CA Paris, Pôle 5 – chambre 4, 4 mars 2020, n°18/15532
L’activité de conseil en propriété intellectuelle, activité civile par nature, n’est pas une activité commerciale. Un conseil en propriété intellectuelle ne peut donc se prévaloir des dispositions de l’article L.442-6, I, 5° (ancien) du Code de commerce relatif à la rupture brutale des relations commerciales établies.
Entre 2001 et 2017, une société de conseil en propriété industrielle a assuré la gestion et la défense des droits de propriété intellectuelle du Groupe K (comprenant la société K et ses filiales).
En juin 2014, le Groupe K a lancé un processus de réorganisation générale, au terme duquel il a confié la gestion de ses droits de propriété intellectuelle à une autre société.
La société de conseil en propriété industrielle, s’estimant victime de rupture brutale des relations commerciales établies, a assigné le Groupe K devant le tribunal de commerce de Paris sur le fondement notamment de l’article L.442-6, I, 5° (ancien) du Code de commerce.
Le tribunal de commerce de Paris a, par jugement du 16 avril 2018, débouté la société de conseil en propriété industrielle de ses demandes en réparation du préjudice causé par la rupture brutale au motif que les dispositions de l’article L.442-6, I, 5° du Code de commerce étaient inapplicables en l’espèce.
La société de conseil en propriété industrielle a interjeté appel de ce jugement en ce qu’il l’a déboutée de ses demandes en réparation du préjudice subi du fait de la rupture brutale des relations.
- La société de conseil en propriété industrielle a soutenu que les dispositions de l’article L.442-6, I 5° du Code de commerce n’énonçaient aucune exigence en ce qui concerne la qualité de la victime.
- d’une part, elle a exposé que la relation en cause était bien une « relation commerciale » au sens de l’article L.442-6, I, 5° du Code de commerce car la notion de « relation commerciale » visée par le texte peut être appliquée à des relations de nature civile (pour la victime). En effet, elle a souligné que dans la mesure où le dispositif a été appliqué à plusieurs reprises à des relations purement civiles, reconnaissant en particulier la qualité de victime à l’architecte, la question de l’incompatibilité du statut de la victime avec toute activité commerciale est nécessairement inopérante ;
- d’autre part, elle a estimé que la société de conseil en propriété industrielle revêtait la qualité de partenaire commercial, puisqu’elle est un agent économique opérant dans le cadre d’une relation d’affaires.
En effet, elle a fait valoir que cette dernière avait pu se constituer en société commerciale et qu’elle était désormais autorisée, depuis la loi dite « Macron » du 8 août 2015 et le décret du 22 avril 2016, à faire de la publicité, pratique commerciale par excellence.
- Le Groupe K a, quant à lui, soutenu, au contraire, que les dispositions de l’article L.442-6, I, 5° du Code de commerce étaient inapplicables, au motif que la profession de conseil en propriété intellectuelle était incompatible avec toute activité commerciale. En conséquence, la société de conseil en propriété industrielle ne pouvait se prévaloir de telles dispositions et solliciter une indemnisation à ce titre à l’encontre de son mandant, qui est libre de mettre un terme à son mandat civil quand il le souhaite sauf abus de droit.
La Cour a rappelé, d’une part, que l’article L.442-6, I, 5° du Code de commerce protège les partenaires de relations commerciales et, d’autre part, qu’aux termes de l’article L.422-12 du Code de la propriété intellectuelle, la profession de conseil en propriété industrielle est incompatible avec toute activité de caractère commercial.
La Cour en a déduit que si cette profession pouvait, par exemple, être exercée sous forme de société commerciale, voire être désormais autorisée à faire de la publicité, ces facultés – dont aucune ne constitue d’ailleurs un critère de commercialité de l’activité exercée – ne permettaient pas de déroger à cette incompatibilité.
En conséquence, le jugement entrepris sera entièrement confirmé.
L’arrêt commenté nous permet de faire le bilan quant à l’appréciation par la jurisprudence du champ d’application rationae personae de l’article L.442-6, I, 5° (ancien) du Code de commerce.
Pour rappel, afin de se prévaloir de la rupture brutale d’une relation commerciale établie, encore faut-il que la relation soit « commerciale ».
La notion de « relation commerciale » a reçu une application extensive en jurisprudence, les juges reconnaissant aisément dans les relations dont ils ont à connaître le caractère de commercialité. Ainsi, il ressort de la jurisprudence que l’article L.442-6, I, 5° du Code de commerce s’applique à un nombre croissant de relations, quel que soit le statut juridique de la victime et ce, même lorsque ces relations n’ont pas a priori une nature « commerciale ».
Il a déjà été jugé que l’article L.442-6, I, 5° du Code de commerce pouvait s’appliquer à une association (Cass. com., 6 févr. 2007, n°03-20.463), puis qu’il avait également vocation à régir les effets d’une rupture subie par un architecte (Cass. com., 16 déc. 2008, n°07-18.050). L’existence d’une simple relation « économique » ou d’une relation « d’affaires » semble donc suffire à entrainer l’application du dispositif.
Par exception, la jurisprudence a exclu l’application de l’article L.442-6, I, 5° du Code de commerce lorsque le statut professionnel ou les principes déontologiques régissant une profession interdisaient son exercice à titre commercial. A ce titre, la notion de rupture brutale des relations commerciales établies ne s’applique pas, par exemple, dans le cadre d’une relation liant un médecin à une clinique (Cass. com., 16 déc. 2008, n°07-18.050), ni entre un notaire à son client (Cass. com., 20 janv. 2009, n°07-17.556), et ni entre un avocat et son client (Cass. com., 24 nov. 2015, n°14-22.578).
Dans cette affaire, objet du présent commentaire, la société de conseil en propriété industrielle a tenté d’obtenir une indemnisation sur le fondement du dispositif de l’article L.442-6, I, 5° du Code de commerce. Or, les juges du fond ont mis en avant les dispositions de l’article L. 422-12 du Code de la propriété intellectuelle qui instaure une incompatibilité entre l’article L.442-6, I, 5° du Code de commerce et l’activité de conseil en propriété industrielle, cette dernière étant par nature « civile ».
La Cour de cassation adoptait déjà cette position dans le passé (Cass. com., 3 avril 2013, n°12-17.905). La cour d’appel de Paris n’a fait que réitérer cette solution en se conformant à l’esprit et à la lettre de la loi.
A rapprocher : Cass. com., 3 avril 2013, n°12-17.905 ; Nouvel article L.442-1 du Code de commerce ; Cass. com., 24 novembre 2015, pourvoi n°14-22.578