TC Paris, ord. Référé, 16 janvier 2020, n°2020001069
Commet un abus de position dominante constitutif d’un trouble manifestement illicite, le fournisseur qui, en position dominante sur le marché, rompt abusivement ses relations commerciales établies avec un distributeur.
La société I., société spécialisée dans la grande distribution, commercialisait des produits cola C. depuis 1989, la société C. détenant une position dominante sur le marché français des colas (75-90%). En 2019, les relations commerciales entre la société I. et la société C. avaient permis à la première de réaliser un chiffre d’affaires de 165 millions d’euros. A la suite de l’échec des négociations d’un nouvel accord tarifaire et de distribution pour 2020, la société C. a décidé d’arrêter de livrer des produits C. à compter du 2 février 2020.
La société I. a donc assigné la société C. en référé devant le tribunal de commerce de Paris aux fins notamment :
- De juger que la rupture totale par la société C. de leur relation commerciale établie constitue un trouble manifestement illicite ;
- D’ordonner sous astreinte à la société C. de reprendre la livraison des produits C. jusqu’au plus proche des évènements :
- La conclusion d’une convention annuelle entre les parties pour l’année 2020 ; ou
- L’écoulement d’un préavis de 24 mois expirant au 31 décembre 2021.
Le président du tribunal de commerce de Paris rappelle tout d’abord que l’article L.420-2 du Code de commerce prohibe l’exploitation abusive par une entreprise d’une position dominante, ces abus pouvant notamment consister en :
Le président relève par ailleurs que les relations commerciales entre la société I. et la société C. sont établies depuis plusieurs dizaines d’années, et que :
- Le refus de vente et livraison à partir de janvier 2020 annoncé avec 9 jours de préavis entraînant une rupture de stock dans le réseau de la SAS ITM Alimentaire International et le risque de perte de clientèle relève d’une rupture abusive et d’un abus de position dominante par Coca-Cola ;
- La négociation des contrats annuels doit se tenir entre décembre et mars de l’année suivante, que, si les négociations initiées fin décembre ne se sont pas soldées par un accord, les parties doivent se retrouver pour aboutir avant début mars à un accord commercial et tarifaire pour 2020 ; et que dans l’attente de ces mesures, il y a lieu d’enjoindre à Coca-Cola à reprendre les livraisons de produits à la SAS ITM Alimentaire International aux conditions contractuelles de 2019.
Alors que la sanction des ruptures abusives des relations commerciales établies avait initialement été introduite par le législateur aux seules fins de protéger les fournisseurs contre le déréférencement abusif de la grande distribution, cette ordonnance illustre les cas où les grands fournisseurs bénéficiant d’une position dominante sur le marché peuvent parfois se permettre de rompre eux-mêmes leurs relations commerciales avec leurs distributeurs.
En l’espèce, la rupture des relations commerciales par la société C. étant intervenue après l’échec des négociations avec la société I., il est raisonnable de penser que la société C. avait rompu les relations en vue de négocier et faire « pression » sur la société I., en poussant cette dernière à accepter les conditions qu’elle proposait.
Ainsi, en sanctionnant la rupture abusive des relations commerciales par les fournisseurs qui bénéficient d’une position dominante sur le marché, le juge permet aux distributeurs de pouvoir négocier avec les grands fournisseurs sans risquer que ces derniers ne fassent pression en menaçant de mettre un terme aux relations commerciales afin d’obtenir des conditions tarifaires leur étant favorables.
A rapprocher : Article L.420-2 du Code de commerce