 960 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement à son obligation de mise en garde et celle de 50 575 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement à une obligation d’information sur la garantie OSEO.
4. Par arrêt du 10 juillet 2018, la Cour d’appel d’Amiens a débouté Monsieur V. de l’intégralité de ses demandes et a confirmé le jugement en toutes ses dispositions. Par cet arrêt, la Cour rappelle notamment les principes suivants.
- Sur la validité de l’engagement de caution
5. Au visa de l’article 2288 du code civil, Monsieur V. a invoqué la nullité de l’engagement de caution au motif qu’il n’a pas été accepté expressément par le créancier.
La Cour rappelle cependant que, s’agissant d’un acte unilatéral, la validité de l’engagement de caution n’est pas subordonnée à l’acceptation du créancier.
- Sur le caractère manifestement disproportionné du cautionnement
6. La Cour rappelle qu’« aux termes de l’article L.332-1 (anciennement L.341-4) du code de la consommation, un créancier professionnel ne peut se prévaloir d’un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l’engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation. L’obligation d’exiger un cautionnement proportionné impose au créancier professionnel de s’informer sur la situation patrimoniale de la caution. Pour autant, il incombe à la caution d’établir la réalité de la disproportion manifeste qu’elle allègue entre le montant de son engagement et sa situation financière.
Lorsqu’à l’occasion de la souscription de l’engagement, le créancier a questionné la caution sur sa situation pécuniaire et patrimoniale, il incombe à la caution d’établir que les éléments fournis caractérisaient cette disproportion manifeste ou que la banque avait connaissance d’autres éléments de fait de nature à établir cette disproportion manifeste ».
7. Sur ce point, la jurisprudence a également jugé qu’« en présence de fiches de renseignements fournies par la caution, l’engagement de caution conclu par une personne physique au profit d’un créancier professionnel ne doit pas être manifestement disproportionné aux biens et revenus déclarés par la caution, dont le créancier, en l’absence d’anomalies apparentes, n’a pas à vérifier l’exactitude » (CA Bordeaux, 2 mai 2017, n° 14/07353 ; Cass. com., 14 déc. 2010, n° 09-69807).
8. En l’espèce, la Cour relève qu’à la demande de la Banque, Monsieur V. a renseigné une fiche dans laquelle il a mentionné qu’il était divorcé, sans emploi, qu’il disposait d’un revenu annuel de 16.230 euros et qu’il était propriétaire en indivision d’un immeuble acquis en 2006, d’une valeur nette de 88.885 euros compte tenu d’un emprunt immobilier et d’un PEA de 28.000 euros.
Il n’a pas mentionné de charges particulières et a précisé qu’il n’avait pas d’enfant. Par ailleurs, le prêt garanti s’inscrivait dans le cadre de la création par Monsieur V., seul associé, d’une entreprise pour un budget global de 65.000 euros pour laquelle l’intéressé a apporté en compte courant une somme de 20.000 euros, en sus de la libération d’un capital de 7.500 euros, et Monsieur V. a été en capacité de financer une formation d’un coût de 7.000 euros.
Enfin, Monsieur V. ne démontre pas que le créancier avait connaissance d’autres faits susceptibles d’influer sur sa situation pécuniaire.
La Cour considère que, dans ces circonstances, la caution est mal fondée à se prévaloir des conséquences patrimoniales éventuelles de son divorce et qu’« au regard de la valeur du bien immobilier indivis, du capital social de la société S.A.A. détenu par Monsieur V., de son patrimoine mobilier, un engagement de caution pour un montant de 16.200 euros n’était pas manifestement disproportionné nonobstant l’absence de revenus professionnels de Monsieur V. au moment de son engagement, les revenus attendus de la société créée devant s’ajouter à l’allocation d’aide à la création d’entreprise versée à l’intéressé ».
- Sur le devoir de mise en garde du banquier
9. Monsieur V. reproche à la Banque de ne pas l’avoir mis en garde sur la portée de son engagement, alors qu’il était profane en matière de gestion d’entreprise.
10. La Cour rappelle que « le banquier dispensateur professionnel de crédit a le devoir de mettre en garde la caution non avertie sur les risques de son engagement au regard des capacités financières du débiteur principal à honorer la dette garantie. La qualité de caution avertie ne saurait résulter du seul statut de dirigeant de société. Elle doit s’apprécier in concreto au regard de son expérience, de sa formation et de sa compétence en matière financière. La charge de la preuve du caractère averti de la caution pèse sur le banquier, débiteur de l’obligation de mise en garde ».
En l’espèce, la Cour considère que la Banque ne produit aucun élément permettant de caractériser une certaine compétence de Monsieur V. dans la gestion ou dans le financement d’une entreprise et que celui-ci doit donc être considéré comme une caution non avertie. La Cour rappelle cependant qu’il appartient alors à Monsieur V. de rapporter la preuve d’une faute commise par la banque dans son obligation de mise en garde.
Or, la Cour considère qu’ « il ressort du dossier que l’opération garantie concernait la création d’une entreprise d’aide à domicile dans la perspective de la signature d’un contrat de franchise avec la société C. ; dans ce cadre, Monsieur V. a reçu une formation aux métiers de l’aide à domicile et un accompagnement par le franchiseur ; son dossier de création d’entreprise a été présenté à Pôle emploi et validé afin de lui permettre d’obtenir une aide financière ; aucun élément de fait ne permet de retenir que le projet d’entreprise de Monsieur V. présentait un risque particulier que la Banque aurait pu connaître et la caution ignorer. Au contraire, l’offre de prêt adressée à Monsieur V. en sa qualité de gérant de la société emprunteuse est précisément circonstanciée et l’engagement de la caution strictement limité à 30 % du prêt consenti ».
La Cour considère, par conséquent, que la faute imputée à la banque n’est pas établie et confirme le jugement en ce qu’il a rejeté la demande indemnitaire de Monsieur V.
A rapprocher : CA Bordeaux, 2 mai 2017, n° 14/07353 ; Cass. com., 14 déc. 2010, n° 09-69807