La Cour de cassation confirme le caractère potentiellement anticoncurrentiel des clauses de préemption dans la grande distribution alimentaire.
Les contrats de distribution, et en particulier les contrats de franchise dans le secteur de la grande distribution alimentaire, contiennent souvent des clauses de préférence ou de préemption, par lesquelles la tête de réseau (ici, le franchiseur) dispose du droit de se substituer à un acquéreur de tout ou partie de l’activité du franchisé.
En l’espèce, le contrat de franchise d’un franchisé de la grande distribution alimentaire prévoyait au profit du franchiseur un droit de première offre et de préférence, à égalité de prix et de conditions, en cas (notamment) de cession ou transfert des droits de propriété ou de jouissance sur le local, ou de cession ou transfert des droits de propriété ou de jouissance ou de mise en location-gérance sur le fonds de commerce du franchisé. Ce droit, applicable pendant la durée du contrat, se poursuivait pendant un an après sa cessation.
Après avoir notifié la résiliation de son contrat de franchise et les conditions dans lesquelles il entendait céder son fonds à un groupement concurrent de son franchiseur, le franchisé avait conclu l’opération avec ce concurrent, alors même qu’une procédure judiciaire était déjà en cours à l’initiative du franchiseur, qui entendait faire obstacle à cette cession.
La Cour d’appel de Paris, saisie du litige, avait jugé que la clause du contrat de franchise ne pouvait pas être annulée dans la mesure où, selon la Cour, (i) seule la liberté de choisir son cocontractant était affectée par le pacte de préférence et (ii) ce pacte n’obligeait pas les parties à conclure le contrat pour lequel la préférence était donnée (le cédant n’étant pas obligé de céder son bien et le bénéficiaire n’étant pas obligé de l’acquérir). Ainsi, la Cour d’appel de Paris avait considéré que le pacte de préférence ne pouvait pas être considéré comme une pratique anti-concurrentielle, et qu’il n’était donc pas susceptible d’être annulé pour ce motif.
Ainsi, elle avait déclaré la cession inopposable au franchiseur. Elle avait donc substitué le franchiseur à son concurrent dans la cession, le concurrent n’étant d’ailleurs pas partie à l’instance.
Le franchisé a formé un pourvoi à l’encontre de cette décision, et le concurrent s’est joint à cette procédure (son pourvoi a été rejeté, dans la mesure où il n’était pas partie à l’instance, néanmoins la Cour de cassation a accepté son intervention volontaire, le concurrent ayant un intérêt à soutenir les prétentions du franchisé).
En contradiction avec la Cour d’appel de Paris, la Cour de cassation retient l’argument du franchisé (et du concurrent du franchiseur) relatif à la possible nullité de la clause de préférence insérée dans un contrat de franchise dans le secteur du marché de détail de la distribution à dominante alimentaire. La Haute Juridiction considère en effet qu’il appartenait à la Cour d’appel de rechercher si la stipulation, dans les contrats de franchise consentis par le franchiseur, d’un droit de préférence à son profit valable pendant toute la durée du contrat de franchise et pendant un an après son échéance, n’avait pas pour effet, en limitant la possibilité de rachat de magasins indépendants par des groupes de distribution concurrents, de restreindre artificiellement le jeu de la concurrence sur le marché du détail de la distribution à dominante alimentaire.
Ce faisant, la Cour de cassation rejoint la position adoptée par l’Autorité de la concurrence dans son avis n°10-A-26 du 7 décembre 2010. L’Adlc y avait en effet exprimé des préoccupations liées au « gel foncier » généré par les clauses de préférence ou de préemption contenues dans les contrats de distribution de la grande distribution. A ce titre, on précisera que l’Adlc qualifie de clause de préférence celle conférant à la tête de réseau le privilège de la première offre d’achat, alors que la clause de préemption est celle qui permet au franchiseur de s’aligner sur les conditions proposées par un concurrent (notre hypothèse). Selon l’Adlc, ces clauses organisent au profit du groupe de distribution bénéficiaire une asymétrie dans la négociation du rachat de ses magasins affiliés en lui permettant de limiter artificiellement son risque de voir ces magasins être rachetés par des concurrents. En effet, elles lui permettent de garantir le maintien des magasins dans le réseau (tant qu’elle peut payer) et décourage les concurrents.