Cass. com., 18 septembre 2019, n°17-19.653 ; Cass. com., 18 septembre 2019, n°18-10.225
Seuls les recours formés contre les décisions rendues par les juridictions spécialement désignées par l’article D.442-3 du Code de commerce sont portés devant la cour d’appel de Paris, les recours contre les décisions rendues par des juridictions non spécialement désignées, y compris dans l’hypothèse où elles ont, à tort, statué sur l’application de l’article L.442-6 du même code, relevant des cours d’appel dans le ressort desquelles ces juridictions sont situées, conformément à l’article R.311-3 du Code de l’organisation judiciaire…
Ce qu’il faut retenir :
Seuls les recours formés contre les décisions rendues par les juridictions spécialement désignées par l’article D.442-3 du Code de commerce sont portés devant la cour d’appel de Paris, les recours contre les décisions rendues par des juridictions non spécialement désignées, y compris dans l’hypothèse où elles ont, à tort, statué sur l’application de l’article L.442-6 du même code, relevant des cours d’appel dans le ressort desquelles ces juridictions sont situées, conformément à l’article R.311-3 du Code de l’organisation judiciaire ; et il appartient à ces cours d’appel de relever d’office, le cas échéant, la fin de non-recevoir tirée du défaut de pouvoir juridictionnel du premier juge pour statuer sur un litige relatif à l’application de l’article L.442-6 du Code de commerce et l’irrecevabilité des demandes formées devant ce juge en résultant (1ère esp.).
L’action fondée sur les dispositions du droit commun de la responsabilité contractuelle, précisément sur le fondement des seuls articles 1134, 1147, 1149 et 1184 du Code civil, ne saurait être valablement introduite devant la juridiction spécialement désignée en application de l’article D.442-3 du Code de commerce (2ème esp.).
Pour approfondir :
Les deux affaires commentées présentent cette particularité commune de concerner des demandes relatives à des pratiques restrictives de concurrence portées devant une juridiction non spécialisée.
Dans la première affaire commentée (Cass. com., 18 septembre 2019, n°17-19.653), une société A…, distributeur de boissons, a, le 28 juin 2008, passé commande auprès d’une société B…, avec laquelle elle entretenait des relations commerciales depuis 1991, d’un logiciel informatique spécifique ; reprochant à la société B… divers dysfonctionnements, elle l’a assignée, le 27 mai 2013, devant le tribunal de commerce de Gap, en remboursement du montant de la facture réglée et en paiement de dommages-intérêts, au titre du préjudice subi, et pour résistance abusive ; la société B… a formé une demande reconventionnelle de dommages-intérêts pour rupture brutale d’une relation commerciale établie, à laquelle le tribunal de commerce de Gap a fait droit (TC Gap, 9 janvier 2015, n°2013001591) ; la société A… a formé appel devant la cour d’appel de Grenoble du jugement ayant rejeté sa demande et l’ayant condamnée à payer des dommages-intérêts à la société B… pour rupture de la relation commerciale établie.
Pour déclarer irrecevable l’appel de la société A…, l’arrêt objet du pourvoi (CA Grenoble, 8 décembre 2016, n°15/00630) retient que le tribunal a expressément fait application de l’article L.442-6 du Code de commerce qui était invoqué par la société B… au soutien de sa demande reconventionnelle et que seule la cour d’appel de Paris est compétente pour statuer sur le recours formé contre le jugement.
Pour casser ledit arrêt de la cour d’appel de Grenoble en toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 18 septembre par la chambre commerciale de la Cour de cassation retient « que, saisie de l’appel d’un jugement rendu par le tribunal de commerce de Gap, juridiction non spécialisée située sur son ressort, il lui appartenait de déclarer l’appel recevable, de constater, le cas échéant, le défaut de pouvoir juridictionnel du tribunal pour statuer sur un litige relevant de l’article L.442-6 du Code de commerce et de statuer dans les limites de son propre pouvoir juridictionnel sur les demandes formées devant elle, la cour d’appel a violé les textes susvisés », à savoir l’article L.442-6, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n°2019-359 du 24 avril 2019, et l’article D.442-3 du Code de commerce, ensemble l’article R.311-3 du Code de l’organisation judiciaire.
Autrement dit, consacrant un développement particulièrement didactique, comme pour clarifier les règles en présence, la Cour de cassation énonce que seuls les recours formés contre les décisions rendues par les juridictions spécialement désignées par l’article D.442-3 du Code de commerce sont portés devant la cour d’appel de Paris, les recours contre les décisions rendues par des juridictions non spécialement désignées, y compris dans l’hypothèse où elles ont, à tort, statué sur l’application de l’article L.442-6 du même code, relevant des cours d’appel dans le ressort desquelles ces juridictions sont situées, conformément à l’article R.311-3 du Code de l’organisation judiciaire ; qu’il appartient à ces cours d’appel de relever d’office, le cas échéant, la fin de non-recevoir tirée du défaut de pouvoir juridictionnel du premier juge pour statuer sur un litige relatif à l’application de l’article L.442-6 du Code de commerce et l’irrecevabilité des demandes formées devant ce juge en résultant.
Dans la seconde affaire commentée (Cass. com., 18 septembre 2019, n°18-10.225), une société A…, ayant une activité de courtier en assurances, et une société B… ont conclu, le 11 mars 2011, un contrat prévoyant la livraison d’une nouvelle solution informatique de gestion des produits de santé et prévoyance, en deux lots, en juillet 2012 et décembre 2013 ; par lettre recommandée avec AR du 16 janvier 2015, la société A… a mis fin à sa relation commerciale avec la société B… en raison d’un dépassement de budget et d’un retard dans la livraison ; la société B… l’a assignée devant le tribunal de commerce de Nanterre, sur le fondement des articles 1134, 1147, 1149 et 1184 du Code civil, en paiement de dommages-intérêts au titre du préjudice subi du fait de la rupture unilatérale, brutale et infondée de la relation commerciale les liant ; la société A… a soulevé une fin de non-recevoir, tirée du défaut de pouvoir juridictionnel de ce tribunal au profit de celui de Paris, en application de l’article L.442-6, III, dans sa rédaction applicable à la cause et de l’article D.442-3 du Code de commerce (TC Nanterre, 16 juin 2016, n°2015F01049).
Pour déclarer irrecevable la demande de dommages-intérêts formée par la société B…, l’arrêt objet du pourvoi (CA Versailles, 7 novembre 2017, n°16/05118) relève que cette société prétendait, dans son assignation, avoir été victime d’une rupture unilatérale de leurs relations commerciales, opérée de mauvaise foi, sans raison légitime, de manière abusive et brutale par la société A… qui avait laissé se créer une confiance dans la poursuite d’un engagement, et en déduit que c’est à bon droit que les premiers juges ont constaté qu’ils étaient saisis d’une demande d’indemnisation fondée sur l’article L.442-6, I, 5°, du Code de commerce relevant du pouvoir juridictionnel du tribunal de commerce de Paris, juridiction spécialement désignée par l’article D.442-3 du Code de commerce pour le ressort de la cour d’appel de Versailles.
Pour casser ledit arrêt de la cour d’appel de Versailles en toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 18 septembre par la chambre commerciale de la Cour de cassation retient « qu’en statuant ainsi, alors que, dans son assignation, la société B… avait fondé sa demande de dommages-intérêts sur les seules dispositions du droit commun de la responsabilité contractuelle et qu’elle avait précisé devant le tribunal qu’elle ne fondait pas sa demande d’indemnisation sur l’article L.442-6 du Code de commerce, peu important ses allégations, inopérantes, renvoyant à la notion de rupture brutale d’une relation commerciale établie, la cour d’appel, qui a dénaturé les écritures de la société B…, a violé le principe susvisé », à savoir « l’obligation pour le juge de ne pas dénaturer l’écrit qui lui est soumis ».
La Cour de cassation considère que c’est à tort que les juges du fond ont pu déduire de la formulation des demandes de la société B… que celles-ci se fondaient (implicitement mais nécessairement) sur les dispositions de l’article L.442-6, I, 5°, du Code de commerce, dès lors que seules les dispositions du droit commun de la responsabilité contractuelle étaient invoquées et que le demandeur avait même précisé ne pas se fonder sur article L.442-6, I, 5°, « peu important ses allégations, inopérantes, renvoyant à la notion de rupture brutale d’une relation commerciale établie ».
Autrement dit, l’action fondée sur les dispositions du droit commun de la responsabilité contractuelle, précisément sur le fondement des seuls articles 1134, 1147, 1149 et 1184 du Code civil, ne saurait être valablement introduit devant la juridiction spécialement désignée en application de l’article D.442-3 du Code de commerce.