CA Paris, 5 décembre 2018, n°18/23540
La partie qui notifie à son cocontractant sa volonté de cesser les relations commerciales du fait du recours, par ce dernier, à une entreprise concurrente est le seul auteur de la rupture en l’absence d’obligation d’exclusivité entre les parties.
Une société spécialisée dans la vente au détail de véhicules d’occasion confie depuis 1996 les contrôles techniques des véhicules qu’elle vend à 3 sociétés gérées par une même personne. Le 8 novembre 2011, elle a envoyé au gérant des 3 sociétés un projet de convention afin de formaliser leurs relations commerciales et prévoyant le recours possible à une autre société de contrôle technique. Le 29 décembre 2011, le gérant des sociétés de contrôle technique a adressé un courriel à la société de vente de véhicules rédigé comme suit :
« j’ai appris malgré notre conversation que vous avez fait appel au centre de M. D. pour effectuer vos contrôles à partir de lundi 2 janvier 2012. Comme je vous l’avais précisé sur le contrat que vous ne m’avez toujours pas retourné signé, je ne peux pas accepter de partager les volumes avec un autre centre, car il est très facile de prendre une petite partie sans trop de charges. Par contre, pour effectuer de gros volumes dans les meilleures conditions possibles, des moyens humains très importants sont nécessaires. C’est avec regret que mon équipe va vous rapporter les véhicules en stock dans nos centres dès demain vendredi 30 décembre 2011 ».
Le 16 juillet 2013 les sociétés de contrôle technique ont assigné la société de vente de véhicules sur le fondement de la rupture brutale des relations commerciales établies devant le tribunal de commerce de Lille Métropole, lequel a renvoyé les affaires devant le tribunal de commerce de Paris.
Par jugement du 21 décembre 2015, le tribunal de commerce de Paris a notamment dit bien fondées les demandes des sociétés de contrôle technique sur le fondement de la rupture brutale des relations commerciales établies, fixé la durée du préavis dû pour la rupture de cette relation de plus de 15 ans à six mois, condamné la société de vente de véhicules à verser aux sociétés de contrôle technique
une somme supérieure à 120.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice causé par la brutalité de la rupture de la relation établie.
La société de vente de véhicules a relevé appel de ce jugement.
En effet, elle conteste être responsable d’une rupture brutale des relations commerciales établies et considère que la rupture a été initiée par les sociétés de contrôle technique et leur dirigeant, et que la cessation du courant d’affaires lui est exclusivement imputable.
En outre, elle indique qu’elle n’était liée par aucune convention d’exclusivité avec les sociétés de contrôle technique et était alors en droit de recourir au service d’une entreprise concurrente.
En définitive, la Cour d’appel de Paris infirme le jugement de première instance et retient que les sociétés de contrôle technique sont les seuls auteurs de la rupture de la relation commerciale dès lors que :
- les termes du courriel du courriel du 29 décembre 2011 sont clairs quant aux intentions des sociétés de contrôle technique de cesser les relations commerciales au 1er janvier 2012 avec la société de vente de véhicules,
- les sociétés de contrôle technique ne peuvent utilement faire état de la signature du contrat le 15 novembre 2011 signé par la société de vente de véhicules avec une société concurrente, en ce qu’aucune exclusivité ne liait les parties,
- dans le contrat du 15 novembre 2011, la société de vente de véhicules ne confiait pas de manière exclusive les prestations de contrôle technique,
- le flux d’affaires entre les parties n’a pas baissé après l’entrée en vigueur du contrat du 15 novembre 2011,
- par la restitution des véhicules en raison d’un désaccord entre les parties sur les termes de leur future collaboration, le contrôle technique n’ayant, par ailleurs, pas été effectué sur l’ensemble des véhicules restitués, les sociétés de contrôle technique sont les auteurs de la rupture des relations commerciales établies avec la société de vente de véhicules, celle-ci ne pouvant leur confier à nouveau des véhicules.
La décision de la Cour d’appel de Paris ne permet pas de déterminer si les parties étaient liées de longue date par une exclusivité « de fait ». Si cela avait été le cas, les sociétés de contrôle technique nous auraient paru bien fondées à soutenir qu’une rupture partielle de relations commerciales établies était intervenue en novembre 2011 lors de la conclusion du contrat avec la société concurrente, dès lors que cette cessation de l’exclusivité « de fait » n’avait été précédée d’aucune notification écrite ni d’aucun préavis.
A rapprocher : Cass. com., 11 mai 2017, n°16-13.464